Par une décision en date du 1er octobre 2025, le Conseil d’État a statué sur les conditions dans lesquelles un permis de construire modificatif peut affecter la suspension juridictionnelle d’une autorisation d’urbanisme initiale.
En l’espèce, le maire d’une commune avait délivré un permis de construire pour une maison individuelle. Saisi par des tiers, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a ordonné la suspension de l’exécution de ce permis par une ordonnance du 2 avril 2024, en raison d’un doute sérieux quant à sa légalité. Par la suite, l’autorité administrative a accordé au pétitionnaire un permis de construire modificatif destiné à régulariser le vice identifié par le juge. Fort de cette nouvelle autorisation, le bénéficiaire du permis initial a demandé au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, de mettre fin à la mesure de suspension. Par une ordonnance du 4 décembre 2024, le juge a fait droit à cette demande. Des tiers ont alors formé un pourvoi en cassation contre cette dernière décision.
Il était ainsi demandé au Conseil d’État si un permis de construire modificatif, visant à corriger une illégalité ayant fondé la suspension d’un permis initial, constitue un élément nouveau justifiant de mettre fin à cette suspension, y compris lorsque l’autorisation initiale est entachée d’une suspicion de fraude.
La Haute Juridiction administrative répond par la négative en cassant l’ordonnance du juge des référés. Elle affirme que si un permis modificatif peut en principe neutraliser les effets d’une illégalité, ce mécanisme de régularisation est inopérant face à une fraude. Le Conseil d’État énonce en effet que « lorsqu’un permis de construire a été obtenu par fraude, l’illégalité qui en résulte n’est pas de nature à être régularisée par la délivrance d’un permis de construire modificatif ». Par conséquent, le doute sérieux quant à la légalité du permis initial qui en découle persiste et justifie le maintien de la suspension, rendant sans objet l’examen de la portée du permis modificatif.
La solution retenue par le Conseil d’État distingue nettement le traitement de l’illégalité simple de celui de la fraude, en réaffirmant l’effet dirimant de cette dernière sur les mécanismes de régularisation (I). Cette décision renforce la sanction de la déloyauté du pétitionnaire et étend par là même l’office du juge du référé face à une manœuvre frauduleuse (II).
I. L’inopérance de la régularisation par permis modificatif face à la fraude
La Haute Juridiction, tout en rappelant le principe selon lequel un permis modificatif peut permettre la levée d’une suspension (A), consacre une exception ferme et définitive lorsque l’autorisation initiale est suspectée de fraude (B).
A. L’admission conditionnée de la levée de suspension par permis modificatif
Le juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, peut à tout moment modifier les mesures qu’il a ordonnées ou y mettre fin « au vu d’un élément nouveau ». La délivrance d’un permis de construire modificatif ou d’une mesure de régularisation constitue un tel élément nouveau, susceptible de conduire à la levée de la suspension d’un permis de construire initial.
Dans sa décision, le Conseil d’État précise la démarche que doit alors suivre le juge. Il lui appartient « de tenir compte, d’une part, de la portée du permis modificatif ou de la mesure de régularisation sur les vices précédemment relevés et, d’autre part, des vices allégués ou d’ordre public dont le permis modificatif ou la mesure de régularisation serait entaché et qui seraient de nature à y faire obstacle ». Cette approche pragmatique permet d’assurer un équilibre entre le droit de construire et le respect de la légalité, en autorisant la poursuite d’un projet dès lors que les illégalités soulevées ont été corrigées, sans attendre l’issue du recours au fond. Ce mécanisme de régularisation en cours d’instance favorise ainsi une bonne administration de la justice et la sécurité juridique des projets.
Cependant, cette faculté de régularisation trouve une limite infranchissable dans la loyauté des relations entre l’administré et l’administration.
B. Le caractère dirimant de la fraude paralysant le mécanisme de régularisation
Le Conseil d’État opère une distinction fondamentale entre les vices susceptibles d’être régularisés et l’illégalité résultant d’une fraude. Il affirme avec force que cette dernière « n’est pas de nature à être régularisée par la délivrance d’un permis de construire modificatif ». En appliquant l’adage *Fraus omnia corrumpit*, la décision ne fait pas de la fraude un simple vice de légalité, mais une atteinte à la substance même de l’acte administratif, qui le vicie de manière irrémédiable.
