Par un arrêt du 31 juillet 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les modalités de computation du délai de recours dans le cadre d’une procédure administrative préalable obligatoire mal notifiée. En l’espèce, un pétitionnaire s’est vu refuser trois permis de construire par des arrêtés municipaux, décisions motivées par des avis défavorables émis par l’architecte des Bâtiments de France. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Grenoble, lequel a annulé les décisions de refus. Saisie en appel par la commune, la cour administrative d’appel de Lyon a infirmé ce jugement, jugeant la requête irrecevable au motif que le demandeur n’avait pas préalablement exercé le recours administratif obligatoire auprès du préfet de région contre les avis de l’architecte des Bâtiments de France. Le pourvoi contre cet arrêt n’a pas été admis par le Conseil d’État. Postérieurement à cette première procédure, le pétitionnaire a formé ledit recours administratif, qui a été rejeté par l’autorité préfectorale. Il a alors de nouveau saisi le tribunal administratif de Grenoble, qui a rejeté ses demandes comme irrecevables, considérant que le recours administratif n’avait pas été exercé dans un délai raisonnable. Saisi d’un pourvoi contre ce dernier jugement, le Conseil d’État devait donc déterminer le point de départ du délai pour engager un recours administratif préalable obligatoire lorsque sa mention a été omise ou mal précisée dans la notification initiale, et qu’une première action contentieuse a été rejetée pour ce motif. La Haute Juridiction administrative juge que le délai pour former ce recours préalable commence à courir à compter de la notification de la décision juridictionnelle qui rejette le premier recours contentieux pour irrecevabilité.
La solution adoptée par le Conseil d’État précise les conséquences d’une irrecevabilité contentieuse sur la computation des délais, marquant une étape significative dans l’articulation entre sécurité juridique et droit au recours. Ainsi, il convient d’analyser la clarification du point de départ du délai de recours préalable (I), avant d’examiner la portée de cette solution qui renforce la sécurité des situations juridiques (II).
I. La clarification du point de départ du délai de recours préalable
Le Conseil d’État, par cette décision, écarte l’application du délai raisonnable au profit d’une règle spécifique, en faisant de la décision juridictionnelle d’irrecevabilité le déclencheur du délai pour former le recours administratif obligatoire.
A. Le rejet du délai raisonnable comme référentiel temporel
Le tribunal administratif avait jugé le second recours du pétitionnaire irrecevable en se fondant sur la jurisprudence relative au délai raisonnable, qui impose au justiciable de contester une décision dans un temps limité, même en l’absence de notification des voies et délais de recours. Le principe de sécurité juridique, en effet, « fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ». Le juge du fond avait ainsi considéré que le recours administratif, formé près de trois ans après la décision initiale, excédait ce délai raisonnable.
Cependant, le Conseil d’État opère une substitution de motif et ne retient pas cette analyse. Il considère que la situation d’un requérant dont l’action est jugée irrecevable en raison de l’absence de recours préalable obligatoire est singulière. L’exercice d’un premier recours juridictionnel, bien que prématuré, manifeste une diligence qui interrompt le cours du délai raisonnable qui lui était initialement opposable. Cette interruption démontre que le justiciable n’est pas resté inactif, justifiant ainsi de ne pas lui appliquer purement et simplement le délai raisonnable à compter de la décision administrative initiale.
B. La consécration de la décision d’irrecevabilité comme nouveau point de départ
Le Conseil d’État établit une règle nouvelle et précise pour résoudre la difficulté. Il dispose que « le délai imparti par le texte applicable pour présenter un recours administratif préalable obligatoire commence à courir à compter de la notification de la première décision juridictionnelle qui rejette pour irrecevabilité le recours contentieux au motif qu’il n’a pas été précédé d’un tel recours ». Cette solution présente l’avantage d’une grande clarté. La notification de la décision de justice informant le requérant de son erreur procédurale constitue un moment certain, qui met fin à toute ambiguïté sur la marche à suivre.
En l’espèce, le délai de deux mois prévu par l’article R. 424-14 du code de l’urbanisme pour contester l’avis de l’architecte des Bâtiments de France a donc débuté à la date de notification de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 22 février 2022. Le fait que le requérant se soit pourvu en cassation contre cet arrêt est jugé sans incidence sur le déclenchement de ce délai. Le recours administratif ayant été formé le 25 juillet 2023, soit bien après l’expiration de ce délai de deux mois, il était tardif. La nouvelle saisine du tribunal administratif était par conséquent bien irrecevable, mais pour un motif différent de celui retenu par les premiers juges.
II. Une solution rigoureuse au service de la sécurité juridique
En fixant fermement le point de départ du délai à la notification de la décision juridictionnelle, le Conseil d’État conforte l’institution des recours administratifs préalables obligatoires tout en trouvant un équilibre strict entre la sanction de l’erreur initiale de l’administration et la nécessaire diligence du justiciable.
A. Le renforcement de l’institution du recours administratif préalable obligatoire
L’exigence d’un recours administratif préalable à la saisine du juge vise à favoriser un règlement non contentieux des litiges. En jugeant que le délai pour exercer ce recours court dès que le justiciable est informé par une décision de justice de son obligation, le Conseil d’État en souligne le caractère impératif. La solution empêche en effet qu’un requérant, même initialement mal informé par l’administration, puisse contourner ou différer indéfiniment cette étape procédurale une fois l’irrecevabilité de sa première action constatée.
Cette décision discipline ainsi le parcours contentieux et incite les justiciables à une plus grande rigueur. La Haute Juridiction précise que « les demandes d’annulation des arrêtés du maire de Megève dont il a saisi le tribunal administratif étaient irrecevables », car le recours devant le préfet a été formé postérieurement à l’expiration du délai. En procédant par une substitution de motif d’ordre public, le Conseil d’État réaffirme que le respect des conditions de recevabilité, et notamment l’exercice des recours préalables dans les délais, constitue une exigence fondamentale pour l’accès au juge.
B. Un équilibre strict entre la protection du justiciable et la stabilité des actes
La décision commentée opère une balance entre la garantie des droits du justiciable et l’impératif de sécurité juridique. D’une part, elle protège le requérant contre une notification administrative défaillante, en n’estimant pas le délai de recours déclenché par la décision initiale mal notifiée. L’interruption du délai raisonnable par le premier recours contentieux témoigne de cette volonté de ne pas pénaliser une première erreur procédurale excusable.
D’autre part, elle impose une diligence accrue au justiciable une fois qu’il est informé de la procédure à suivre par une décision de justice. La solution est rigoureuse, car elle ne laisse que le délai légal, en l’espèce deux mois, pour régulariser la situation, et ce, sans que le pourvoi en cassation n’ait d’effet suspensif sur ce délai. Cet arbitrage consacre la prééminence de la stabilité des situations juridiques, en empêchant que des actes administratifs, même entachés d’une irrégularité de notification, ne puissent être contestés sans limite de temps après qu’une juridiction a éclairé le requérant sur ses obligations.