Juge des référés du Conseil d’État, le 16 avril 2025, n°503408

Par une ordonnance en date du 16 avril 2025, le juge des référés du Conseil d’État s’est prononcé sur une requête introduite sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. En l’espèce, un particulier faisait l’objet d’une mesure d’expulsion de son domicile consécutive à une saisie immobilière. Le préfet de l’Isère avait accordé, par une décision du 4 octobre 2022, le concours de la force publique afin de procéder à l’exécution forcée de la mesure. L’intéressé, qui hébergeait par ailleurs des personnes en situation de vulnérabilité, a saisi le juge des référés du Conseil d’État en premier et dernier ressort. Il demandait la suspension de la décision préfectorale, l’expulsion des adjudicataires du bien, ainsi que d’autres mesures de protection et la transmission du dossier au parquet. Le requérant invoquait notamment une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales, telles que le droit à la vie, le droit de propriété et la dignité humaine. Saisi de ces conclusions, le juge des référés a examiné sa propre compétence pour statuer sur une telle demande. La question de droit qui se posait était donc de savoir si le juge des référés du Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort d’une demande en référé-liberté lorsque le litige au fond, auquel la mesure d’urgence se rattache, ne ressortit pas lui-même à la compétence de la haute juridiction. Le juge des référés a répondu par la négative, en affirmant que « ce recours n’est manifestement pas au nombre de ceux dont il appartient au Conseil d’Etat de connaître ». Il a par conséquent rejeté la requête par une ordonnance prise sur le fondement de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, qui permet d’écarter sans instruction ni audience les demandes manifestement irrecevables ou mal fondées.

Il convient ainsi d’examiner la logique procédurale stricte qui fonde le rejet de la requête pour incompétence manifeste (I), avant d’étudier la portée de cette orthodoxie contentieuse dans le cadre spécifique du référé-liberté (II).

I. Une application rigoureuse des règles de compétence contentieuse

Le juge des référés du Conseil d’État justifie sa décision de rejet en s’appuyant sur une interprétation stricte des règles qui gouvernent la recevabilité des requêtes en référé, en liant sa compétence à celle de la juridiction du fond (A) et en mobilisant un mécanisme de tri procédural (B).

A. Le principe de la liaison des compétences en référé et au fond

La décision commentée rappelle une règle fondamentale de l’organisation du contentieux administratif : la compétence du juge des référés est déterminée par celle de la formation de jugement qui serait compétente pour statuer sur le litige au principal. Le juge le souligne au considérant 2 de son ordonnance, en précisant que le Conseil d’État ne peut être saisi en référé « que pour autant que le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d’urgence […] ressortit lui-même à la compétence du Conseil d’Etat ». En l’espèce, la décision contestée était un arrêté préfectoral accordant le concours de la force publique. Un tel acte administratif relève, en premier ressort, de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve l’autorité qui l’a édicté.

Par conséquent, le litige au fond ne relevant pas de la compétence directe du Conseil d’État, celui-ci ne pouvait logiquement pas connaître de la demande de mesure d’urgence qui s’y rattachait. Le raisonnement du juge des référés est donc parfaitement orthodoxe et garantit le respect de la répartition des compétences entre les différents degrés de la juridiction administrative. Il s’interdit de connaître d’une affaire pour laquelle il n’est pas le juge naturel, appliquant ainsi le principe selon lequel l’accessoire suit le principal. Cette approche assure une cohérence dans le traitement des affaires, en évitant que le juge des référés de la haute juridiction ne devienne une porte d’entrée pour des litiges qui ne lui sont pas dévolus.

B. La mise en œuvre d’une procédure de rejet manifeste

Pour matérialiser son incompétence, le juge des référés a eu recours à la procédure de l’ordonnance de tri prévue à l’article L. 522-3 du code de justice administrative. Ce mécanisme lui permet de rejeter une requête « sans instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée ». L’emploi du terme « manifestement » dans le considérant 3, où il est jugé que le recours « n’est manifestement pas au nombre de ceux dont il appartient au Conseil d’Etat de connaître », justifie l’application de cette procédure accélérée.

Le caractère évident de l’incompétence a dispensé le juge de toute instruction complémentaire. Cette solution, bien que sévère pour le requérant qui n’a pas pu développer ses arguments lors d’une audience, est un outil essentiel de bonne administration de la justice. Elle permet d’écarter rapidement les requêtes qui engorgeraient inutilement le prétoire du juge des référés du Conseil d’État et qui sont vouées à l’échec pour des motifs de pure procédure. La décision illustre ainsi l’office du juge des référés non seulement comme protecteur des libertés, mais aussi comme régulateur du flux contentieux.

Cette solution, procéduralement fondée, n’est pas sans conséquence pour le justiciable et illustre la place du juge des référés comme gardien de sa propre compétence, ce qui mérite d’en analyser la portée.

II. La portée du contrôle de la compétence en matière de référé-liberté

La décision, en appliquant sans détour les règles de compétence, réaffirme la structure hiérarchique de l’ordre juridictionnel administratif (A), tout en soulignant implicitement les devoirs qui incombent au requérant dans la conduite de son action en justice (B).

A. La préservation de la cohérence de l’organisation juridictionnelle

En se déclarant incompétent, le juge des référés du Conseil d’État ne statue pas seulement sur un cas d’espèce ; il réaffirme le principe selon lequel le double degré de juridiction est la règle en contentieux administratif, y compris en matière d’urgence. Accepter de statuer sur cette requête aurait créé une rupture d’égalité entre les justiciables et aurait encouragé une forme de « forum shopping », où les requérants tenteraient leur chance directement devant la plus haute juridiction en espérant une solution plus rapide ou plus favorable. La décision a donc une portée pédagogique en ce qu’elle rappelle que le Conseil d’État n’est juge de premier et dernier ressort que dans des cas limitativement énumérés par le code de justice administrative.

La solution garantit ainsi que le tribunal administratif, juge de droit commun du contentieux administratif, puisse exercer pleinement son office de premier juge de l’urgence. C’est en effet devant le juge du fond potentiel que les faits et les arguments peuvent être le plus efficacement débattus dans un premier temps. La rigueur de la position du Conseil d’État préserve l’équilibre de l’architecture juridictionnelle et assure que la haute juridiction conserve son rôle de cassation ou d’appel, sauf exception.

B. La situation du requérant face à l’office du juge

Cette ordonnance de rejet met en lumière la responsabilité qui pèse sur le justiciable, même dans le cadre d’une procédure d’urgence visant à la sauvegarde d’une liberté fondamentale. L’invocation d’une atteinte grave et manifestement illégale à une telle liberté ne suffit pas à faire tomber les règles de compétence d’attribution. Le juge du référé-liberté, si prompt soit-il à agir pour protéger les droits, ne peut outrepasser les limites de sa propre saisine. Son office se borne ici à un constat procédural, sans qu’il puisse examiner, même sommairement, le bien-fondé des atteintes alléguées.

Pour le requérant, la conséquence est directe : sa demande de protection est rejetée et il doit, s’il souhaite obtenir une mesure de sauvegarde, saisir le juge compétent, à savoir le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble. Bien que le rejet ne l’empêche pas de reformuler sa demande devant la bonne juridiction, il entraîne une perte de temps qui peut être préjudiciable dans un contexte d’urgence. La décision rappelle ainsi que l’effectivité du référé-liberté dépend non seulement de la célérité du juge, mais aussi de la diligence du requérant dans le choix de la juridiction à saisir.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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