9ème chambre du Conseil d’État, le 24 juin 2025, n°502601

Par une décision en date du 24 juin 2025, le Conseil d’État se prononce sur les conditions d’admission d’un pourvoi en cassation formé par l’administration fiscale, opérant une distinction notable dans l’appréciation du caractère sérieux des moyens soulevés.

En l’espèce, une société s’était vue réclamer le paiement de diverses taxes pour les années 2015 à 2018, à raison de locaux situés à Paris. Ces impositions comprenaient la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement, ainsi qu’une taxe additionnelle spécifique aux surfaces de stationnement. La société a contesté ces impositions. Le tribunal administratif de Paris, par un jugement du 19 avril 2023, a rejeté sa demande de décharge. Saisie par la société, la cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 22 janvier 2025, a infirmé cette décision et prononcé la décharge totale des impositions litigieuses. L’administration fiscale a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, demandant l’annulation de cet arrêt d’appel. Elle soutenait que la cour avait commis une erreur en jugeant que les surfaces de stationnement ne contribuaient pas directement à l’activité exercée dans les autres locaux de l’immeuble.

La question se posait de savoir si les moyens présentés par l’administration fiscale revêtaient un caractère suffisamment sérieux pour justifier l’admission du pourvoi en cassation dans son intégralité.

Le Conseil d’État y répond de manière nuancée. Il juge que les arguments de l’administration ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi en ce qui concerne la taxe annuelle générale, mais qu’il y a lieu de l’admettre pour ce qui est de la taxe additionnelle sur les surfaces de stationnement. La haute juridiction administrative procède ainsi à un filtrage sélectif des conclusions du pourvoi, en dissociant l’appréciation du caractère sérieux des moyens selon la nature de l’impôt concerné.

Cette admission partielle du pourvoi conduit à s’interroger sur la mise en œuvre de l’office du juge de l’admission, qui se manifeste ici par une appréciation différenciée des moyens (I), dont il convient ensuite de rechercher les fondements et la portée (II).

I. L’exercice d’un filtrage sélectif dans le cadre de la procédure d’admission

Le Conseil d’État, en application des dispositions de l’article L. 822-1 du code de justice administrative, opère un tri rigoureux qui aboutit à ne retenir qu’une partie du litige. Cette démarche illustre la fonction régulatrice de la procédure d’admission (A) et se matérialise par une dissociation surprenante de l’appréciation des moyens (B).

A. Le rôle classique du juge de l’admission en cassation

La procédure d’admission préalable des pourvois en cassation a pour objet de garantir que le Conseil d’État ne soit saisi que d’affaires soulevant des questions de droit qui méritent un examen au fond. Le juge de l’admission ne se prononce pas sur le bien-fondé des arguments, mais évalue leur consistance. La décision de refus d’admission est prise « si le pourvoi est irrecevable ou n’est fondé sur aucun moyen sérieux ». Cette étape préliminaire permet d’écarter les pourvois dilatoires ou manifestement infondés.

Dans le cas présent, l’administration fiscale invoquait trois moyens : la méprise de la cour sur la portée de ses écritures, l’insuffisance de motivation et l’inexacte qualification juridique des faits. Ces arguments portaient sur l’appréciation du lien fonctionnel entre des surfaces de stationnement et une activité professionnelle. Le Conseil d’État, en examinant ces moyens, exerce son office de filtre pour déterminer s’ils justifient la tenue d’une audience de jugement sur le fond de l’affaire.

B. L’application d’une appréciation différenciée des moyens

La particularité de la présente décision réside dans le fait que le Conseil d’État ne traite pas le pourvoi comme un bloc indivisible. Il estime que les moyens soulevés par l’administration, bien qu’identiques pour les deux taxes, n’ont pas le même poids. Pour la taxe principale prévue à l’article 231 ter du code général des impôts, « aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission des conclusions du pourvoi ». En revanche, pour la taxe additionnelle visée à l’article 1599 quater C du même code, les mêmes moyens justifient l’admission.

Cette dissociation est remarquable, car elle porte sur une argumentation unique appliquée à une même situation factuelle et à un même arrêt d’appel. Le juge de l’admission ne se contente pas de dire si un moyen est sérieux ou non ; il précise pour quelle partie du litige ce moyen présente un intérêt suffisant. Cette approche chirurgicale affine considérablement la technique du filtrage des pourvois.

Cette division de l’appréciation suggère que le débat juridique n’a pas la même acuité pour les deux impositions. Il convient dès lors de s’interroger sur les raisons qui peuvent justifier une telle distinction et sur les conséquences d’une telle méthode.

II. Les justifications et la portée de la dissociation opérée

La décision d’admettre partiellement le pourvoi n’est pas explicitement motivée sur les raisons de la distinction opérée. Cette absence invite à formuler des hypothèses sur les fondements d’une telle solution (A), tout en mesurant la portée de cette méthode pour la pratique contentieuse (B).

A. La possible existence de régimes juridiques distincts

La raison la plus probable de cette dissociation tient à la différence de nature ou de régime juridique entre les deux taxes. Bien que toutes deux liées à l’existence de locaux professionnels, leurs conditions d’application peuvent différer. La notion de « contribution directe » à l’activité, critère central du litige, pourrait ne pas avoir une portée identique pour la taxe annuelle générale et pour la taxe additionnelle sur les surfaces de stationnement.

Le Conseil d’État a pu considérer que si l’appréciation des juges du fond quant à l’absence de lien direct était suffisamment souveraine et motivée pour la taxe principale, elle soulevait en revanche un doute sérieux pour la taxe additionnelle. Cette dernière, visant spécifiquement les surfaces de stationnement, appelle peut-être une interprétation plus fine de leur lien avec l’activité économique, justifiant un examen approfondi en cassation. La haute juridiction laisse ainsi entendre que la qualification juridique des faits pourrait être entachée d’erreur pour l’une des taxes mais pas pour l’autre.

B. Le renforcement de la fonction régulatrice du juge de cassation

Au-delà de l’espèce, cette décision affine la portée de la procédure d’admission. Elle signifie que le Conseil d’État entend concentrer son contrôle de cassation sur les questions de droit les plus pertinentes, quitte à scinder un litige pour n’en retenir que la part qui le justifie. Cette méthode optimise le traitement des pourvois en évitant un examen au fond sur des points qui n’apparaissent pas suffisamment sérieux, même s’ils sont connexes à une question de droit réelle.

Une telle pratique incite les requérants à structurer leur argumentation avec une grande précision, en l’adaptant à chaque conclusion contestée. Elle renforce également l’idée que l’admission n’est pas une simple formalité, mais un véritable acte juridictionnel d’orientation du contentieux. La portée de cette décision est donc avant tout méthodologique : elle confirme la capacité du juge de l’admission à opérer un tri très fin pour ne juger au fond que ce qui est strictement nécessaire à l’unité et au développement de la jurisprudence.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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