Cour d’appel de Colmar, le 20 juin 2025, n°22/02559
Cour d’appel de Colmar, 20 juin 2025, deuxième chambre civile. L’arrêt tranche un contentieux de voisinage né d’une servitude de cour commune consentie en 1992 pour l’édification d’un hangar agricole en limite. La convention prévoyait une implantation sur 56 mètres, une profondeur de 8 mètres, et une hauteur de 4 mètres. Un mur de soutènement a été réalisé, puis l’ouvrage érigé. Les propriétaires voisins ont ultérieurement demandé la démolition, estimant la hauteur excédée du fait d’un remblai préalable.
La procédure a connu un jugement mixte du tribunal judiciaire de Mulhouse le 12 janvier 2021 ordonnant une expertise, puis un jugement du 31 mai 2022 déclarant recevable mais rejetant la démolition, et retenant la prescription de l’action indemnitaire. L’appel a été interjeté le 1er juillet 2022. La clôture a été fixée puis reportée à plusieurs reprises. Des conclusions et pièces ont été notifiées la veille de la clôture du 9 octobre 2024. La cour a ordonné la réouverture des débats le 25 avril 2025, avant l’audience du 28 mai 2025.
Deux thèses s’opposaient. Les appelants invoquaient l’illégalité urbanistique, le non-respect de la servitude, et l’ampleur d’un remblai préalable, avec demande de démolition totale ou limitée. Les intimés soutenaient la conformité aux plans et au permis, l’utilité d’un soutènement pour résorber la déclivité, et un décaissement postérieur chez les appelants. La cour a écarté les écritures tardives, rejeté la démolition, confirmé la prescription de l’action indemnitaire, et rejeté la demande pour procédure abusive.
I. Le traitement procédural et la méthode probatoire adoptée
A. La protection du contradictoire par l’écartement des écritures tardives
La cour se saisit d’abord du respect du contradictoire face à des écritures et pièces communiquées la veille de la clôture. Elle retient que l’examen utile et la réponse contradictoire n’étaient plus possibles sans désorganiser l’audience déjà fixée. L’arrêt relève ainsi: « Il convient d’observer qu’un nouveau report aurait empêché le maintien de la date de l’audience au 8 novembre, que pourtant toutes les parties demandaient. »
La solution s’aligne sur les articles 15 et 16 du code de procédure civile, en conciliant loyauté des échanges et bonne administration de la justice. Le principe directeur est rappelé avec netteté: « Afin de respecter le principe de la contradiction, ces pièces et conclusions tardives doivent être écartées des débats. » Le juge d’appel exerce un pouvoir d’appréciation mesuré, proportionné à l’atteinte au contradictoire et à l’impératif de calendrier.
B. La détermination de la hauteur au regard du terrain naturel et la charge de la preuve
Au fond, la question centrale portait sur l’assiette de mesure de la hauteur stipulée à 4 mètres. La cour adopte une lecture stricte: la hauteur doit s’apprécier à partir du niveau naturel du fonds grevé à la date de la convention, non d’un état modifié par remblai ou décaissement. Elle exige que la partie demanderesse démontre ce niveau de référence et l’excédent de hauteur qui en résulterait.
Le dossier révélait un mur de soutènement antérieur à l’édification du hangar, un remblaiage allégué, et un décaissement ultérieur chez les appelants. Mais la preuve d’une identité d’altimétrie initiale et du niveau naturel exact au jour de 1992 n’était pas rapportée. Les photographies anciennes étaient peu datées, les attestations lacunaires, et l’expertise ne fournissait que des hypothèses. Cette insuffisance commande le rejet de la démolition: « Les demandes, principale et subsidiaire, de démolition seront dès lors rejetées. »
La cour refuse aussi de suppléer la carence probatoire par un renvoi à expert. Le rappel est incisif et conforme au droit de la preuve: « La demande de retour du dossier à l’expert, qui ne tend qu’à pallier la carence des appelants dans l’administration de la preuve, sera rejetée. » L’office du juge est respecté; la charge de la preuve demeure à celui qui allègue la violation de la servitude.
II. La valeur et la portée de la solution rendue
A. Rigueur probatoire, office du juge et stabilité des servitudes de cour commune
L’arrêt conforte une exigence probatoire élevée lorsque la servitude impose des paramètres dimensionnels précis. Il ne suffit pas d’alléguer un rehaussement ou un ressenti visuel depuis la propriété voisine. Il faut établir l’altimétrie de référence à la date constitutive, puis chiffrer l’écart attribuable à l’ouvrage. À défaut, la sanction radicale qu’est la démolition ne saurait prospérer.