Cette solution est justifiée par la nature même de la fraude, qui consiste à tromper délibérément l’administration pour obtenir une décision qu’elle n’aurait pas prise si elle avait eu connaissance de tous les éléments. En l’espèce, le juge relève un ensemble d’indices graves, précis et concordants tenant « à la chronologie des faits, à la nature et l’étroitesse des liens » entre les différents pétitionnaires, ainsi qu’à la « similitude » des demandes successives, qui témoignent d’une intention de contourner les règles d’urbanisme relatives aux espaces verts. Face à une telle manœuvre, le permis modificatif, même s’il corrige formellement un vice, ne saurait purger l’acte de sa tare originelle. La fraude gangrène l’autorisation dans son ensemble et fait ainsi obstacle à toute tentative de « blanchiment » procédural.
Cette position de principe, qui érige la fraude en obstacle absolu à la régularisation, emporte des conséquences significatives sur la portée du contrôle exercé par le juge et sur la sécurité des actes d’urbanisme.
II. La consécration de la portée dirimante de la fraude dans le contentieux de l’urbanisme
En jugeant que la fraude ne peut être couverte par un permis modificatif, le Conseil d’État ne se contente pas d’opérer un contrôle de légalité technique ; il procède à une véritable sanction de la déloyauté du demandeur (A), ce qui étend la mission du juge et affecte la sécurité juridique des autorisations obtenues par de tels procédés (B).
A. La sanction de la déloyauté du pétitionnaire
La décision commentée revêt une dimension morale en sanctionnant un comportement jugé déloyal. Le juge ne se borne pas à constater une non-conformité à une règle de droit, mais examine l’intention de son auteur. En l’espèce, il a estimé que le juge des référés du premier degré avait commis une « dénaturation » en ne retenant pas le moyen tiré de la fraude, alors même que les pièces du dossier révélaient une destruction d’arbres de haute tige juste avant une série de demandes de permis, visant manifestement à dissimuler l’état initial du terrain.
En censurant cette appréciation, le Conseil d’État rappelle que le droit de l’urbanisme n’est pas un simple jeu formel où l’habileté à dissimuler des informations serait récompensée. Il réaffirme l’exigence de sincérité et de loyauté qui doit présider à toute demande d’autorisation administrative. La fraude est ainsi sanctionnée non seulement par l’annulation potentielle de l’acte, mais également par l’impossibilité de le sauver par une régularisation ultérieure. Cette rigueur vise à dissuader les pétitionnaires de recourir à des manœuvres dolosives pour obtenir un droit à construire, en les privant de toute issue favorable une fois la supercherie découverte.
Cette approche influe directement sur l’office du juge et la prévisibilité du droit pour les administrés.
B. La portée de la solution sur l’office du juge et la sécurité juridique
En faisant de la fraude un moyen dirimant et non régularisable, cette décision renforce les pouvoirs et les devoirs du juge administratif, y compris celui des référés. Ce dernier doit, lorsqu’un tel moyen est soulevé avec suffisamment de consistance, le traiter comme une question prioritaire et potentiellement suffisante pour justifier le maintien d’une suspension. La fraude paralyse l’examen des autres moyens et rend inopérant celui du permis modificatif. Le Conseil d’État l’illustre en réglant l’affaire au fond, où il juge que le moyen tiré de la fraude « justifie, par suite, à lui seul, la suspension prononcée ».
Cette solution a également une portée importante en matière de sécurité juridique. Si elle peut sembler créer une insécurité pour le bénéficiaire d’un permis, elle vise en réalité à garantir la fiabilité et la légalité des autorisations d’urbanisme. Elle envoie un signal clair : une autorisation obtenue par des manœuvres frauduleuses demeure précaire et sous la menace constante d’un recours, sans espoir de consolidation par une mesure de régularisation. La sécurité juridique est ainsi celle de l’ordre public d’urbanisme et des tiers, et non celle du fraudeur. La décision protège l’intégrité du processus d’instruction et la confiance légitime que l’administration et les citoyens doivent pouvoir placer dans les documents qui leur sont soumis.