Cour d’appel de Paris, le 9 juillet 2025, n°24/13618
Par arrêt du 9 juillet 2025, la Cour d’appel de Paris statue sur l’application de l’article L 442-1, II, du code de commerce à la cessation d’une autorisation d’occupation d’un parking par un commerçant ambulant. L’enjeu se concentre sur la qualification d’une relation commerciale établie et, subsidiairement, sur l’évaluation du préjudice en cas de rupture brutale.
Un fonds ambulant est cédé fin 2021 avec, en amont de la vente, une attestation autorisant l’installation sur le parking d’une boulangerie voisine. L’acquéreur exploite dès janvier 2022, avant qu’une demande de libération des lieux ne lui soit notifiée en juin 2022, suivie d’une mise en demeure.
Le tribunal de commerce de Bordeaux, 23 octobre 2023, déboute l’acquéreur de toutes ses demandes, notamment fondées sur la rupture brutale. Appel est interjeté le 14 novembre 2023. Le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Bordeaux, 28 juin 2024, disjoint la demande au titre de l’article L 442-1, II, et la renvoie devant la Cour d’appel de Paris.
L’appelante sollicite l’indemnisation d’un préjudice financier et moral, en soutenant l’existence d’une relation établie poursuivie après la cession. L’intimée conteste toute relation commerciale et tout flux d’affaires, invoque l’absence de contrepartie, ainsi que la brièveté des rapports. Le cédant demande sa mise hors de cause. La question posée est celle de savoir si une tolérance d’occupation, sans contrepartie contractuelle ni échanges économiques, peut former une relation commerciale établie, et, le cas échéant, selon quelle méthode s’évalue le préjudice. La cour nie la qualification prétendue et, subsidiairement, exclut toute réparation faute de preuve d’un préjudice réparable; elle confirme le jugement, en statuant sur les frais.
I. Relier la notion de relation établie à l’existence d’un véritable courant d’affaires
A. Les critères directeurs rappelés avec précision
La cour rappelle d’abord la lettre de l’article L 442-1, II, qui fonde le contrôle du préavis et l’éventuelle responsabilité. Elle énonce: « En application de l’article L 442-1 II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. » La même motivation ajoute ensuite la borne haute du contentieux: « En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »
La définition de la relation est ensuite précisée, en dehors de tout formalisme contractuel. La cour énonce que « Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n’implique aucun contrat […] et n’est soumise à aucun formalisme […] peut se satisfaire d’un simple courant d’affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement […] comme la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service. » Le critère d’établissement est rappelé dans sa dimension temporelle et qualitative: « Elle est établie dès lors qu’elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu’elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l’avenir, une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial. »
B. De la tolérance d’occupation à l’absence de relation: application rigoureuse
Appliquant ces principes, la cour singularise l’autorisation d’occupation, sans verser dans l’assimilation à une prestation. Elle tranche ainsi: « Cet acte unique, dont la réalité et la validité sont ici indifférentes, ne constitue pas la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service. » L’analyse isole l’absence de contrepartie et d’échange économique, au-delà du voisinage commercial.
