Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 19 juin 2025, n°24/02005
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 19 juin 2025, se prononce sur la contestation d’actes sociaux signés au nom de l’appelant à son insu, et sur la responsabilité délictuelle du dirigeant intimé. L’affaire naît de la découverte, à l’occasion d’une convocation consécutive à des difficultés d’une société, d’un procès-verbal d’assemblée et de statuts modifiés désignant l’appelant comme président. Celui-ci dépose plainte pour usurpation d’identité et assigne devant le Tribunal de commerce de Cannes. La juridiction consulaire le déboute le 14 décembre 2023, retenant qu’une enquête pénale serait nécessaire pour établir un éventuel faux. Appel est interjeté, les intimés ne concluant pas. Il est d’ailleurs relevé que « Les intimés, qui n’ont pas conclu, sont réputés s’approprier les motifs du jugement. » Devant la cour, l’appelant sollicite une expertise graphologique, la nullité et l’inopposabilité des actes litigieux, la reconnaissance de l’absence de toute qualité de dirigeant, et des dommages-intérêts. La question posée est double. D’une part, le juge civil d’appel peut-il, sans expertise, vérifier l’authenticité de signatures et en tirer toutes conséquences sur la validité et l’opposabilité d’actes sociaux. D’autre part, la faute du dirigeant rendant possible l’usurpation d’identité engage-t-elle sa responsabilité délictuelle envers le tiers ainsi désigné. La cour refuse l’expertise, relevant que « la cour dispose toutefois de suffisamment d’éléments pour statuer sans qu’il soit nécessaire de recourir à une telle mesure d’instruction », et souligne que « Grâce à l’ensemble de ces documents versés aux débats par l’appelant, la cour pourra juger si les signatures apposées sur les documents contestées émanent ou non de lui. » Elle déclare nuls et inopposables le procès-verbal et les statuts, constate l’absence de tout lien social de l’appelant, et alloue une indemnité sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
I. Vérification d’écriture et invalidation des actes contestés
A. L’office du juge d’appel en matière de preuve écrite Le contrôle de l’authenticité s’inscrit dans le cadre des articles 287 et 288 du code de procédure civile, expressément mobilisés par la cour. Il est rappelé que « Selon l’article 287 du code de procédure civile : Si l’une des parties dénie l’écriture […] le juge vérifie l’écrit contesté à moins qu’il ne puisse statuer sans en tenir compte. » Le texte suivant précise l’outil probatoire, « L’article 288 du même code ajoute : Il appartient au juge de procéder à la vérification d’écriture au vu des éléments dont il dispose », y compris par pièces de comparaison variées. Le refus d’ordonner l’expertise repose sur l’économie de l’instruction permise par les articles 143 et 144 du même code. Le rappel est net, « les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer. » Ici, la cour affirme détenir des éléments suffisants issus de documents officiels et de données circonstancielles, permettant une comparaison lisible et fiable.
La démarche probatoire suit une logique de contrôle intrinsèque des écritures. Les pièces de comparaison sont diversifiées, contemporaines, et d’origine certaine, ce qui renforce leur force probante. Le raisonnement s’ancre dans l’aptitude du juge à apprécier, par confrontation directe, les caractéristiques des signatures, sans déléguer son office à un technicien lorsque les différences sont manifestes. L’intervention d’un expert demeure subsidiaire et non automatique, en cohérence avec la finalité d’une « vérification » juridictionnelle, structurée par les textes.
B. La nullité et l’inopposabilité des actes sociaux irréguliers Constatant la divergence nette entre les signatures litigieuses et les signatures authentiques, la cour tire la conséquence civile pertinente. L’absence de consentement réel du signataire conduit à l’anéantissement de l’acte et à son inopposabilité au tiers dont l’identité a été usurpée. La solution, ferme, s’articule clairement avec la théorie générale de l’acte juridique et la protection du consentement. La cour précise en outre la portée procédurale de sa censure, « La cour, infirmant également le jugement, fait droit aux demandes suivantes de l’appelant », puis dresse l’inventaire des mesures d’annulation et d’inopposabilité, et constate l’absence de tout lien social de l’appelant.
L’intérêt de la décision réside dans la combinaison de la nullité et de l’inopposabilité. La première rétablit l’intégrité de l’ordre des actes, la seconde protège spécifiquement la personne dont l’identité a été détournée, en la libérant de toute conséquence statutaire ou organique. En matière sociétaire, l’articulation des deux régimes assure à la fois l’assainissement des registres internes et la neutralisation d’un effet extérieur indû, sans ériger un obstacle excessif aux intérêts sociaux légitimes.
