Tribunal des Conflits, le 7 juillet 2025, n°C4347

Par une décision en date du 7 juillet 2025, le Tribunal des conflits a été amené à se prononcer sur la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction concernant un recours formé par une collectivité territoriale contre un refus de l’État d’assujettir un contribuable à une imposition.

En l’espèce, une commune avait délivré en 2006 un permis de construire à une société civile immobilière pour un ensemble de logements. Au lieu des taxes d’urbanisme habituelles, une participation spécifique pour programme d’aménagement d’ensemble avait été mise à la charge du constructeur. Cependant, à la suite d’un long contentieux, les titres de recettes émis par la commune pour recouvrer cette participation furent définitivement annulés par un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 21 mars 2019. La commune, privée de cette ressource, a alors demandé aux services de l’État de soumettre la société à la taxe locale d’équipement.

Face au refus de l’administration fiscale, matérialisé par deux décisions successives, la commune a saisi le tribunal administratif de Nice, qui, par une ordonnance du 19 juin 2024, a décliné sa compétence. La commune s’est ensuite tournée vers le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nice, lequel s’est également déclaré incompétent par un jugement du 23 janvier 2025, caractérisant ainsi un conflit négatif de juridiction. La question de droit qui se posait au Tribunal des conflits était donc de déterminer quel ordre de juridiction est compétent pour connaître du recours d’une collectivité territoriale contre la décision de l’État de ne pas mettre en recouvrement une taxe locale dont elle est la bénéficiaire.

Le Tribunal des conflits a jugé que « Le recours formé par une collectivité territoriale contre une décision de l’État, auquel il appartient d’établir et de recouvrer les impôts, contributions, droits et taxes dont le produit revient à la collectivité territoriale, refusant d’assujettir un contribuable à une telle imposition relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit l’ordre de juridiction compétent pour connaître, sur recours du contribuable, du contentieux d’assiette de cette imposition ». Il en a déduit la compétence de l’ordre administratif et a renvoyé l’affaire devant le tribunal administratif de Nice.

Il convient ainsi d’analyser la manière dont le Tribunal des conflits fonde la compétence administrative sur la nature spécifique du litige (I), avant d’examiner la portée de cette solution qui assure la sécurité juridique des collectivités territoriales (II).

***

I. La clarification d’une compétence contentieuse fondée sur la nature du litige

Le Tribunal des conflits opère une distinction nette entre le contentieux de l’assiette de l’impôt, qui concerne le contribuable, et le recours de la collectivité bénéficiaire contre l’État gestionnaire (A). Cette analyse consacre le juge administratif comme le juge naturel des relations entre l’État et les collectivités territoriales en matière fiscale (B).

A. La dissociation du recours de la collectivité et du contentieux de l’imposition

La décision commentée établit un critère de compétence qui ne dépend pas de la nature de la taxe en cause, mais bien de la qualité des parties et de l’objet du recours. Le litige ne portait pas sur le bien-fondé ou le montant de la taxe locale d’équipement dû par le constructeur, mais sur la légalité du refus des services de l’État de procéder à l’établissement de cette taxe. La Haute Juridiction considère que ce refus constitue une décision administrative prise par l’État dans le cadre de sa mission de gestion des impôts locaux.

En conséquence, le Tribunal des conflits écarte délibérément la question de savoir quel juge serait compétent si le contribuable lui-même avait contesté la taxe. Le cœur du raisonnement réside dans cette dissociation, qui permet de qualifier le recours de la commune comme un contentieux de pleine juridiction dirigé contre une décision de l’administration de l’État. Ce faisant, le Tribunal ancre le litige dans le champ du droit public et des prérogatives de puissance publique, ce qui justifie naturellement la compétence du juge administratif.

B. L’affirmation du juge administratif comme juge des relations entre l’État et les collectivités territoriales

En attribuant la compétence à la juridiction administrative, le Tribunal des conflits réaffirme un principe fondamental selon lequel le juge administratif est le juge des rapports entre personnes publiques, sauf exception. La relation entre l’État, chargé de l’établissement et du recouvrement des impôts locaux, et la commune, qui en est la créancière finale, est une relation de droit public par excellence. Le refus de l’État d’agir constitue un acte qui affecte directement les finances et les compétences de la collectivité territoriale.

La solution est d’autant plus logique que la décision de l’administration fiscale de ne pas assujettir la société à la taxe s’analyse comme une décision administrative unilatérale. La contestation de la légalité d’un tel acte relève classiquement du contentieux de l’excès de pouvoir ou, comme en l’espèce, d’un contentieux de pleine juridiction à caractère objectif. La décision du 7 juillet 2025 confirme ainsi que le juge administratif demeure le gardien de la légalité administrative, y compris lorsque cette légalité est contestée par une autre personne publique dans le cadre de leurs relations institutionnelles.

En consacrant la compétence du juge administratif sur le fondement de la qualité des parties et de l’objet du recours, la décision commentée produit des effets significatifs en termes de prévisibilité et d’efficacité du droit.

II. La portée d’une solution pragmatique garantissant le droit au recours

La décision du Tribunal des conflits revêt une valeur pratique importante en offrant une solution claire qui renforce la sécurité juridique des acteurs publics (A). Elle est également promise à une influence notable sur les futurs contentieux impliquant la gestion des impôts locaux (B).

A. La consécration d’une solution prévisible au service de la sécurité juridique

En posant un principe général et inconditionnel, le Tribunal des conflits met fin à une incertitude préjudiciable pour les collectivités territoriales. En l’absence d’une telle clarification, une commune confrontée à un refus de l’État se serait trouvée dans une situation complexe, obligée de déterminer au cas par cas le juge compétent en fonction de la nature de chaque impôt. La présente décision prévient le risque de déni de justice qui résultait du conflit négatif et garantit à la collectivité un juge pour entendre sa cause.

La valeur de cette solution réside dans sa simplicité : dès lors qu’une collectivité conteste une décision de l’État relative à l’établissement d’un impôt local, la juridiction administrative est compétente. Cette règle claire et univoque est un gage de sécurité juridique, car elle permet aux personnes publiques d’identifier sans ambiguïté le tribunal à saisir. Elle évite ainsi la répétition de procédures longues et coûteuses visant uniquement à déterminer le juge compétent, au détriment d’un examen du fond du droit.

B. Une influence déterminante sur les futurs contentieux fiscaux locaux

La portée de cette décision doit être qualifiée de majeure. En énonçant un principe général dans un considérant de principe, le Tribunal des conflits ne tranche pas un simple cas d’espèce mais fixe une règle jurisprudentielle destinée à s’appliquer à l’avenir. La formule « quel que soit l’ordre de juridiction compétent pour connaître, sur recours du contribuable, du contentieux d’assiette de cette imposition » confère à l’arrêt le caractère d’une décision de principe.

Cette solution aura des répercussions sur tous les contentieux similaires, qu’ils concernent les taxes d’urbanisme, la taxe foncière, ou toute autre imposition locale dont le recouvrement est assuré par l’État. Elle vient unifier la compétence juridictionnelle pour ce type de litiges et renforcer le rôle du juge administratif comme régulateur des relations financières entre l’État et les collectivités décentralisées. La décision assure ainsi une cohérence dans le traitement des recours initiés par les personnes publiques en matière fiscale, indépendamment des règles de compétence spécifiques à chaque impôt pour le redevable.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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