La motivation neutralise aussi l’argument tiré de la fréquentation croisée des clientèles, en refusant d’y voir un partenariat. La cour affirme: « Il importe peu à cet égard que, à raison de cette seule proximité géographique […] des clients aient pu concomitamment s’approvisionner au sein des deux commerces : la satisfaction mutuelle des intérêts distincts de la rôtisserie et de la boulangerie trouve sa cause dans les hasards de la configuration des lieux et non dans un partenariat voulu par les parties. » Dans cette perspective, l’exigence d’un courant d’affaires réciproque et stable n’apparaît pas satisfaite. La conclusion s’impose alors en des termes dépourvus d’ambiguïté: « Aussi, la relation, en admettant qu’elle existât et fût de nature commerciale, n’était pas établie. »
II. La valeur de la solution et sa portée pratique en matière de préjudice
A. La méthode indemnitaire recentrée sur la marge brute escomptée
À titre surabondant, la cour rappelle la mesure exacte du préjudice réparable en cas de brutalité de la rupture. Elle précise que « Par ailleurs, le préjudice causé à la victime de la rupture est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables […] appliquée au chiffre d’affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé. » Elle cite la jurisprudence de référence, au libellé décisif: « « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s’évalue en considération de la marge brute escomptée, c’est-à-dire la différence entre le chiffre d’affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d’insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture, durant la même période ». »
La temporalité de l’évaluation est également bornée. La cour souligne que « le préjudice ainsi subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s’évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci […]. » Elle en déduit, au regard des prétentions indemnitaires soumises, l’impossibilité de réparer des pertes appréhendées comme du chiffre d’affaires, ou un préjudice moral rattaché à la personne du dirigeant, et non à l’entreprise. La formule conclusive, qui ferme tout débat subsidiaire, retient: « Aussi, même en admettant l’existence d’une relation commerciale établie, le préjudice allégué n’est pas réparable ou n’est pas prouvé. »
B. Délimitations utiles: voisinage commercial, publicité des décisions et incidences procédurales
La solution trace une frontière nette entre la simple proximité géographique et la relation commerciale au sens du texte. Elle invite à exiger un flux d’affaires réciproque, une contrepartie identifiable et une continuité objectivable, là où une tolérance d’occupation ne révèle qu’un avantage de situation. Cette lecture réduit le risque d’extension indue du dispositif à des configurations de voisinage, fréquentes en milieu urbain, sans coopération économique structurée.
La cour précise encore le régime de la publicité des décisions en droit des pratiques restrictives. Elle juge, avec un pragmatisme notable, que « si l’article L 442-4 II du code de commerce prévoit désormais que « la juridiction ordonne systématiquement la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci selon les modalités qu’elle précise », une telle mesure n’a, en dépit de la généralité des termes employés dans la loi, aucun sens dans l’hypothèse d’un rejet de la demande. » La portée est double: elle préserve l’économie du texte et évite une publicité paradoxale des rejets.
Enfin, la confirmation prive d’objet les demandes accessoires liées à l’appel en garantie et neutralise les débats périphériques, sans altérer la cohérence du dispositif. La décision confirme les dépens et statue sur les frais irrépétibles, dans le sillage d’une motivation resserrée et conforme au droit positif.
Par arrêt du 9 juillet 2025, la Cour d’appel de Paris statue sur l’application de l’article L 442-1, II, du code de commerce à la cessation d’une autorisation d’occupation d’un parking par un commerçant ambulant. L’enjeu se concentre sur la qualification d’une relation commerciale établie et, subsidiairement, sur l’évaluation du préjudice en cas de rupture brutale.
Un fonds ambulant est cédé fin 2021 avec, en amont de la vente, une attestation autorisant l’installation sur le parking d’une boulangerie voisine. L’acquéreur exploite dès janvier 2022, avant qu’une demande de libération des lieux ne lui soit notifiée en juin 2022, suivie d’une mise en demeure.
Le tribunal de commerce de Bordeaux, 23 octobre 2023, déboute l’acquéreur de toutes ses demandes, notamment fondées sur la rupture brutale. Appel est interjeté le 14 novembre 2023. Le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Bordeaux, 28 juin 2024, disjoint la demande au titre de l’article L 442-1, II, et la renvoie devant la Cour d’appel de Paris.
L’appelante sollicite l’indemnisation d’un préjudice financier et moral, en soutenant l’existence d’une relation établie poursuivie après la cession. L’intimée conteste toute relation commerciale et tout flux d’affaires, invoque l’absence de contrepartie, ainsi que la brièveté des rapports. Le cédant demande sa mise hors de cause. La question posée est celle de savoir si une tolérance d’occupation, sans contrepartie contractuelle ni échanges économiques, peut former une relation commerciale établie, et, le cas échéant, selon quelle méthode s’évalue le préjudice. La cour nie la qualification prétendue et, subsidiairement, exclut toute réparation faute de preuve d’un préjudice réparable; elle confirme le jugement, en statuant sur les frais.
