Par un arrêt rendu le 13 juillet 2000, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée du principe de reconnaissance mutuelle des diplômes dans le domaine de l’architecture. En l’espèce, un État membre avait transposé une directive communautaire par un décret qui limitait les compétences des architectes titulaires de diplômes étrangers. La législation nationale prévoyait que ces professionnels ne pouvaient exercer des activités différentes de celles autorisées dans leur État d’origine, sauf à collaborer avec un professionnel localement habilité. La Commission européenne, estimant cette restriction contraire au droit communautaire, a engagé une procédure en manquement. Le litige posait ainsi la question de savoir si un État membre d’accueil peut restreindre le champ d’activité d’un architecte migrant en fonction de la définition de la profession dans son État de provenance, malgré la reconnaissance de son diplôme. La Cour a jugé qu’une telle limitation constitue un manquement aux obligations découlant de la directive. Elle a établi que l’architecte migrant doit se voir accorder l’accès à toutes les activités relevant de la profession dans l’État d’accueil, sans égard pour les limitations existant dans son pays d’origine. Cette décision consacre une conception extensive de la reconnaissance mutuelle (I), tout en écartant fermement les justifications dérogatoires avancées par l’État membre (II).
I. La consécration d’une reconnaissance mutuelle inconditionnelle
La Cour fonde sa solution sur une interprétation finaliste de la directive, affirmant que la reconnaissance d’un diplôme emporte un alignement complet sur le champ d’activité de l’État membre d’accueil (A) et ce, indépendamment d’une équivalence matérielle parfaite des formations (B).
A. L’alignement nécessaire sur le champ d’activité de l’État d’accueil
La Cour rappelle que l’objectif de la directive est de faciliter l’exercice effectif du droit d’établissement et de la libre prestation de services. Pour ce faire, le mécanisme de reconnaissance mutuelle doit produire un effet utile. La juridiction communautaire considère que cet effet serait anéanti si l’État d’accueil pouvait moduler l’étendue des activités autorisées. Elle énonce ainsi que « dès lors qu’une activité est habituellement exercée par les architectes titulaires d’un diplôme délivré par l’État membre d’accueil, un architecte migrant titulaire d’un diplôme, certificat ou autre titre relevant du champ d’application de la directive doit également avoir accès à une telle activité ». La définition des activités architecturales appartient certes à la législation de l’État d’accueil. Cependant, une fois cette définition posée, elle doit s’appliquer uniformément à tous les professionnels légalement établis, qu’ils soient nationaux ou migrants. La restriction imposée par l’État membre créait donc une discrimination contraire aux articles 2 et 10 de la directive.
B. L’indifférence de l’équivalence matérielle des formations
Le gouvernement défendeur soutenait que les différences de formation justifiaient une restriction des compétences pour des raisons de sécurité. La Cour rejette cet argument en soulignant que le système de la directive n’est pas fondé sur une harmonisation exhaustive des cursus. La reconnaissance est due même si les diplômes « ne comportent pas nécessairement une équivalence matérielle en ce qui concerne la formation reçue ». Le législateur communautaire a estimé que les exigences qualitatives et quantitatives minimales prévues par la directive étaient suffisantes pour instaurer une confiance mutuelle entre les États membres. Le principe n’est donc pas celui d’une équivalence académique stricte, mais d’une équivalence juridique des titres. En acceptant ce système, les États membres ont accepté le risque qu’un architecte exerce dans l’État d’accueil des activités pour lesquelles sa formation d’origine ne l’avait pas spécifiquement préparé. La solution contraire reviendrait à vider de sa substance le mécanisme de reconnaissance mutuelle.
II. Le rejet des dérogations fondées sur l’intérêt général
Face à la règle de reconnaissance inconditionnelle, l’État membre invoquait des raisons de sécurité publique. La Cour écarte cette justification en rappelant la primauté du droit harmonisé (A) et en soulignant l’existence de mesures spécifiques moins restrictives au sein même de la directive (B).
A. L’inapplicabilité de la dérogation de sécurité publique en matière harmonisée
L’État membre tentait de justifier sa législation par l’article 56 du traité, qui autorise des restrictions à la libre circulation pour des raisons de sécurité publique. La Cour rappelle sa jurisprudence constante sur ce point. Une telle disposition n’a pas pour objet de réserver des domaines de compétence exclusive aux États. Elle permet des dérogations au principe de libre circulation seulement lorsque cela est justifié et en l’absence de réglementation communautaire. Or, la Cour constate que « lorsque des directives communautaires prévoient l’harmonisation des mesures nécessaires pour assurer la protection d’un objectif déterminé, le recours à l’article 56 du traité cesse d’être justifié ». La directive sur l’architecture, en fixant des conditions de formation et des mécanismes de reconnaissance, constitue précisément une telle harmonisation. Les garanties de sécurité publique doivent donc être recherchées dans le cadre de la directive elle-même et non dans le droit commun des traités.
B. La prévalence des mesures d’information prévues par la directive
La Cour observe que le législateur communautaire a anticipé les difficultés pouvant naître de la diversité des formations. Il n’a toutefois pas retenu une solution aussi contraignante que celle adoptée par l’État mis en cause. La directive prévoit une mesure spécifique et proportionnée pour protéger les consommateurs. L’article 16, paragraphe 2, de la directive permet à l’État d’accueil d’imposer à l’architecte migrant d’utiliser son titre de formation « dans une formule appropriée » lorsque celui-ci peut être confondu avec un titre local exigeant une formation complémentaire. Cette disposition assure l’information du public sur la nature exacte de la formation du professionnel sans pour autant restreindre son champ d’activité. En exigeant la collaboration avec un autre professionnel, la législation nationale allait au-delà de ce qui était nécessaire et violait le principe de proportionnalité, alors qu’une solution moins attentatoire à la libre circulation était expressément prévue par le texte.