Par un arrêt du 6 juin 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conditions d’application des mécanismes de régularisation des autorisations d’urbanisme et sur la légalité de dispositions d’un plan local d’urbanisme subordonnant des dérogations aux règles de constructibilité à des exigences qualitatives. En l’espèce, le maire d’une commune avait délivré un permis de construire pour un important projet immobilier de cent quinze logements. Des riverains ont saisi le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de cette autorisation. Le tribunal administratif, par un premier jugement du 2 janvier 2024, a constaté que le permis était entaché de plusieurs vices liés à la méconnaissance du plan local d’urbanisme ainsi que du code de l’urbanisme. Faisant application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, il a sursis à statuer et imparti au pétitionnaire un délai de quatre mois pour régulariser ces illégalités. Constatant l’absence de toute mesure de régularisation notifiée à l’expiration de ce délai, le tribunal administratif a, par un second jugement du 28 juin 2024, prononcé l’annulation de l’autorisation d’urbanisme. Le bénéficiaire du permis de construire a alors formé plusieurs pourvois en cassation contre ces quatre décisions. Il était ainsi demandé au Conseil d’État de déterminer si les dispositions d’un plan local d’urbanisme peuvent légalement soumettre l’octroi d’un bonus de constructibilité à des critères d’intégration architecturale, et de clarifier l’office du juge administratif lorsque le délai accordé pour une régularisation sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme expire sans qu’aucune mesure n’ait été prise. Le Conseil d’État a rejeté les pourvois, validant tant l’analyse des premiers juges sur la légalité des normes locales d’urbanisme que leur démarche procédurale ayant conduit à l’annulation finale du permis.
Il convient d’analyser la confirmation par le juge de cassation du pouvoir des auteurs du plan local d’urbanisme de moduler les dérogations aux règles de construction (I), avant d’examiner la portée de l’échec de la procédure de sursis à statuer en matière de régularisation (II).
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I. La confirmation de la maîtrise par le règlement local d’urbanisme des dérogations aux règles de constructibilité
Le Conseil d’État valide d’abord la légalité des dispositions du règlement local qui encadrent le bonus de constructibilité (A), puis confirme l’appréciation des faits par laquelle les juges du fond avaient conclu à la méconnaissance de ces mêmes dispositions par le projet (B).
A. La légalité reconnue des conditions qualitatives de dérogation
Le requérant soutenait, par la voie de l’exception d’illégalité, que les dispositions du plan local d’urbanisme ne pouvaient subordonner le bénéfice d’un dépassement des règles de gabarit, prévu pour les constructions exemplaires sur le plan environnemental, au respect de principes de bonne intégration architecturale, urbaine et paysagère. Le Conseil d’État écarte cette argumentation en affirmant que les dispositions du code de l’urbanisme autorisant un tel bonus « ne s’opposent pas à ce que, faisant usage de la compétence qui lui est par ailleurs dévolue par les articles L. 151-8 et suivant du code de l’urbanisme, ce règlement subordonne le bénéfice d’un tel dépassement à d’autres exigences en rapport avec l’objet des règles auxquelles il est dérogé ». La haute juridiction précise qu’il en va ainsi des règles relatives à l’aspect extérieur des constructions, qui visent précisément à assurer leur insertion dans le milieu environnant. Elle ajoute que la seule formulation « qualitative » de telles exigences ne saurait en soi les rendre illégales. Cette solution consacre une approche pragmatique du droit de l’urbanisme, réaffirmant que les dérogations, même encouragées par le législateur national pour des motifs d’intérêt général comme la transition écologique, ne sauraient faire échec à la compétence première des autorités locales pour préserver la cohérence et le caractère des zones qu’elles administrent. L’autorisation d’un bonus de densité n’emporte pas un droit inconditionnel à construire au détriment de l’harmonie urbaine.