I. Relier la notion de relation établie à l’existence d’un véritable courant d’affaires
A. Les critères directeurs rappelés avec précision
La cour rappelle d’abord la lettre de l’article L 442-1, II, qui fonde le contrôle du préavis et l’éventuelle responsabilité. Elle énonce: « En application de l’article L 442-1 II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. » La même motivation ajoute ensuite la borne haute du contentieux: « En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »
La définition de la relation est ensuite précisée, en dehors de tout formalisme contractuel. La cour énonce que « Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n’implique aucun contrat […] et n’est soumise à aucun formalisme […] peut se satisfaire d’un simple courant d’affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement […] comme la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service. » Le critère d’établissement est rappelé dans sa dimension temporelle et qualitative: « Elle est établie dès lors qu’elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu’elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l’avenir, une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial. »
B. De la tolérance d’occupation à l’absence de relation: application rigoureuse
Appliquant ces principes, la cour singularise l’autorisation d’occupation, sans verser dans l’assimilation à une prestation. Elle tranche ainsi: « Cet acte unique, dont la réalité et la validité sont ici indifférentes, ne constitue pas la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service. » L’analyse isole l’absence de contrepartie et d’échange économique, au-delà du voisinage commercial.
La motivation neutralise aussi l’argument tiré de la fréquentation croisée des clientèles, en refusant d’y voir un partenariat. La cour affirme: « Il importe peu à cet égard que, à raison de cette seule proximité géographique […] des clients aient pu concomitamment s’approvisionner au sein des deux commerces : la satisfaction mutuelle des intérêts distincts de la rôtisserie et de la boulangerie trouve sa cause dans les hasards de la configuration des lieux et non dans un partenariat voulu par les parties. » Dans cette perspective, l’exigence d’un courant d’affaires réciproque et stable n’apparaît pas satisfaite. La conclusion s’impose alors en des termes dépourvus d’ambiguïté: « Aussi, la relation, en admettant qu’elle existât et fût de nature commerciale, n’était pas établie. »
II. La valeur de la solution et sa portée pratique en matière de préjudice
A. La méthode indemnitaire recentrée sur la marge brute escomptée
À titre surabondant, la cour rappelle la mesure exacte du préjudice réparable en cas de brutalité de la rupture. Elle précise que « Par ailleurs, le préjudice causé à la victime de la rupture est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables […] appliquée au chiffre d’affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé. » Elle cite la jurisprudence de référence, au libellé décisif: « « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s’évalue en considération de la marge brute escomptée, c’est-à-dire la différence entre le chiffre d’affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d’insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture, durant la même période ». »
La temporalité de l’évaluation est également bornée. La cour souligne que « le préjudice ainsi subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s’évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci […]. » Elle en déduit, au regard des prétentions indemnitaires soumises, l’impossibilité de réparer des pertes appréhendées comme du chiffre d’affaires, ou un préjudice moral rattaché à la personne du dirigeant, et non à l’entreprise. La formule conclusive, qui ferme tout débat subsidiaire, retient: « Aussi, même en admettant l’existence d’une relation commerciale établie, le préjudice allégué n’est pas réparable ou n’est pas prouvé. »
B. Délimitations utiles: voisinage commercial, publicité des décisions et incidences procédurales
La solution trace une frontière nette entre la simple proximité géographique et la relation commerciale au sens du texte. Elle invite à exiger un flux d’affaires réciproque, une contrepartie identifiable et une continuité objectivable, là où une tolérance d’occupation ne révèle qu’un avantage de situation. Cette lecture réduit le risque d’extension indue du dispositif à des configurations de voisinage, fréquentes en milieu urbain, sans coopération économique structurée.
La cour précise encore le régime de la publicité des décisions en droit des pratiques restrictives. Elle juge, avec un pragmatisme notable, que « si l’article L 442-4 II du code de commerce prévoit désormais que « la juridiction ordonne systématiquement la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci selon les modalités qu’elle précise », une telle mesure n’a, en dépit de la généralité des termes employés dans la loi, aucun sens dans l’hypothèse d’un rejet de la demande. » La portée est double: elle préserve l’économie du texte et évite une publicité paradoxale des rejets.
Enfin, la confirmation prive d’objet les demandes accessoires liées à l’appel en garantie et neutralise les débats périphériques, sans altérer la cohérence du dispositif. La décision confirme les dépens et statue sur les frais irrépétibles, dans le sillage d’une motivation resserrée et conforme au droit positif.