Juge des référés du Conseil d’État, le 16 avril 2025, n°503138

Par une ordonnance en date du 16 avril 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été amené à se prononcer sur l’étendue de son office dans le cadre d’une procédure de référé-liberté, notamment lorsque la mesure administrative contestée a déjà produit ses effets. En l’espèce, une autorité préfectorale avait, par un arrêté du 13 mars 2025, mis en demeure plusieurs personnes occupant illégalement une parcelle de quitter les lieux dans un délai de vingt-quatre heures, sous peine d’une expulsion forcée. Les occupants ont alors saisi en urgence le juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin d’obtenir la suspension de cette décision ainsi que des mesures d’accompagnement social. Par une ordonnance du 17 mars 2025, soit après la mise en œuvre de l’évacuation, le juge de première instance a rejeté leur demande. L’un des requérants a interjeté appel de cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d’État. Il soutenait que le rejet de sa demande au motif de l’exécution de la mesure portait atteinte à son droit à un recours effectif et que l’expulsion constituait une ingérence disproportionnée et discriminatoire dans sa vie privée et familiale. Se posait alors au juge d’appel la question de savoir si le caractère déjà exécutoire d’une décision administrative privait d’objet une demande de suspension en référé-liberté, et dans quelle mesure le demandeur devait étayer des conclusions tendant à une injonction positive. Le juge des référés du Conseil d’État rejette la requête. Il estime que le premier juge a pu, à bon droit, constater que la demande de suspension était devenue sans objet dès lors que l’arrêté avait été exécuté. Il ajoute que les conclusions annexes, visant à l’obtention d’un hébergement d’urgence, n’étaient étayées par aucune précision ou justification, que ce soit en première instance ou en appel, ce qui justifiait leur rejet manifeste.

La Haute Juridiction administrative, par cette décision, réaffirme la fonction essentiellement préventive du référé-liberté, le subordonnant à la persistance d’un trouble à l’ordre public (I), tout en rappelant avec rigueur les exigences probatoires qui pèsent sur le requérant sollicitant des mesures positives (II).

I. La fonction préventive du référé-liberté confirmée face à une décision exécutée

L’ordonnance commentée illustre avec clarté la portée de l’office du juge du référé-liberté, dont l’intervention vise à prévenir une atteinte plutôt qu’à la réparer. Cette logique conduit à admettre le rejet d’une demande de suspension lorsque la mesure est déjà exécutée (A), une solution qui ne contrevient pas, selon le juge, au droit à un recours effectif (B).

A. La perte d’objet de la demande de suspension

Le juge des référés du Conseil d’État valide sans réserve le raisonnement du premier juge qui avait rejeté la demande de suspension de l’arrêté préfectoral. Le motif en est simple et relève d’une logique pragmatique : on ne saurait suspendre ce qui n’existe plus. En effet, la procédure de référé-liberté, conçue pour apporter une réponse rapide à une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, est par nature tournée vers l’avenir. Son but est d’empêcher la réalisation d’un dommage imminent ou de faire cesser un trouble existant. Or, en l’espèce, l’évacuation forcée avait eu lieu avant que le juge de première instance ne statue. La décision administrative avait donc épuisé tous ses effets. Dans ces conditions, le Conseil d’État considère que le juge « a pu à bon droit (…) rejeter la demande tendant à la suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral au motif que cet arrêté avait été exécuté ». Une mesure de suspension aurait été dépourvue de toute utilité pratique, se heurtant à une situation de fait irréversible dans le cadre de cette procédure d’urgence. Cette position constante rappelle que le référé-liberté n’est pas une voie de recours destinée à constater a posteriori l’illégalité d’une action administrative pour en tirer des conséquences, rôle qui est dévolu au juge du fond.

B. Une interprétation stricte du droit au recours effectif

Face à cet argument de perte d’objet, le requérant opposait une violation du droit à un recours effectif, garanti notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il suggérait en substance que l’extrême brièveté du délai laissé par l’administration avant l’exécution de sa décision le privait en pratique de la possibilité d’obtenir une protection juridictionnelle utile. Le juge des référés écarte cet argument de manière péremptoire, estimant que le rejet pour perte d’objet a pu intervenir « sans méconnaître le droit à un recours effectif ». Par cette formule, il signifie que le droit à un recours effectif n’implique pas que toute voie de droit doive rester ouverte et efficace en toutes circonstances. Ce droit se trouve respecté dès lors qu’il existe une procédure permettant au justiciable de contester la légalité de la décision et d’obtenir, le cas échéant, réparation de son préjudice. Cette procédure existe bien en l’espèce, à travers le recours pour excès de pouvoir, éventuellement assorti d’une demande indemnitaire, qui peut être exercé au fond. La décision souligne ainsi que chaque procédure a un objet propre et que le référé-liberté ne saurait être dénaturé pour pallier les effets de la rapidité de l’action administrative, même si cette dernière place le justiciable dans une situation délicate.

II. Le rappel des exigences probatoires pesant sur le requérant

Au-delà de la question de la suspension, l’ordonnance se prononce sur les demandes d’injonctions positives formulées par le requérant. À cet égard, la décision se distingue par sa rigueur, soulignant la carence du demandeur dans l’administration de la preuve (A), ce qui confère à cette solution le caractère d’une décision d’espèce (B).

A. L’absence de substantiation de la demande d’hébergement

Le requérant ne se contentait pas de demander la suspension de l’expulsion ; il sollicitait également qu’il soit enjoint à l’administration de lui fournir un hébergement d’urgence. Le juge des référés rejette cette demande au motif d’un défaut total de substantiation. Il relève que les conclusions en première instance « n’étaient assorties d’aucune précision ni justificatif » et que le requérant en appel « n’apporte aucun élément nouveau à cet égard ». Le juge va plus loin en notant que la requête ne contient « ni de précisions ni même d’allégations quant à d’éventuelles démarches entreprises par les intéressés ». Cette motivation met en lumière une exigence fondamentale de la procédure contentieuse : il appartient au demandeur d’étayer ses prétentions. Le juge administratif, même en référé, n’a pas pour rôle de se substituer au requérant dans la constitution de son dossier. Pour qu’une demande d’injonction positive puisse prospérer, le justiciable doit fournir des éléments concrets permettant au juge d’apprécier la réalité et l’urgence de sa situation, sa vulnérabilité éventuelle, ainsi que les diligences qu’il a accomplies auprès des services compétents. En l’absence de tout commencement de preuve, le juge ne peut que constater l’impossibilité de se prononcer sur le bien-fondé de la demande.

B. Une solution d’espèce à la portée limitée

Le rejet de la requête, y compris sur le volet de la demande d’hébergement, est prononcé sur le fondement de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, qui permet au juge des référés de rejeter par ordonnance une requête manifestement mal fondée. Ce choix procédural n’est pas anodin. Il indique que la décision a été prise au vu du seul dossier de la requête, sans instruction contradictoire approfondie, en raison de l’évidence de la solution. Par conséquent, cette ordonnance doit être lue comme une décision d’espèce, entièrement motivée par les carences du dossier présenté par le requérant. Elle ne saurait être interprétée comme une remise en cause du droit à l’hébergement d’urgence en tant que liberté fondamentale, ni comme une fin de non-recevoir de principe à de telles demandes dans le cadre d’un référé-liberté. La décision laisse au contraire entendre qu’une requête similaire, mais dûment étayée par des pièces justificatives démontrant une situation de détresse et des démarches préalables infructueuses, aurait pu connaître un sort différent. La portée de l’arrêt est donc moins de définir le droit que de rappeler les obligations procédurales du demandeur.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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