II. Responsabilité délictuelle du dirigeant et portée normative
A. La faute du dirigeant et l’évaluation du préjudice Sur le terrain de l’article 1240 du code civil, la cour retient une faute personnelle du dirigeant, qui a rendu possible l’usurpation et l’imitation des signatures sur les actes sociaux. L’analyse insiste sur l’inaction procédurale de l’intéressé et sur la gravité des conséquences pour la victime, exposée à des démarches pénibles et à des risques d’atteinte à sa réputation professionnelle. L’indemnité allouée répare un préjudice essentiellement moral, évalué de manière mesurée à 4 500 euros, en adéquation avec le contenu du dossier et le principe de réparation intégrale.
Le rejet de l’astreinte est justifié par la disponibilité d’outils d’exécution forcée classiques. La cour conserve une approche fonctionnelle de l’office du juge de l’exécution et évite la superposition d’instruments contraignants. Enfin, la gestion des frais s’aligne sur l’issue du litige, « Au regard de la solution apportée au litige, la cour infirme le jugement du chef des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile », et statue à nouveau, en cohérence avec l’équité procédurale de l’instance d’appel.
B. Portée pratique en matière de faux et d’usurpation d’identité La décision consacre l’autonomie du juge civil dans la vérification de l’écrit, sans dépendre d’une enquête pénale préalable lorsque le dossier offre des éléments suffisamment convergents. Elle confirme l’économie probatoire de l’article 144 du code de procédure civile, en rappelant que l’expertise n’est pas un préalable nécessaire, surtout lorsque la divergence graphique est patente et que le contexte factuel corrobore l’absence matérielle du signataire présumé. La solution répond, par ricochet, aux hésitations de première instance qui avaient conditionné la sanction civile à l’initiative du parquet.
En droit des sociétés, l’arrêt sécurise la réaction contentieuse face aux actes organiques mal authentifiés, en offrant une voie rapide d’anéantissement et de neutralisation des effets. Il prévient l’instrumentalisation de formes sociales pour capter une identité, et responsabilise la fonction dirigeante dans la surveillance des décisions collectives. L’équilibre entre la rigueur de la preuve et la célérité procédurale est ici convaincant, car il rétablit efficacement la vérité juridique des actes, tout en préservant la lisibilité des conséquences statutaires.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 19 juin 2025, se prononce sur la contestation d’actes sociaux signés au nom de l’appelant à son insu, et sur la responsabilité délictuelle du dirigeant intimé. L’affaire naît de la découverte, à l’occasion d’une convocation consécutive à des difficultés d’une société, d’un procès-verbal d’assemblée et de statuts modifiés désignant l’appelant comme président. Celui-ci dépose plainte pour usurpation d’identité et assigne devant le Tribunal de commerce de Cannes. La juridiction consulaire le déboute le 14 décembre 2023, retenant qu’une enquête pénale serait nécessaire pour établir un éventuel faux. Appel est interjeté, les intimés ne concluant pas. Il est d’ailleurs relevé que « Les intimés, qui n’ont pas conclu, sont réputés s’approprier les motifs du jugement. » Devant la cour, l’appelant sollicite une expertise graphologique, la nullité et l’inopposabilité des actes litigieux, la reconnaissance de l’absence de toute qualité de dirigeant, et des dommages-intérêts. La question posée est double. D’une part, le juge civil d’appel peut-il, sans expertise, vérifier l’authenticité de signatures et en tirer toutes conséquences sur la validité et l’opposabilité d’actes sociaux. D’autre part, la faute du dirigeant rendant possible l’usurpation d’identité engage-t-elle sa responsabilité délictuelle envers le tiers ainsi désigné. La cour refuse l’expertise, relevant que « la cour dispose toutefois de suffisamment d’éléments pour statuer sans qu’il soit nécessaire de recourir à une telle mesure d’instruction », et souligne que « Grâce à l’ensemble de ces documents versés aux débats par l’appelant, la cour pourra juger si les signatures apposées sur les documents contestées émanent ou non de lui. » Elle déclare nuls et inopposables le procès-verbal et les statuts, constate l’absence de tout lien social de l’appelant, et alloue une indemnité sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
I. Vérification d’écriture et invalidation des actes contestés
A. L’office du juge d’appel en matière de preuve écrite
Le contrôle de l’authenticité s’inscrit dans le cadre des articles 287 et 288 du code de procédure civile, expressément mobilisés par la cour. Il est rappelé que « Selon l’article 287 du code de procédure civile : Si l’une des parties dénie l’écriture […] le juge vérifie l’écrit contesté à moins qu’il ne puisse statuer sans en tenir compte. » Le texte suivant précise l’outil probatoire, « L’article 288 du même code ajoute : Il appartient au juge de procéder à la vérification d’écriture au vu des éléments dont il dispose », y compris par pièces de comparaison variées. Le refus d’ordonner l’expertise repose sur l’économie de l’instruction permise par les articles 143 et 144 du même code. Le rappel est net, « les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer. » Ici, la cour affirme détenir des éléments suffisants issus de documents officiels et de données circonstancielles, permettant une comparaison lisible et fiable.