Cette approche renforce la sécurité des constructions réalisées en vertu d’une convention définie et d’un projet identifié. Le refus d’un retour à expertise, motivé par la seule carence du demandeur, rappelle que le juge n’a pas à reconstruire le dossier. Le principe d’un procès maîtrisé et loyal est réaffirmé, en cohérence avec la stabilité des droits réels et l’économie des servitudes.
B. Articulation avec l’urbanisme et rappel des prescriptions des actions personnelles
La cour examine la voie urbanistique invoquée. Elle précise le cadre de l’action en démolition fondée sur l’illégalité d’urbanisme, en rappelant la nécessité d’un préjudice direct. La formule est claire et pédagogique: « Il résulte des articles L. 480-13 du code de l’urbanisme et 1240 du code civil que toute méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique peut servir de fondement à une action en démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire ultérieurement annulé, dès lors que le demandeur à l’action démontre avoir subi un préjudice personnel en lien de causalité directe avec cette violation. » L’absence de caractérisation du préjudice ferme ici cette voie.
L’arrêt confirme ensuite la qualification de l’action indemnitaire en action personnelle et son assujettissement à la prescription quinquennale. La motivation retient sans détour: « Or, une action en indemnisation consiste en une action personnelle, soumise au délai de prescription trentenaire, ramené à cinq ans par l’article 2224 du code civil depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008. » Le point de départ se situe au jour de la connaissance du dommage allégué; l’introduction tardive rend l’action prescrite.
Enfin, la demande pour procédure abusive est écartée. La cour rappelle que l’abus suppose une faute procédurale et un préjudice distinct des frais irrépétibles. La formule vaut repère pratique: « Cependant, ils ne démontrent ni le caractère abusif de la procédure, ni avoir subi un préjudice qui excède le fait d’avoir dû se défendre, et qui sera indemnisé en application de l’article 700 du code de procédure civile. » L’outil de l’article 700 suffit à rétablir l’équilibre, sans stigmatiser l’exercice d’un droit d’agir.
En définitive, l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar, 20 juin 2025, confirme le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse du 31 mai 2022, après avoir écarté des écritures tardives pour garantir le contradictoire. Il réaffirme la mesure de la hauteur au regard du terrain naturel à la date de la convention, la charge intégrale de la preuve pesant sur le demandeur à la démolition, la nécessité d’un préjudice direct en matière urbanistique, et la prescription quinquennale des demandes indemnitaires personnelles.
Cour d’appel de Colmar, 20 juin 2025, deuxième chambre civile. L’arrêt tranche un contentieux de voisinage né d’une servitude de cour commune consentie en 1992 pour l’édification d’un hangar agricole en limite. La convention prévoyait une implantation sur 56 mètres, une profondeur de 8 mètres, et une hauteur de 4 mètres. Un mur de soutènement a été réalisé, puis l’ouvrage érigé. Les propriétaires voisins ont ultérieurement demandé la démolition, estimant la hauteur excédée du fait d’un remblai préalable.
La procédure a connu un jugement mixte du tribunal judiciaire de Mulhouse le 12 janvier 2021 ordonnant une expertise, puis un jugement du 31 mai 2022 déclarant recevable mais rejetant la démolition, et retenant la prescription de l’action indemnitaire. L’appel a été interjeté le 1er juillet 2022. La clôture a été fixée puis reportée à plusieurs reprises. Des conclusions et pièces ont été notifiées la veille de la clôture du 9 octobre 2024. La cour a ordonné la réouverture des débats le 25 avril 2025, avant l’audience du 28 mai 2025.
Deux thèses s’opposaient. Les appelants invoquaient l’illégalité urbanistique, le non-respect de la servitude, et l’ampleur d’un remblai préalable, avec demande de démolition totale ou limitée. Les intimés soutenaient la conformité aux plans et au permis, l’utilité d’un soutènement pour résorber la déclivité, et un décaissement postérieur chez les appelants. La cour a écarté les écritures tardives, rejeté la démolition, confirmé la prescription de l’action indemnitaire, et rejeté la demande pour procédure abusive.
I. Le traitement procédural et la méthode probatoire adoptée
A. La protection du contradictoire par l’écartement des écritures tardives
La cour se saisit d’abord du respect du contradictoire face à des écritures et pièces communiquées la veille de la clôture. Elle retient que l’examen utile et la réponse contradictoire n’étaient plus possibles sans désorganiser l’audience déjà fixée. L’arrêt relève ainsi: « Il convient d’observer qu’un nouveau report aurait empêché le maintien de la date de l’audience au 8 novembre, que pourtant toutes les parties demandaient. »
La solution s’aligne sur les articles 15 et 16 du code de procédure civile, en conciliant loyauté des échanges et bonne administration de la justice. Le principe directeur est rappelé avec netteté: « Afin de respecter le principe de la contradiction, ces pièces et conclusions tardives doivent être écartées des débats. » Le juge d’appel exerce un pouvoir d’appréciation mesuré, proportionné à l’atteinte au contradictoire et à l’impératif de calendrier.
