Cour d’appel de Rennes, le 24 juin 2025, n°22/06539
Cour d’appel de Rennes, 24 juin 2025, tranche un contentieux relatif à l’extinction d’une servitude de passage conventionnelle grevant un fonds rural. Une donation intervenue en 1996 avait institué un passage sur le fonds voisin, tandis que des mutations ultérieures, assorties en 2011 d’une seconde servitude destinée à desservir un lot créé, ont compliqué la desserte. Le propriétaire actuel du fonds servant a sollicité l’extinction de la servitude de 1996 en arguant de la disparition de l’enclave, provoquée par la nouvelle desserte mise en place en 2011.
Le tribunal judiciaire de Brest, le 13 octobre 2022, a constaté l’extinction de la servitude de 1996, alloué une indemnité au fonds servant et débouté la demande de procédure abusive. Les bénéficiaires de la servitude de 1996 ont interjeté appel, soulevant notamment l’irrecevabilité pour défaut de publicité foncière de l’assignation et contestant toute extinction. La cour confirme la recevabilité, refuse l’extinction, déboute des demandes de remise en état et de dommages-intérêts, et maintient le rejet de l’abus. La question de droit portait, d’une part, sur l’exigence d’une publicité foncière préalable pour une action tournée vers l’avenir, et, d’autre part, sur les conditions d’extinction d’une servitude conventionnelle en cas de cessation alléguée de l’enclave.
I. La recevabilité sans publicité foncière préalable
A. La nature de l’action et le champ du décret de 1955 La cour distingue l’action tendant à l’anéantissement rétroactif, soumise à publicité, de l’action tournée vers l’avenir, étrangère à cette formalité. Elle rappelle, dans une formule décisive, que « La publicité foncière n’est exigée, à peine d’irrecevabilité, que pour les demandes en justice tendant à l’anéantissement rétroactif d’un droit antérieurement publié ». L’objet de la prétention visait la constatation d’une extinction pour l’avenir, sans remettre en cause la validité passée du titre. La cour précise, en droite ligne, que « Une telle action ne peut être assimilée à une action en résolution ou en annulation au sens du décret précité, dès lors qu’elle ne remet pas en cause la validité de l’acte entier […], mais qu’elle vise seulement à en remanier très partiellement le contenu ». La recevabilité est donc confirmée, le débat demeurant cantonné à l’avenir de la charge réelle.
B. Portée pratique de la distinction et sécurité des transmissions Cette solution préserve l’économie de la publicité foncière en la réservant aux actions destructrices du droit publié, sans paralyser les demandes de réaménagement prospectif. Elle garantit aussi la sécurité des transmissions, l’historique publié demeurant intangible, tandis que la prétention ne vise qu’une adaptation des charges au regard de circonstances nouvelles. Le juge adopte ainsi une lecture mesurée des articles 28 et 30 du décret de 1955, conciliant l’effectivité des actions relatives aux servitudes et la fiabilité du fichier immobilier, sans excès formaliste.
II. La persistance de la servitude conventionnelle et ses conséquences
A. L’absence de désenclavement comme cause déterminante de la servitude La cour rappelle la règle cardinale de l’extinction en cas de cessation d’enclave, en citant l’article 685-1: « en cas de cessation de l’enclave et quelle que soit la manière dont l’assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l’extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l’article 682 ». Elle encadre ensuite le contrôle à opérer, conformément à la jurisprudence: « Pour constater l’extinction d’une servitude de passage, les juges du fond doivent rechercher si le désenclavement de la parcelle était la cause déterminante de la constitution de la servitude et, le cas échéant, vérifier si la parcelle a été désenclavée par un acte authentique postérieur (Civ. 3ème, 27 janvier 2015, n° 13-24.927) ». Or, l’instruction fait ressortir une servitude initiale de convenance et non un désenclavement nécessaire. La cour énonce que « La création d’une servitude de passage sur le fonds ZL n° [Cadastre 11] (…) ne pouvait être considérée comme ayant été motivée par la nécessité de désenclaver la parcelle [Cadastre 23], qui n’était aucunement enclavée ». Le mécanisme d’extinction prévu par l’article 685-1 ne trouve pas à s’appliquer, la cause déterminante d’origine n’étant pas l’enclave légale visée par l’article 682.
