Dans un arrêt du 30 juin 1993, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le champ d’application de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à la location de biens immeubles. En l’espèce, une société d’experts-comptables avait conclu un bail pour une durée de vingt-cinq ans. Avant le terme prévu, elle a convenu avec son bailleur de résilier le contrat et de restituer les locaux en contrepartie du versement d’une indemnité substantielle. L’administration fiscale nationale a assujetti cette indemnité à la taxe sur la valeur ajoutée, en application d’une législation nationale qui excluait spécifiquement la renonciation à un bail du bénéfice de l’exonération de taxe applicable aux opérations de location immobilière. La société locataire a contesté cette imposition devant la juridiction spécialisée, soutenant que la législation nationale était incompatible avec les dispositions de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Saisie d’une question préjudicielle, la Cour de justice a été amenée à déterminer si la résiliation anticipée d’un bail par un locataire, en échange d’une indemnité versée par le bailleur, constituait une opération de location de biens immeubles exonérée au sens de la directive. Elle devait également clarifier si les États membres pouvaient utiliser la faculté qui leur est offerte de prévoir des exclusions à cette exonération pour taxer une telle indemnité de résiliation, alors même que les loyers prévus au contrat étaient, eux, exonérés. La Cour a répondu que la remise du bien immobilier par le locataire à celui de qui il tient ses droits entre bien dans la notion de « location de biens immeubles » et bénéficie donc de l’exonération. Par conséquent, elle a jugé que la faculté laissée aux États membres de prévoir des exclusions supplémentaires à cette exonération ne les autorise pas à taxer l’indemnité de résiliation d’un bail dont les loyers ont été exonérés.
La solution retenue par la Cour consacre une vision unitaire de l’opération de location, étendant logiquement le régime d’exonération à sa résiliation (I), tout en posant une limite claire à la faculté des États membres de déroger à ce principe d’exonération (II).
I. L’extension du régime d’exonération de la location à sa résiliation
La Cour de justice adopte une interprétation large de la notion de location de biens immeubles en y incluant l’acte qui y met fin. Cette solution repose sur une analyse fonctionnelle de l’opération, considérant la résiliation comme étant indissociablement liée au contrat initial (A), ce qui révèle une approche téléologique de l’exonération prévue par la directive (B).
A. L’assimilation de la résiliation à une modalité de la location
La Cour établit un lien direct et indissociable entre le contrat de bail et sa fin anticipée. Elle considère que la nature fiscale d’une opération de résiliation ne peut être détachée de celle du contrat principal auquel elle se rapporte. Le raisonnement des juges est particulièrement explicite lorsqu’ils affirment que « dès lors qu’une opération déterminée, telle que la location d’un bien immeuble, qui serait taxée sur la base des loyers versés, entre dans le champ d’une exonération prévue par la sixième directive, une modification portant sur ce contrat, telle qu’une résiliation conventionnelle moyennant indemnité, doit être considérée comme entrant également dans le champ de cette exonération ». Cette approche s’oppose à une vision qui consisterait à traiter la renonciation au bail comme une prestation de services autonome et distincte de la location elle-même. Pour la Cour, la résiliation n’est pas un nouvel acte juridique indépendant, mais une simple modification d’un rapport contractuel préexistant. La restitution des locaux par le locataire constitue en quelque sorte le miroir de l’octroi initial du droit d’occupation par le bailleur.
B. Une conception fonctionnelle de la notion de location
En intégrant la résiliation dans le périmètre de la « location de biens immeubles », la Cour privilégie la réalité économique et juridique de l’ensemble de l’opération sur une analyse purement formelle. L’exonération prévue à l’article 13, partie B, sous b), de la sixième directive vise à alléger le coût du logement et de l’usage des biens immobiliers, qui sont des biens de consommation finale souvent grevés par d’autres impôts. Soumettre l’indemnité de résiliation à la taxe sur la valeur ajoutée reviendrait à réintroduire une charge fiscale sur une opération dont le législateur communautaire a précisément voulu l’exclure. Une telle taxation créerait une distorsion et porterait atteinte à la neutralité du système commun de taxe, car le coût fiscal de la rupture d’un bail deviendrait un obstacle à la gestion flexible des biens immobiliers. La solution de la Cour assure ainsi une cohérence dans le traitement fiscal de la vie du contrat de bail, de sa naissance à son extinction, en garantissant que les modalités de sa terminaison suivent le même régime que son exécution.
Cette interprétation extensive de l’exonération trouve son corollaire dans la limitation stricte du pouvoir des États membres de s’en écarter.
II. La limitation de la faculté pour les États membres de déroger à l’exonération
La Cour de justice encadre rigoureusement la possibilité pour les législations nationales d’exclure certaines opérations du champ de l’exonération. Elle interdit fermement toute scission du régime fiscal applicable à un même contrat de bail (A), clarifiant par là même la portée véritable de la marge de manœuvre laissée aux États membres (B).
A. Le principe de non-fractionnement du régime fiscal du bail
Le point central de l’argumentation de la Cour réside dans le refus catégorique de permettre un traitement fiscal différencié pour les différentes phases d’un même contrat. Les juges affirment de manière péremptoire que « le régime d’un même bail ne saurait, en effet, faire l’objet d’un fractionnement ». Ce principe de non-fractionnement constitue une garantie essentielle pour la sécurité juridique des opérateurs économiques. Il signifie qu’un contrat de location, une fois qualifié d’opération exonérée, doit le rester pour tous les événements qui s’y rapportent directement, y compris sa conclusion, son exécution et sa résiliation. Permettre à un État membre de taxer l’indemnité de résiliation alors que les loyers ne le sont pas reviendrait à dénaturer le régime d’exonération et à le priver de son effet utile. Cette position assure que les choix de gestion des parties, comme la décision de mettre fin à un bail de manière anticipée, ne soient pas indûment pénalisés par une charge fiscale incohérente avec le régime de fond du contrat.
B. La portée clarifiée de la faculté d’exclusion laissée aux États membres
En conséquence, la Cour précise le sens de la disposition selon laquelle « les États membres ont la faculté de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d’application de cette exonération ». Cette faculté ne constitue pas un blanc-seing leur permettant de taxer n’importe quel aspect d’une location. La Cour l’interprète de manière restrictive, estimant qu’elle autorise seulement les États à exclure de l’exonération certaines *catégories* de locations dans leur intégralité, mais non à décomposer une opération de location unique pour en taxer une partie. Un État membre peut donc décider de soumettre à la taxe, par exemple, l’ensemble des locations à usage professionnel ou les locations de courte durée, mais il ne peut pas isoler l’indemnité de résiliation pour la taxer lorsque la location elle-même est exonérée. Cet arrêt revêt ainsi le caractère d’une décision de principe, car il renforce l’harmonisation du système de taxe sur la valeur ajoutée et préserve l’intégrité des exonérations prévues par le droit communautaire contre des applications nationales divergentes et susceptibles de créer des distorsions de concurrence.