B. L’appréciation souveraine des juges du fond sur la méconnaissance du caractère de la zone
Le tribunal administratif avait jugé que le maire avait commis une erreur manifeste d’appréciation en autorisant le projet, au motif qu’il méconnaissait le caractère de la zone. Pour ce faire, il avait relevé la discordance entre le projet, composé d’« imposants immeubles collectifs d’habitation en R + 3 », et le tissu urbain environnant, défini par le plan local d’urbanisme comme une « zone d’habitat individuel qui peut accueillir des collectifs » mais « caractérisée par une urbanisation douce s’accompagnant d’espaces verts privatifs importants ». Le Conseil d’État, en tant que juge de cassation, refuse de substituer sa propre appréciation à celle des juges du fond. Il constate que, pour parvenir à cette conclusion, le tribunal a examiné l’ensemble des pièces du dossier, notamment la composition du quartier, la hauteur des constructions projetées et la faible proportion d’espaces verts de pleine terre. En jugeant que le tribunal a porté sur ces éléments une « appréciation souveraine, sans les dénaturer », le Conseil d’État applique une jurisprudence constante qui limite son contrôle à la dénaturation et à l’erreur de droit. Cette position rappelle que l’appréciation de l’intégration d’un projet dans son environnement relève essentiellement de l’analyse concrète des faits de l’espèce, qui est la prérogative du juge du fond. La cassation n’est encourue que si cette analyse repose sur des faits matériellement inexacts ou si elle est entachée d’une qualification juridique erronée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
II. La portée de l’échec du sursis à statuer en vue d’une régularisation
La décision apporte une clarification importante sur l’articulation des mécanismes de régularisation en contentieux de l’urbanisme, en consacrant le caractère obligatoire du sursis à statuer lorsque le vice est régularisable (A), tout en fermant la porte à un enchaînement successif de ces procédures en cas d’inaction du pétitionnaire (B).
A. Le recours au sursis à statuer comme modalité première de régularisation
La décision rappelle implicitement la logique qui sous-tend les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme : favoriser la survie des autorisations d’urbanisme affectées de vices curables afin d’assurer la sécurité juridique des projets. Le Conseil d’État énonce clairement que « lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée sont susceptibles d’être régularisés, le juge administratif doit, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, surseoir à statuer ». Cette formulation confirme le caractère quasi-obligatoire du sursis à statuer dans une telle hypothèse, le juge ne conservant qu’une alternative limitée : soit recourir à l’annulation partielle prévue par l’article L. 600-5 si les conditions en sont réunies, soit constater le refus du bénéficiaire de l’autorisation de profiter de la mesure. En l’espèce, le tribunal administratif, ayant identifié plusieurs vices qu’il a estimés régularisables, a donc correctement fait application de la procédure de sursis à statuer. Il a ainsi offert au titulaire du permis une opportunité de corriger les illégalités constatées sans que l’autorisation ne soit immédiatement anéantie, ce qui correspond pleinement à l’intention du législateur.
B. Le refus d’un enchaînement des mécanismes de régularisation
Le principal apport de la décision réside dans la réponse apportée à l’argument du requérant, qui estimait qu’après l’échec du sursis à statuer, le juge aurait dû lui offrir une seconde chance en examinant la possibilité d’une annulation partielle sur le fondement de l’article L. 600-5. Le Conseil d’État oppose une fin de non-recevoir catégorique à cette thèse. Il juge que « lorsqu’il a mis en œuvre les dispositions de l’article L. 600-5-1 et qu’aucune mesure de régularisation ne lui est notifiée après sa décision de sursis à statuer, il n’appartient pas au juge de poursuivre la recherche de la régularisation du vice considéré (…) en recourant à l’article L. 600-5 ». Cette solution établit une distinction nette entre les deux dispositifs : ils constituent des options alternatives pour le juge, mais non des étapes successives. Le choix du sursis à statuer ouvre une période durant laquelle la charge de la régularisation pèse exclusivement sur le pétitionnaire. Son inaction à l’issue du délai imparti clôt définitivement la phase de régularisation et conduit logiquement à l’annulation. Permettre un recours subsidiaire à l’annulation partielle viderait de sa substance l’incitation à régulariser rapidement que constitue le sursis à statuer et risquerait de prolonger indûment les procédures. La décision a donc pour portée de responsabiliser les bénéficiaires de permis de construire en signifiant que l’opportunité de régularisation offerte par le juge est unique.