Cour d’appel de Grenoble, le 17 juin 2025, n°24/00307

Cour d’appel de Grenoble, 1re chambre civile, 17 juin 2025. Une exploitation ovine avait obtenu un permis pour une bergerie et un hangar. Le hangar a été transformé en habitation malgré le refus de changement de destination. La commune a sollicité la remise en état sur le fondement de l’article L.480-14 du code de l’urbanisme. Les appelants invoquaient la nécessité d’une présence sur place et des contraintes familiales lourdes, notamment au regard de l’article 8 de la Convention.

Le tribunal judiciaire de Valence, le 12 décembre 2023, a ordonné la remise en état, sous astreinte et avec faculté d’exécution d’office. Les appelants ont interjeté appel en contestant la démolition au regard du plan local d’urbanisme et des exigences de la vie familiale et du domicile. La cour d’appel infirme, retient un contrôle de proportionnalité et déboute la commune de ses demandes de remise en état. Elle énonce que « Le juge doit procéder au contrôle de la proportionalité de la mesure de démolition/remise en état par rapport aux droits au domicile et à la vie privée. » La question posée tenait à l’articulation entre l’action civile de remise en état et la protection conventionnelle du domicile, en présence d’une activité agricole nécessitant une présence permanente.

I. L’affirmation d’un contrôle de proportionnalité en matière de remise en état

A. Le cadre juridique de l’action

L’action est introduite sur le fondement de l’article L.480-14. La cour rappelle, dans les termes du texte, que « Aux termes de l’article L.480-14 du code de l’urbanisme, la commune, notamment, peut saisir le tribunal judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié ou ordonné sans l’autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation, ou pour les aménagements, installations et travaux dispensés de cette autorisation au titre du présent code, en violation de l’article L.421-08 du présent code. » La règle confère au juge civil un pouvoir d’injonction restauratoire en cas d’atteinte aux prescriptions d’urbanisme.

La norme locale pertinente est rappelée. « L’article A2 du PLU précise que sont autorisées, dans cette zone, les habitations nécessaires à une exploitation agricole, celle-ci étant définie à l’article L.311-1 du code rural et de la pêche maritime. » La cour circonscrit ainsi le périmètre d’exception en zone agricole, tout en rappelant que la transformation réalisée ne s’est pas accompagnée de l’autorisation requise. Le cadre normatif national et local est posé, sans éluder la matérialité de l’infraction urbanistique.

B. L’intégration décisive du standard conventionnel

Le pivot de la solution tient à l’article 8 de la Convention. La cour cite intégralement le texte conventionnel, selon lequel « toute personne a droit au respect de sa vie familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que son ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue, une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sureté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». La légalité de l’ingérence ne suffit donc pas, la nécessité et la proportionnalité doivent aussi être établies.

D’où la formule directrice consacrée par l’arrêt. « Le juge doit procéder au contrôle de la proportionalité de la mesure de démolition/remise en état par rapport aux droits au domicile et à la vie privée. » La cour applique ce contrôle au regard d’éléments précis et concordants. L’activité d’élevage d’ovins impose une présence constante à proximité immédiate du troupeau. La situation familiale est marquée par un veuvage récent et la charge d’un jeune majeur protégé, nécessitant un environnement stable et accessible. La résidence sur la commune et l’ancrage familial local sont établis. L’ensemble justifie que la remise en état porterait, en l’espèce, une atteinte excessive au domicile et à la vie familiale.

II. La portée et les limites d’une conciliation renouvelée entre urbanisme et droits fondamentaux

A. Une conciliation assumée des finalités de l’urbanisme et du respect du domicile

L’arrêt ne neutralise pas la règle d’urbanisme. Il rappelle son autorité tout en exigeant un examen in concreto de la nécessité de la mesure sollicitée. La conciliation s’opère à droit constant par l’office du juge, qui contrôle la nécessité et la proportionnalité de l’ingérence, même en présence d’une illégalité avérée. Ce faisant, la formation d’appel renforce le rôle du juge civil comme garant des droits fondamentaux dans le contentieux de l’urbanisme.

La méthode retenue est lisible. La légalité de l’ingérence est reconnue au titre de l’article L.480-14. La conventionnalité de la mesure est ensuite testée au regard de l’article 8, dont la teneur est reproduite et discutée. Le critère de nécessité, au regard d’impératifs objectifs et personnels, conduit ici à écarter la démolition. Le raisonnement intègre les spécificités de la zone agricole, sans convertir l’exception locale en régularisation implicite.

B. Des conséquences pratiques sous réserve d’un encadrement rigoureux

La solution emporte des effets concrets en matière contentieuse. Elle invite les juges à apprécier la proportionnalité des injonctions de remise en état au regard d’éléments factuels circonstanciés, tenant à la nature de l’activité et aux besoins du foyer. Elle incite aussi les collectivités à documenter l’utilité concrète de la démolition, au-delà de la seule illégalité formelle, lorsque le domicile est en cause.

Ses limites apparaissent nettement. Le contrôle de proportionnalité ne légitime ni le contournement systématique des autorisations, ni la pérennisation des changements irréguliers de destination. Il exige des justifications précises, actuelles et crédibles, sur la nécessité d’une présence sur site et l’impossibilité pratique d’alternatives. L’invocation du plan local d’urbanisme demeure encadrée par les procédures de régularisation, qui conservent leur place et leurs conditions.

Au-delà de l’espèce, l’arrêt suggère une hiérarchisation prudente des finalités. La protection du domicile, rappelée par le texte conventionnel, peut primer, lorsque les circonstances personnelles et professionnelles rendent la démolition manifestement disproportionnée. L’outil de l’article L.480-14 reste opérant, mais son maniement appelle un examen motivé de la nécessité, spécialement lorsque une activité agricole exige une présence continue et que des vulnérabilités familiales sont établies.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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