La seconde servitude créée en 2011 répondait à une situation née des divisions ultérieures et à la desserte d’un lot particulier. Elle ne révèle pas, pour autant, que la charge de 1996 avait pour finalité essentielle le désenclavement. La cour maintient ainsi la robustesse des servitudes conventionnelles de simple commodité, insusceptibles d’extinction automatique par l’apparition d’une desserte alternative.
B. L’usage autorisé, l’absence d’aggravation et l’échec des demandes indemnitaires S’agissant de l’usage, la cour rappelle la norme de l’article 702: « celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire, ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier ». Elle fixe le critère d’appréciation, fidèle à la jurisprudence: « L’appréciation de l’aggravation de la servitude s’apprécie à travers la conformité de l’usage par rapport aux prescriptions du titre, et ce indépendamment du préjudice éventuellement subi par le fonds servant (Civ. 3ème, 6 février 2013, n° 11-17.132) ». Le titre stipulait un passage « pour tous usages et en tous temps », ce qui légitime l’emploi d’engins agricoles dès lors que l’assiette n’est pas modifiée ni élargie.
L’examen in concreto ne révèle pas une aggravation illicite. La cour note que les désordres constatés relèvent de l’environnement rural, et tranche nettement: « Ces indications font en réalité état d’un environnement agricole […] qui ne sauraient caractériser une aggravation de la servitude au regard de sa nature fondamentalement agricole ». Par cohérence, l’injonction de remise en état est écartée, la preuve d’un état antérieur exigeant faisant défaut: « il ne sera pas fait droit […] à la demande […] de remise en état des lieux, les deux photographies remises étant nettement insuffisantes pour caractériser l’état antérieur revendiqué ». Les demandes indemnitaires sont déboutées, faute de démonstration d’un préjudice imputable et d’un usage contraire au titre, tandis que la critique en procédure abusive demeure sans emprise sur un débat juridique sérieux.
En définitive, la décision articule une double exigence: contrôle strict de la cause déterminante pour l’extinction d’une servitude conventionnelle, et fidélité au titre quant à l’usage autorisé. Elle conforte la stabilité des charges réelles issues de la volonté des propriétaires, tout en rappelant que l’extinction pour cessation d’enclave reste d’interprétation stricte au regard de l’article 685-1.
Cour d’appel de Rennes, 24 juin 2025, tranche un contentieux relatif à l’extinction d’une servitude de passage conventionnelle grevant un fonds rural. Une donation intervenue en 1996 avait institué un passage sur le fonds voisin, tandis que des mutations ultérieures, assorties en 2011 d’une seconde servitude destinée à desservir un lot créé, ont compliqué la desserte. Le propriétaire actuel du fonds servant a sollicité l’extinction de la servitude de 1996 en arguant de la disparition de l’enclave, provoquée par la nouvelle desserte mise en place en 2011.
Le tribunal judiciaire de Brest, le 13 octobre 2022, a constaté l’extinction de la servitude de 1996, alloué une indemnité au fonds servant et débouté la demande de procédure abusive. Les bénéficiaires de la servitude de 1996 ont interjeté appel, soulevant notamment l’irrecevabilité pour défaut de publicité foncière de l’assignation et contestant toute extinction. La cour confirme la recevabilité, refuse l’extinction, déboute des demandes de remise en état et de dommages-intérêts, et maintient le rejet de l’abus. La question de droit portait, d’une part, sur l’exigence d’une publicité foncière préalable pour une action tournée vers l’avenir, et, d’autre part, sur les conditions d’extinction d’une servitude conventionnelle en cas de cessation alléguée de l’enclave.
I. La recevabilité sans publicité foncière préalable
A. La nature de l’action et le champ du décret de 1955
La cour distingue l’action tendant à l’anéantissement rétroactif, soumise à publicité, de l’action tournée vers l’avenir, étrangère à cette formalité. Elle rappelle, dans une formule décisive, que « La publicité foncière n’est exigée, à peine d’irrecevabilité, que pour les demandes en justice tendant à l’anéantissement rétroactif d’un droit antérieurement publié ». L’objet de la prétention visait la constatation d’une extinction pour l’avenir, sans remettre en cause la validité passée du titre. La cour précise, en droite ligne, que « Une telle action ne peut être assimilée à une action en résolution ou en annulation au sens du décret précité, dès lors qu’elle ne remet pas en cause la validité de l’acte entier […], mais qu’elle vise seulement à en remanier très partiellement le contenu ». La recevabilité est donc confirmée, le débat demeurant cantonné à l’avenir de la charge réelle.
