Par un arrêt en date du 13 juillet 1990, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté du fait d’un accident survenu dans l’un de ses centres de recherche. En l’espèce, un entrepreneur adjudicataire de travaux de ferronnerie dans un centre de recherche communautaire a subi une chute d’un toit-terrasse non sécurisé, lui occasionnant de graves lésions corporelles. La victime a saisi la Cour d’un recours en indemnité sur le fondement de l’article 188, alinéa 2, du traité CEEA, reprochant à l’institution communautaire une omission dans la mise en œuvre des mesures de sécurité requises. L’institution défenderesse contestait sa responsabilité, arguant d’une part de l’inapplicabilité des réglementations de sécurité nationales à un contractant externe, et d’autre part, de la négligence exclusive de la victime dans la survenance du dommage. Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si la responsabilité d’une institution communautaire pouvait être engagée pour manquement aux règles de sécurité locales, et dans quelle mesure la propre imprudence de la victime pouvait affecter son droit à réparation. La Cour de justice a retenu une responsabilité partagée, estimant que si l’institution avait commis une faute en ne respectant pas les normes de sécurité, la victime avait également contribué à son propre dommage par un défaut de diligence.
**I. L’assujettissement de l’institution communautaire au respect des normes de sécurité nationales**
A. La reconnaissance d’un comportement illicite par manquement à une obligation de sécurité
La Cour rappelle à titre liminaire que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir l’illégalité du comportement, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité. En l’espèce, la Cour examine d’abord le comportement de l’institution et constate qu’elle était tenue de se conformer aux réglementations du pays d’accueil. Elle affirme que « toute institution de la Communauté qui procède à la réalisation de travaux de construction ou d’entretien de bâtiments est tenue de respecter les dispositions relatives à la sécurité en matière de travail, telles qu’elles sont applicables au lieu où ces travaux sont effectués ». Cette obligation découle non seulement d’un principe général de prudence, mais aussi d’un accord spécifique conclu avec l’État membre concerné, lequel impose l’application des dispositions nationales en matière de sécurité et d’hygiène du travail.
En écartant l’argument de l’institution selon lequel ces règles ne viseraient que ses propres agents, la Cour adopte une interprétation extensive de l’obligation de sécurité. Elle considère que ces normes ont pour objet de protéger toutes les personnes exposées aux risques inhérents aux travaux effectués dans ses locaux, indépendamment de leur statut juridique. L’omission de mettre en place les dispositifs de protection prévus par la législation nationale, tels qu’un parapet sur un lieu de travail surélevé ou la fourniture d’une ceinture de sécurité, constitue dès lors un manquement fautif. Le comportement de l’institution est ainsi qualifié d’illicite, car elle « a omis de faire toute diligence concernant les mesures de sécurité nécessaires à la prévention de l’accident ».
B. L’établissement du lien de causalité entre l’omission et le préjudice
Une fois la faute établie, la Cour s’attache à vérifier l’existence d’un lien de causalité entre cette omission et le dommage subi par la victime. Conformément à sa jurisprudence constante, elle rappelle que « l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté et la mise en oeuvre du droit à la réparation du préjudice subi sont subordonnés à la réunion d’un ensemble de conditions en ce qui concerne l’illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué ». La réalité du préjudice n’étant pas contestée, l’analyse se concentre sur le lien entre la faute et les lésions corporelles.
La Cour estime que le défaut de mise en place des mesures de sécurité a directement contribué à la réalisation du dommage. L’absence de parapet ou de tout autre équipement de protection a rendu la chute possible, voire probable, dans le cadre de l’intervention de l’entrepreneur. En agissant de la sorte, l’institution a créé une situation dangereuse dont les conséquences se sont matérialisées par l’accident. La chaîne de causalité est donc clairement établie entre le comportement illicite et le préjudice corporel du requérant. Toutefois, la Cour ne s’arrête pas à cette seule causalité et examine si un autre facteur a pu concourir à la production du dommage.
**II. Le partage de responsabilité comme conséquence de la faute de la victime**
A. L’appréciation du comportement imprudent de l’entrepreneur
La Cour analyse ensuite l’argument de l’institution défenderesse qui imputait la cause exclusive de l’accident à la négligence de la victime. Si la Cour rejette le caractère exclusif de cette négligence, elle en reconnaît néanmoins l’existence et l’impact. Elle observe que « le requérant n’a pas non plus fait preuve de la diligence nécessaire à sa propre protection lors de l’accomplissement de son travail ». Ce faisant, la Cour prend en considération la qualité de professionnel de la victime. En tant qu’adjudicataire des travaux et spécialiste de son domaine, il lui appartenait d’évaluer les risques liés à son intervention.
La Cour souligne que la diligence attendue d’un professionnel implique de prendre les précautions nécessaires et, le cas échéant, de refuser d’exécuter sa prestation dans des conditions dangereuses. L’entrepreneur aurait dû identifier l’absence de mesures de sécurité et exiger leur mise en place avant de monter sur le toit-terrasse. En ne le faisant pas, il a commis une imprudence qui a joué un rôle causal dans la survenance de son propre accident. La Cour se livre ainsi à une appréciation concrète du comportement de la victime, tenant compte de son expertise et des obligations qui en découlent pour sa propre sécurité.
B. La répartition équitable de la charge de la réparation
La reconnaissance d’une faute de la part de la victime conduit la Cour à écarter une indemnisation intégrale du préjudice. Elle conclut que « le préjudice subi ne trouve pas sa cause exclusive dans le comportement de la Commission, mais également dans celui du requérant qui, bien qu’il eût pu éviter l’accident par la diligence requise, ne l’a pas fait ». Cette double causalité justifie l’application d’un mécanisme de partage de responsabilité, conforme aux principes généraux communs aux droits des États membres en matière de responsabilité non contractuelle. L’obligation de réparation pesant sur la Communauté est ainsi limitée à sa seule part de responsabilité.
La Cour procède à une répartition de la responsabilité en parts égales entre l’institution et la victime. Cette solution pragmatique traduit l’idée que les deux fautes, bien que de nature différente, ont contribué de manière équivalente à la réalisation du dommage final. L’omission de l’institution a créé le risque, tandis que l’imprudence du professionnel a permis à ce risque de se concrétiser. En conséquence, la Cour décide de condamner la Commission à réparer le préjudice subi par la victime « à concurrence de 50 % », laissant aux parties le soin de s’accorder sur le montant de l’indemnisation ou, à défaut, de revenir devant elle.