8ème chambre du Conseil d’État, le 17 mars 2025, n°493448

Par une décision en date du 17 mars 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité de commentaires administratifs interprétant une de ses précédentes décisions en matière fiscale. En l’espèce, une société exploitant des espaces de stockage a formé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’un paragraphe de commentaires publiés au Bulletin Officiel des Finances Publiques. Ces commentaires, se fondant sur une décision juridictionnelle antérieure, excluaient les espaces de circulation intérieure entre des boxes de stockage de la qualification de « parties communes » pour le calcul de la taxe annuelle sur les locaux en Île-de-France. La procédure a été engagée directement devant la haute juridiction administrative, la société requérante soutenant que l’administration fiscale avait excédé ses compétences et commis plusieurs erreurs de droit et d’appréciation. Il était ainsi demandé au juge de l’excès de pouvoir de déterminer si des commentaires administratifs, en interprétant une décision de justice, en avaient méconnu le sens et la portée, outrepassant ainsi le simple rôle d’explicitation qui leur est dévolu. Le Conseil d’État a rejeté la requête, jugeant que les commentaires attaqués se bornaient à résumer fidèlement la décision de justice en cause, laquelle statuait sur un « cas d’espèce », sans en dénaturer la substance ni la portée.

I. La confirmation d’un contrôle restreint sur les commentaires interprétatifs

Le Conseil d’État, pour rejeter la requête, rappelle d’abord la nature spécifique de son contrôle sur les commentaires administratifs d’une décision de justice avant de l’appliquer rigoureusement aux faits de l’espèce.

A. Le rappel du principe d’un contrôle limité à la dénaturation de la décision judiciaire

La haute juridiction administrative réaffirme une solution jurisprudentielle bien établie, selon laquelle son contrôle sur de tels actes ne vise pas à réexaminer le bien-fondé de la décision de justice commentée. Le juge se limite à vérifier si l’administration, en explicitant une décision, n’en a pas trahi la substance. Il exerce un contrôle de légalité strict, s’assurant que l’interprétation administrative ne méconnaît ni le sens, ni la portée de la chose jugée. La décision énonce clairement cette limite en reprenant une formulation de principe : « Il n’appartient pas au juge de l’excès de pouvoir, saisi d’un recours dirigé contre de tels commentaires administratifs, d’apprécier le bien-fondé de la décision de justice commentée. Il lui appartient en revanche d’apprécier, dans l’exercice de son contrôle de légalité et dans la limite des moyens soulevés, si l’interprétation retenue par ces commentaires ne méconnaît pas le sens et la portée de cette décision. » Cette posture garantit le respect de l’autorité de la chose jugée tout en permettant à l’administration de jouer son rôle d’explicitation du droit.

B. L’absence de méconnaissance du sens et de la portée de la décision d’origine

Faisant application de ce principe au cas présent, le Conseil d’État constate que les commentaires attaqués n’ont pas pour effet d’édicter une norme nouvelle mais de rendre compte d’une solution juridictionnelle particulière. Il relève que l’administration a elle-même pris soin de qualifier la décision commentée de « cas d’espèce », ce qui démontre son intention de ne pas lui conférer une portée générale et absolue. Les commentaires se sont ainsi « bornés à rendre compte de la décision juridictionnelle en cause et à résumer son contenu ». En jugeant que les allées de circulation ne constituaient pas des parties communes dans le cadre spécifique d’un local unique aménagé en boxes, l’administration n’a fait que relater le raisonnement tenu par le juge dans cette affaire précise. Par conséquent, les moyens tirés de l’incompétence, de l’erreur de droit, de l’erreur d’appréciation et de l’erreur de qualification juridique ne pouvaient qu’être écartés comme inopérants, car ils revenaient à critiquer le contenu même de la décision de 2022, ce que le présent contrôle n’autorise pas.

II. La portée de la solution quant au pouvoir d’interprétation de l’administration

Cette décision, au-delà de sa solution d’espèce, précise les contours du pouvoir d’interprétation de l’administration et ses implications pour la sécurité juridique des contribuables.

A. La légitimation du rôle exégétique de l’administration fiscale

L’arrêt valide la pratique de l’administration consistant à commenter les décisions de justice pour en guider l’application par ses services. En rejetant le recours, il reconnaît implicitement la nécessité pour l’administration de disposer d’une telle prérogative afin d’assurer une application uniforme de la loi et de la jurisprudence sur le territoire. Ce pouvoir d’interprétation est un instrument essentiel de la doctrine administrative. Toutefois, la décision en souligne également les limites intrinsèques : ce pouvoir ne doit jamais se transformer en un pouvoir normatif autonome qui viendrait contredire ou outrepasser ce qu’a jugé le pouvoir judiciaire. L’administration peut expliquer, mais elle ne peut ni réécrire la décision, ni lui attribuer une portée que le juge ne lui a pas donnée. La solution est donc équilibrée, consacrant une faculté d’interprétation administrative sous le contrôle vigilant du juge de l’excès de pouvoir.

B. La réaffirmation de la distinction entre décision d’espèce et règle de portée générale

En insistant sur la qualification de « cas d’espèce » employée par les commentaires eux-mêmes, la décision revêt une importance particulière pour la sécurité juridique. Elle rappelle que toutes les décisions de justice, même celles émanant du Conseil d’État, n’ont pas vocation à devenir des arrêts de principe formulant une règle générale et abstraite. En l’occurrence, le fait que des allées de circulation ne soient pas des parties communes dans un contexte factuel précis ne préjuge pas de la solution qui pourrait être retenue dans d’autres affaires où les locaux seraient organisés différemment. Cette décision protège ainsi les contribuables contre une généralisation abusive d’une solution d’espèce par l’administration. Elle préserve l’avenir en laissant ouverte la possibilité d’une qualification différente dans des circonstances distinctes, garantissant ainsi une application du droit fiscal adaptée à la diversité des situations concrètes.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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