L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 28 mars 1996 offre une précision substantielle sur la marge de manœuvre accordée aux États membres en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux opérations immobilières. En l’espèce, une commune néerlandaise avait procédé à la livraison de plusieurs terrains non bâtis mais destinés à la construction, après y avoir réalisé des travaux de viabilisation tels que l’installation de rues, d’égouts et de raccordements aux divers réseaux. L’administration fiscale avait assujetti cette opération à la taxe sur le chiffre d’affaires, considérant qu’il s’agissait de la livraison d’un « bien immeuble transformé » au sens de la législation nationale. La commune, contestant cette analyse, soutenait que les terrains ne pouvaient être qualifiés comme tels et a formé un recours. Saisie du litige, la juridiction néerlandaise, le Gerechtshof te Leeuwarden, a constaté l’absence de définition législative précise de la notion de « terrain à bâtir » dans son droit interne et a décidé de surseoir à statuer. Elle a alors posé à la Cour de justice une question préjudicielle visant à interpréter les dispositions combinées des articles 13 B, sous h), et 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive TVA. La question fondamentale était de savoir si la notion de « terrain aménagé » devait recevoir une définition communautaire uniforme, et si certains travaux spécifiques de viabilisation suffisaient à conférer cette qualité à un terrain. La Cour de justice répond que la sixième directive renvoie expressément aux États membres le soin de définir ce qu’est un terrain à bâtir, leur laissant ainsi une compétence de principe en la matière.
Cette solution consacre la compétence des États membres pour définir la notion de terrain à bâtir (I), tout en l’encadrant par la finalité des dispositions de la directive (II).
I. La consécration de la compétence des États membres dans la définition du terrain à bâtir
La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation littérale et téléologique des textes communautaires, affirmant ainsi que la définition du terrain à bâtir relève d’un renvoi explicite au droit national (A), ce qui s’inscrit dans une logique de subsidiarité particulièrement marquée en matière fiscale (B).
A. Un renvoi explicite opéré par la directive
L’analyse de la Cour repose principalement sur la rédaction de l’article 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive. Ce texte dispose que les États membres peuvent considérer comme assujetti la livraison d’un terrain à bâtir, et précise : « Sont considérés comme terrains à bâtir les terrains nus ou aménagés définis comme tels par les États membres. » Pour la Cour, cette formulation ne laisse place à aucune ambiguïté et constitue une délégation claire de compétence. Elle souligne que le législateur communautaire a volontairement laissé aux ordres juridiques nationaux le soin de déterminer les critères de qualification d’un terrain à bâtir.
Cette interprétation est renforcée par l’historique de la directive. Comme le relève la Cour, « la proposition initiale ainsi que la proposition modifiée de la sixième directive présentées par la Commission comportaient une définition commune des terrains à bâtir. Toutefois, le Conseil n’a retenu aucune de ces propositions et s’en est remis finalement aux définitions des États membres. » Ce choix délibéré du Conseil de ne pas harmoniser cette notion témoigne de la volonté de préserver les spécificités nationales dans un domaine, l’urbanisme et la politique foncière, étroitement lié à la souveraineté des États. En refusant de fournir une définition uniforme, la Cour respecte cette volonté politique et se garde de se substituer au législateur.
B. Une solution conforme à la logique de subsidiarité en matière fiscale
La décision s’inscrit dans le cadre plus large du principe de subsidiarité qui gouverne le partage des compétences entre l’Union et ses États membres. En matière fiscale, la souveraineté des États demeure le principe, l’harmonisation constituant l’exception. La taxe sur la valeur ajoutée, bien que régie par un système commun, n’échappe pas à cette règle, et de nombreuses dispositions de la sixième directive laissent aux États des facultés d’option ou des compétences de définition. Le renvoi opéré par l’article 4, paragraphe 3, sous b), en est une parfaite illustration.
En validant cette approche, la Cour reconnaît que la qualification d’un terrain en « terrain à bâtir » dépend de considérations d’urbanisme, d’aménagement du territoire et de politique économique qui sont propres à chaque État membre. Une définition unique à l’échelle communautaire aurait risqué de ne pas être adaptée à la diversité des situations locales. La solution retenue permet ainsi à chaque législation nationale de déterminer, en fonction de son contexte, à partir de quel moment un terrain est considéré comme apte à recevoir une construction et doit, à ce titre, entrer dans le champ de la TVA lors de sa livraison. La Cour confirme donc une approche pragmatique qui favorise la flexibilité et l’autonomie des États dans la mise en œuvre du système commun de TVA.
Si la compétence des États membres est ainsi clairement affirmée, la Cour prend soin de préciser qu’elle n’est pas pour autant illimitée, celle-ci devant s’exercer dans le respect des objectifs poursuivis par la directive.
II. L’encadrement de la compétence étatique par les objectifs de la directive
La liberté laissée aux États membres pour définir le terrain à bâtir n’est pas absolue. La Cour rejette une approche qui viderait l’exception à l’exonération de sa substance (A) et pose la finalité de la disposition comme la véritable limite à la compétence nationale (B).
A. Le rejet d’une interprétation restrictive de la notion
L’un des arguments soulevés devant la Cour était que les exonérations prévues à l’article 13 de la directive devaient être interprétées strictement, et que, par symétrie, les exceptions à ces exonérations devaient être interprétées largement. La Commission soutenait ainsi que la notion de terrain à bâtir devait englober l’ensemble des terrains constructibles, qu’ils soient aménagés ou non. La Cour, sans suivre complètement la Commission sur la portée à donner à la définition, écarte implicitement toute tentative par un État membre de retenir une définition excessivement restrictive qui irait à l’encontre du système de la directive.
De plus, la Cour analyse l’expression « terrains nus ou aménagés » pour en clarifier la portée. Elle juge que « l’emploi de la conjonction ‘ou’ que cette disposition est indifférente aux transformations éventuellement subies par les terrains en cause. » L’expression vise donc les terrains qui, quel que soit leur état matériel, sont définis par les États membres comme étant destinés à la construction. Cette précision est importante car elle empêche un État de limiter la notion de terrain à bâtir aux seuls terrains ayant fait l’objet de travaux matériels, si d’autres terrains sont objectivement destinés à la construction selon ses propres règles d’urbanisme.
B. La finalité de la disposition comme seule véritable limite
La limite fondamentale à la discrétion des États membres réside dans l’objectif de la disposition elle-même. La Cour conclut son raisonnement en posant une borne téléologique claire. Elle énonce que, si les États membres sont compétents pour définir les termes de l’exonération, « ceux-ci doivent respecter l’objectif poursuivi par l’article 13 B, sous h), de la sixième directive, qui vise à n’exonérer de la taxe que les seules livraisons de terrains non bâtis qui ne sont pas destinés à supporter un édifice. »
En d’autres termes, la liberté de définition accordée aux États ne doit pas être utilisée pour créer une exonération détournée. Un État ne pourrait, par exemple, définir la notion de « terrain à bâtir » de manière si restrictive qu’elle exclurait des terrains manifestement destinés à être construits, neutralisant ainsi l’exception à l’exonération prévue par la directive. La définition nationale, quelle qu’elle soit, doit donc permettre de distinguer de manière cohérente et objective les terrains voués à la construction, dont la livraison doit être taxée, de ceux qui ne le sont pas, dont la livraison reste exonérée. C’est donc le but de la loi communautaire, à savoir l’imposition des opérations s’inscrivant dans un processus économique de construction, qui constitue la seule et véritable boussole guidant la compétence normative des États membres.