Cour d’appel de Nîmes, le 28 août 2025, n°23/01755

Par un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 28 août 2025, la juridiction confirme un jugement ayant reconnu l’acquisition par prescription trentenaire d’une bande de terrain de 4 752 m² et fixé la limite séparative en conséquence. Le litige oppose des propriétaires de fonds contigus, jamais bornés, sur fond de discordance entre titres, cadastre rénové et indices matériels anciens de délimitation.

Les intéressés avaient, après un projet de bornage amiable en 2019 resté sans suite, engagé une action en bornage et obtenu une expertise judiciaire déposée en 2021. Le tribunal judiciaire d’Alès, le 3 avril 2023, avait retenu l’usucapion au profit de l’intimé et ordonné le bornage sur la ligne A-B-C-D-E-U-T, avec frais partagés. Les appelants soutenaient l’emprise des titres et du cadastre, reprochaient à l’expert d’avoir outrepassé sa mission en traitant la prescription, et contestaient l’existence d’actes de possession remontant à trente ans. L’intimé sollicitait la confirmation, invoquant une clôture et des indices de possession remontant aux années soixante ou, à tout le moins, antérieurs à 1989.

La question posée tenait à la possibilité, dans une instance en bornage, de retenir une limite issue de l’usucapion malgré des titres clairs et des plans cadastraux, au vu d’indices matériels et d’attestations. La cour répond positivement, après avoir rappelé la définition légale de la possession utile et validé l’approche de l’expert au regard de sa mission, pour confirmer la prescription et en tirer les conséquences sur le bornage.

I. Les fondements de la solution: office du juge et critères de la possession

A. L’office du juge et la mission de l’expert en bornage

La cour écarte d’abord toute critique procédurale dirigée contre le rapport d’expertise, en constatant que « le dispositif des écritures des parties ne contient aucune demande tendant à la nullité du rapport d’expertise ou à l’instauration d’une contre-expertise ». Cette précision borne utilement le débat au fond et recentre l’office du juge sur l’appréciation souveraine des éléments techniques produits.

Elle rappelle ensuite que « c’est conformément à sa mission que l’expert judiciaire qui était chargé de proposer au tribunal une délimitation des parcelles a pris en compte non seulement les indications figurant sur les titres de propriété mais également a pris en considération tous autres indices résultant de la configuration des lieux et du cadastre ». L’énoncé confirme que l’expertise de bornage ne se réduit pas à la lecture des titres ou du plan, mais embrasse l’ensemble des indices sérieux relatifs à la limite possédée.

Ce cadrage rejoint un principe constant, explicitement visé par l’arrêt, selon lequel « le juge de la revendication dispose d’un pouvoir souverain pour dégager les présomptions de propriété les meilleures et les plus caractérisées ». La cour s’approprie les analyses techniques, sans s’y asservir, et les confronte aux autres preuves, ce qui fonde la robustesse de la solution finalement retenue.

B. La prescription acquisitive trentenaire: conditions et point de départ

La cour reprend la définition légale en des termes qui fixent l’exigence probatoire: « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire pendant trente ans sauf à se prévaloir d’une prescription abrégée de dix ans pour celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre ». L’absence de juste titre écarte la prescription abrégée et concentre l’office sur la démonstration d’une possession utile trentenaire.

L’arrêt insiste encore sur la charge et les modalités de preuve, en rappelant qu’« il doit démontrer une possession à titre de propriétaire, paisible, publique, non équivoque et non interrompue pendant trente ans, cette preuve pouvant être rapportée par tout moyen ». La cour situe la fin de la paix possessive au dépôt du rapport d’expertise amiable de 2019, de sorte que la période utile doit, au minimum, courir depuis la fin de 1989.

Au regard des éléments rassemblés, la juridiction retient des indices matériels stables et convergents: une limite ancienne marquée par un alignement de pierres remplacé ensuite par un grillage, un chemin d’accès constant, et des attestations concordantes. Ces faits traduisent des actes de maître sur la bande litigieuse et révèlent l’animus domini, là où la simple tolérance ou un passage servile ne suffiraient pas. La qualification servitutelle alléguée est, dès lors, dénuée d’emprise utile sur l’analyse possessive.

II. La portée de l’arrêt: relativité du cadastre et conséquences pratiques du bornage

A. La relativisation probatoire du cadastre rénové et des titres

L’expertise judiciaire met en lumière les faiblesses du cadastre rénové et les aléas de divisions opérées sans reconnaissance des lieux. Il en ressort « ce qui permet de conclure que la limite actuelle du cadastre ne respecte pas les contenances prévues dans les documents cadastraux de l’ancien cadastre ». La cour s’appuie sur ce constat pour ne pas absolutiser la ligne cadastrale lorsque la possession, corroborée par des indices objectifs, trace une limite différente.

Cette solution s’inscrit dans une conception probatoire hiérarchisée: les titres et le cadastre renseignent, mais la possession, si elle est utile et prolongée, peut prévaloir et cristalliser un état des limites. Elle rappelle, d’un même mouvement, que l’action en bornage est l’espace idoine pour confronter ces sources et dégager la ligne juridiquement pertinente.

La démarche retenue évite l’écueil d’une substitution mécanique de la prétendue « limite cadastrale » au détriment d’éléments matériels pérennes. Elle consacre une lecture concrète et contextualisée des documents, sans sacrifice de sécurité juridique, puisque le bornage judiciaire viendra ensuite fixer, publier et opposer la délimitation.

B. Les effets concrets: fixation de la limite et partage des frais

Confirmant la solution de première instance, la juridiction retient la ligne A-B-C-D-E-U-T, en cohérence avec les indices de possession et les analyses d’expertise. Le bornage judiciaire est ordonné sur ces points, réalisant l’objectif de stabilité des limites et prévenant la réitération des différends de voisinage. Les contestations fondées sur de simples tolérances de passage ne résistent pas à la densité des actes de propriétaire relevés.

Sur l’accessoire financier, l’arrêt rappelle l’économie du texte applicable: « le bornage se fait à frais commun entre les parties concernées ». Le partage des coûts d’implantation, joint aux mesures d’arpentage et de publication, parachève la sécurisation foncière. L’allocation complémentaire au titre des frais irrépétibles en appel reflète, enfin, la cohérence interne de la solution et la force de la démonstration probatoire offerte.

Ainsi, l’arrêt consacre une articulation claire des sources probatoires en matière de limites: l’indice cadastral et le titre éclairent, la possession utile décide. La méthode retenue, centrée sur la matérialité des lieux et l’office souverain du juge, conforte la fonction pacificatrice du bornage judiciaire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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