La démarche probatoire suit une logique de contrôle intrinsèque des écritures. Les pièces de comparaison sont diversifiées, contemporaines, et d’origine certaine, ce qui renforce leur force probante. Le raisonnement s’ancre dans l’aptitude du juge à apprécier, par confrontation directe, les caractéristiques des signatures, sans déléguer son office à un technicien lorsque les différences sont manifestes. L’intervention d’un expert demeure subsidiaire et non automatique, en cohérence avec la finalité d’une « vérification » juridictionnelle, structurée par les textes.
B. La nullité et l’inopposabilité des actes sociaux irréguliers
Constatant la divergence nette entre les signatures litigieuses et les signatures authentiques, la cour tire la conséquence civile pertinente. L’absence de consentement réel du signataire conduit à l’anéantissement de l’acte et à son inopposabilité au tiers dont l’identité a été usurpée. La solution, ferme, s’articule clairement avec la théorie générale de l’acte juridique et la protection du consentement. La cour précise en outre la portée procédurale de sa censure, « La cour, infirmant également le jugement, fait droit aux demandes suivantes de l’appelant », puis dresse l’inventaire des mesures d’annulation et d’inopposabilité, et constate l’absence de tout lien social de l’appelant.
L’intérêt de la décision réside dans la combinaison de la nullité et de l’inopposabilité. La première rétablit l’intégrité de l’ordre des actes, la seconde protège spécifiquement la personne dont l’identité a été détournée, en la libérant de toute conséquence statutaire ou organique. En matière sociétaire, l’articulation des deux régimes assure à la fois l’assainissement des registres internes et la neutralisation d’un effet extérieur indû, sans ériger un obstacle excessif aux intérêts sociaux légitimes.
II. Responsabilité délictuelle du dirigeant et portée normative
A. La faute du dirigeant et l’évaluation du préjudice
Sur le terrain de l’article 1240 du code civil, la cour retient une faute personnelle du dirigeant, qui a rendu possible l’usurpation et l’imitation des signatures sur les actes sociaux. L’analyse insiste sur l’inaction procédurale de l’intéressé et sur la gravité des conséquences pour la victime, exposée à des démarches pénibles et à des risques d’atteinte à sa réputation professionnelle. L’indemnité allouée répare un préjudice essentiellement moral, évalué de manière mesurée à 4 500 euros, en adéquation avec le contenu du dossier et le principe de réparation intégrale.
Le rejet de l’astreinte est justifié par la disponibilité d’outils d’exécution forcée classiques. La cour conserve une approche fonctionnelle de l’office du juge de l’exécution et évite la superposition d’instruments contraignants. Enfin, la gestion des frais s’aligne sur l’issue du litige, « Au regard de la solution apportée au litige, la cour infirme le jugement du chef des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile », et statue à nouveau, en cohérence avec l’équité procédurale de l’instance d’appel.
B. Portée pratique en matière de faux et d’usurpation d’identité
La décision consacre l’autonomie du juge civil dans la vérification de l’écrit, sans dépendre d’une enquête pénale préalable lorsque le dossier offre des éléments suffisamment convergents. Elle confirme l’économie probatoire de l’article 144 du code de procédure civile, en rappelant que l’expertise n’est pas un préalable nécessaire, surtout lorsque la divergence graphique est patente et que le contexte factuel corrobore l’absence matérielle du signataire présumé. La solution répond, par ricochet, aux hésitations de première instance qui avaient conditionné la sanction civile à l’initiative du parquet.
En droit des sociétés, l’arrêt sécurise la réaction contentieuse face aux actes organiques mal authentifiés, en offrant une voie rapide d’anéantissement et de neutralisation des effets. Il prévient l’instrumentalisation de formes sociales pour capter une identité, et responsabilise la fonction dirigeante dans la surveillance des décisions collectives. L’équilibre entre la rigueur de la preuve et la célérité procédurale est ici convaincant, car il rétablit efficacement la vérité juridique des actes, tout en préservant la lisibilité des conséquences statutaires.