B. Portée pratique de la distinction et sécurité des transmissions
Cette solution préserve l’économie de la publicité foncière en la réservant aux actions destructrices du droit publié, sans paralyser les demandes de réaménagement prospectif. Elle garantit aussi la sécurité des transmissions, l’historique publié demeurant intangible, tandis que la prétention ne vise qu’une adaptation des charges au regard de circonstances nouvelles. Le juge adopte ainsi une lecture mesurée des articles 28 et 30 du décret de 1955, conciliant l’effectivité des actions relatives aux servitudes et la fiabilité du fichier immobilier, sans excès formaliste.
II. La persistance de la servitude conventionnelle et ses conséquences
A. L’absence de désenclavement comme cause déterminante de la servitude
La cour rappelle la règle cardinale de l’extinction en cas de cessation d’enclave, en citant l’article 685-1: « en cas de cessation de l’enclave et quelle que soit la manière dont l’assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l’extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l’article 682 ». Elle encadre ensuite le contrôle à opérer, conformément à la jurisprudence: « Pour constater l’extinction d’une servitude de passage, les juges du fond doivent rechercher si le désenclavement de la parcelle était la cause déterminante de la constitution de la servitude et, le cas échéant, vérifier si la parcelle a été désenclavée par un acte authentique postérieur (Civ. 3ème, 27 janvier 2015, n° 13-24.927) ». Or, l’instruction fait ressortir une servitude initiale de convenance et non un désenclavement nécessaire. La cour énonce que « La création d’une servitude de passage sur le fonds ZL n° [Cadastre 11] (…) ne pouvait être considérée comme ayant été motivée par la nécessité de désenclaver la parcelle [Cadastre 23], qui n’était aucunement enclavée ». Le mécanisme d’extinction prévu par l’article 685-1 ne trouve pas à s’appliquer, la cause déterminante d’origine n’étant pas l’enclave légale visée par l’article 682.
La seconde servitude créée en 2011 répondait à une situation née des divisions ultérieures et à la desserte d’un lot particulier. Elle ne révèle pas, pour autant, que la charge de 1996 avait pour finalité essentielle le désenclavement. La cour maintient ainsi la robustesse des servitudes conventionnelles de simple commodité, insusceptibles d’extinction automatique par l’apparition d’une desserte alternative.
B. L’usage autorisé, l’absence d’aggravation et l’échec des demandes indemnitaires
S’agissant de l’usage, la cour rappelle la norme de l’article 702: « celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire, ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier ». Elle fixe le critère d’appréciation, fidèle à la jurisprudence: « L’appréciation de l’aggravation de la servitude s’apprécie à travers la conformité de l’usage par rapport aux prescriptions du titre, et ce indépendamment du préjudice éventuellement subi par le fonds servant (Civ. 3ème, 6 février 2013, n° 11-17.132) ». Le titre stipulait un passage « pour tous usages et en tous temps », ce qui légitime l’emploi d’engins agricoles dès lors que l’assiette n’est pas modifiée ni élargie.
L’examen in concreto ne révèle pas une aggravation illicite. La cour note que les désordres constatés relèvent de l’environnement rural, et tranche nettement: « Ces indications font en réalité état d’un environnement agricole […] qui ne sauraient caractériser une aggravation de la servitude au regard de sa nature fondamentalement agricole ». Par cohérence, l’injonction de remise en état est écartée, la preuve d’un état antérieur exigeant faisant défaut: « il ne sera pas fait droit […] à la demande […] de remise en état des lieux, les deux photographies remises étant nettement insuffisantes pour caractériser l’état antérieur revendiqué ». Les demandes indemnitaires sont déboutées, faute de démonstration d’un préjudice imputable et d’un usage contraire au titre, tandis que la critique en procédure abusive demeure sans emprise sur un débat juridique sérieux.
En définitive, la décision articule une double exigence: contrôle strict de la cause déterminante pour l’extinction d’une servitude conventionnelle, et fidélité au titre quant à l’usage autorisé. Elle conforte la stabilité des charges réelles issues de la volonté des propriétaires, tout en rappelant que l’extinction pour cessation d’enclave reste d’interprétation stricte au regard de l’article 685-1.