B. La détermination de la hauteur au regard du terrain naturel et la charge de la preuve
Au fond, la question centrale portait sur l’assiette de mesure de la hauteur stipulée à 4 mètres. La cour adopte une lecture stricte: la hauteur doit s’apprécier à partir du niveau naturel du fonds grevé à la date de la convention, non d’un état modifié par remblai ou décaissement. Elle exige que la partie demanderesse démontre ce niveau de référence et l’excédent de hauteur qui en résulterait.
Le dossier révélait un mur de soutènement antérieur à l’édification du hangar, un remblaiage allégué, et un décaissement ultérieur chez les appelants. Mais la preuve d’une identité d’altimétrie initiale et du niveau naturel exact au jour de 1992 n’était pas rapportée. Les photographies anciennes étaient peu datées, les attestations lacunaires, et l’expertise ne fournissait que des hypothèses. Cette insuffisance commande le rejet de la démolition: « Les demandes, principale et subsidiaire, de démolition seront dès lors rejetées. »
La cour refuse aussi de suppléer la carence probatoire par un renvoi à expert. Le rappel est incisif et conforme au droit de la preuve: « La demande de retour du dossier à l’expert, qui ne tend qu’à pallier la carence des appelants dans l’administration de la preuve, sera rejetée. » L’office du juge est respecté; la charge de la preuve demeure à celui qui allègue la violation de la servitude.
II. La valeur et la portée de la solution rendue
A. Rigueur probatoire, office du juge et stabilité des servitudes de cour commune
L’arrêt conforte une exigence probatoire élevée lorsque la servitude impose des paramètres dimensionnels précis. Il ne suffit pas d’alléguer un rehaussement ou un ressenti visuel depuis la propriété voisine. Il faut établir l’altimétrie de référence à la date constitutive, puis chiffrer l’écart attribuable à l’ouvrage. À défaut, la sanction radicale qu’est la démolition ne saurait prospérer.
Cette approche renforce la sécurité des constructions réalisées en vertu d’une convention définie et d’un projet identifié. Le refus d’un retour à expertise, motivé par la seule carence du demandeur, rappelle que le juge n’a pas à reconstruire le dossier. Le principe d’un procès maîtrisé et loyal est réaffirmé, en cohérence avec la stabilité des droits réels et l’économie des servitudes.
B. Articulation avec l’urbanisme et rappel des prescriptions des actions personnelles
La cour examine la voie urbanistique invoquée. Elle précise le cadre de l’action en démolition fondée sur l’illégalité d’urbanisme, en rappelant la nécessité d’un préjudice direct. La formule est claire et pédagogique: « Il résulte des articles L. 480-13 du code de l’urbanisme et 1240 du code civil que toute méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique peut servir de fondement à une action en démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire ultérieurement annulé, dès lors que le demandeur à l’action démontre avoir subi un préjudice personnel en lien de causalité directe avec cette violation. » L’absence de caractérisation du préjudice ferme ici cette voie.
L’arrêt confirme ensuite la qualification de l’action indemnitaire en action personnelle et son assujettissement à la prescription quinquennale. La motivation retient sans détour: « Or, une action en indemnisation consiste en une action personnelle, soumise au délai de prescription trentenaire, ramené à cinq ans par l’article 2224 du code civil depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008. » Le point de départ se situe au jour de la connaissance du dommage allégué; l’introduction tardive rend l’action prescrite.
Enfin, la demande pour procédure abusive est écartée. La cour rappelle que l’abus suppose une faute procédurale et un préjudice distinct des frais irrépétibles. La formule vaut repère pratique: « Cependant, ils ne démontrent ni le caractère abusif de la procédure, ni avoir subi un préjudice qui excède le fait d’avoir dû se défendre, et qui sera indemnisé en application de l’article 700 du code de procédure civile. » L’outil de l’article 700 suffit à rétablir l’équilibre, sans stigmatiser l’exercice d’un droit d’agir.
En définitive, l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar, 20 juin 2025, confirme le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse du 31 mai 2022, après avoir écarté des écritures tardives pour garantir le contradictoire. Il réaffirme la mesure de la hauteur au regard du terrain naturel à la date de la convention, la charge intégrale de la preuve pesant sur le demandeur à la démolition, la nécessité d’un préjudice direct en matière urbanistique, et la prescription quinquennale des demandes indemnitaires personnelles.