Première chambre civile de la Cour de cassation, le 25 juin 2025, n°24-12.723

La Cour de cassation, première chambre civile, 25 juin 2025, casse sans renvoi l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Bordeaux, 22 mars 2023. L’affaire naît de la rétention administrative d’un ressortissant étranger placée à la suite d’une obligation de quitter le territoire. La mesure a été prolongée à deux reprises en début d’année. Saisi d’une demande de mainlevée, le juge des libertés la rejette le 17 mars 2023.

L’intéressé interjette appel le 20 mars 2023 à 16 h 19. Le premier président statue le 22 mars 2023 à 16 h 30 en confirmant le rejet. En appel, l’auteur du recours soutient que le premier président devait statuer dans un délai de quarante-huit heures, à peine de dessaisissement, au regard des articles L. 743-21 et R. 743-19 du CESEDA, calculés selon les articles 640 et 642 du code de procédure civile. L’autorité administrative défend la décision confirmative, estimant le délai respecté ou sans incidence.

La question posée tient à la nature impérative du délai de quarante-huit heures imparti au premier président pour statuer sur l’appel en matière de rétention administrative et à la sanction attachée à son dépassement. La Cour énonce que « Il résulte de ces textes que le premier président, saisi de l’appel d’une ordonnance d’un juge des libertés et de la détention rendue en matière de rétention administrative, doit statuer dans les quarante-huit heures de sa saisine. » Constatant une décision rendue onze minutes après l’expiration du délai, elle censure « au-delà du délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine », retenant la violation des textes. Enfin, la Cour précise, au titre de l’issue procédurale, que « La cassation prononcée n’implique pas, en effet, qu’il soit à nouveau statué sur le fond, (…) il ne reste plus rien à juger. »

I. La réaffirmation d’un délai impératif et de sa sanction

A. Le cadre textuel et la portée du verbe « statuer »

Le cœur du contrôle repose sur les articles L. 743-21 et R. 743-19 du CESEDA, qui organisent l’appel des ordonnances rendues en matière de rétention. La Cour souligne que « le premier président (…) doit statuer dans les quarante-huit heures de sa saisine ». Ainsi, l’exigence porte sur la décision elle-même, non sur la seule tenue de l’audience. Le délai se calcule et se proroge selon les articles 640 et 642 du code de procédure civile, sauf aménagement textuel contraire, absent ici. Le point de départ est l’heure de la saisine, qui enferme le juge dans une fenêtre strictement bornée.

Cette lecture garantit la célérité d’un contentieux qui touche directement la liberté individuelle. L’exigence de statuer, plutôt que d’instruire, proscrit les reports d’office et les délibérés excédant l’ultime minute du délai. Elle évite les incertitudes de calendrier et impose une organisation juridictionnelle adaptée à l’urgence. L’office du juge d’appel se concentre alors sur un contrôle resserré, matériellement possible dans la stricte temporalité imposée.

B. Le dessaisissement automatique et l’irrégularité de la décision tardive

La Cour constate que la décision est intervenue onze minutes après l’échéance, et rappelle que « l’expiration de ce délai avait entraîné son dessaisissement ». Le premier président ne pouvait donc plus statuer; la décision rendue postérieurement est irrégulière. Le dépassement, fût-il minime, emporte nécessairement censure au visa des textes, sans contrôle d’un grief distinct. La sanction protège l’effectivité du droit au juge dans des délais réellement brefs.

Cette solution écarte toute régularisation a posteriori et marque la nature d’ordre public du délai. Le dessaisissement est une règle de compétence-temps qui clôt la saisine par l’effet du temps écoulé. La rigueur adoptée évite des traitements différenciés au gré des charges de rôle. La prévisibilité l’emporte, car la borne temporelle devient intangible.

II. La valeur et la portée d’une rigueur temporelle assumée

A. Une garantie procédurale au service de la liberté

La solution s’accorde avec la finalité protectrice du contrôle juridictionnel de la rétention. En rappelant que « le premier président (…) doit statuer dans les quarante-huit heures », la Cour consacre une garantie procédurale forte. La brièveté du délai n’est pas un simple standard de bonne administration de la justice; elle constitue une condition de validité de la décision. La sanction du moindre retard incite à une conduite d’audience disciplinée.

Cette rigueur favorise l’égalité des justiciables, indépendamment des aléas d’organisation. Elle dissuade les glissements d’horaires et les délibérés tardifs dans un contentieux d’urgence. Elle conforte aussi la lisibilité pour les parties, qui mesurent l’issue contentieuse à un horizon ferme. La sécurité juridique en sort renforcée, sans restreindre le contrôle de fond dans la limite impartie.

B. Des conséquences pratiques claires: cassation sans renvoi et pilotage des audiences

La Cour décide qu’« il ne reste plus rien à juger » et prononce la cassation sans renvoi, sur le fondement combiné du code de l’organisation judiciaire et du code de procédure civile. Le dépassement du délai clôt l’instance d’appel par l’effet de dessaisissement, rendant inutile toute réouverture. La solution évite une remise en cause artificielle de délais déjà expirés et stabilise la situation procédurale. Elle correspond à la logique même d’un contentieux de l’urgence.

Pour la pratique, la décision impose un pilotage fin des audiences et des délibérés. L’appel doit être audiencé et jugé dans la fenêtre de quarante-huit heures, avec notification prête. À défaut, la juridiction s’expose à une cassation automatique pour décision tardive. La portée de l’arrêt est incitative et normative; elle consolide un standard opérationnel désormais difficilement discutable. En définitive, la rigueur temporelle sert de boussole à l’ensemble des acteurs du contentieux de la rétention.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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