Par un arrêt en date du 4 mars 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conséquences financières de la résiliation d’un marché public de prestations intellectuelles. En l’espèce, une société s’était vu confier une mission d’ordonnancement, de pilotage et de coordination pour la restructuration d’un établissement d’enseignement. Suite à un allongement de la durée du chantier, l’entreprise a sollicité une rémunération complémentaire, qui lui a été refusée par le maître d’ouvrage délégué. Estimant le lien contractuel rompu, le titulaire du marché a cessé ses diligences, malgré une mise en demeure du pouvoir adjudicateur. En conséquence, le marché a été résilié pour faute aux torts du cocontractant.
Saisi par la société, le tribunal administratif a rejeté sa demande d’annulation de la décision de résiliation et ses conclusions indemnitaires. La société a interjeté appel de ce jugement, limitant ses prétentions à l’indemnisation des prestations qu’elle estimait avoir réalisées au-delà du cadre contractuel et à la réparation du préjudice né d’une résiliation qu’elle jugeait fautive. Le débat portait donc sur la double question de savoir si le titulaire d’un marché à forfait, confronté à un allongement de la durée du chantier, pouvait d’une part contester la résiliation pour faute prononcée à son encontre pour manquement à ses obligations et, d’autre part, obtenir une indemnisation pour les prestations supplémentaires alléguées.
La cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant la validité de la résiliation et le bien-fondé du refus d’indemnisation. Elle a estimé que le manquement de l’entreprise à ses obligations contractuelles, constaté après une mise en demeure restée sans effet, justifiait la sanction. Elle a également jugé que les conditions permettant de déroger au caractère forfaitaire de la rémunération n’étaient pas réunies.
La décision commentée illustre ainsi la rigueur avec laquelle le juge administratif apprécie les manquements du titulaire d’un marché public (I), tout en appliquant strictement les conditions d’indemnisation dérogatoires au principe du prix forfaitaire (II).
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I. La confirmation de la légitimité de la résiliation-sanction
La cour valide la résiliation du marché en se fondant sur le manquement avéré du cocontractant à ses obligations (A) et en écartant les justifications que celui-ci avançait pour expliquer sa défaillance (B).
A. Le manquement avéré du cocontractant à ses obligations
L’exécution des prestations contractuelles constitue l’obligation première du titulaire d’un marché public, dont le respect est une condition essentielle du maintien du lien contractuel. En l’espèce, le pouvoir adjudicateur avait mis en demeure son cocontractant de produire les documents de suivi et de planification du chantier. Le juge relève que cette mise en demeure, précise dans ses exigences, est restée sans réponse probante de la part de l’entreprise.
La décision souligne l’importance de la mise en demeure préalable, qui permet de caractériser formellement la défaillance du titulaire et d’ouvrir la voie à une mesure de sanction. La cour constate que, même à supposer que des documents aient été transmis antérieurement, l’entreprise « restait redevable de l’obligation de les mettre à jour, conformément à la mise en demeure du 10 janvier 2019 ». Ce faisant, elle rappelle que les obligations d’un prestataire de pilotage de chantier sont continues et doivent s’adapter à l’évolution de celui-ci. Le simple fait d’avoir fourni des documents à un instant donné ne saurait exonérer le titulaire de son devoir de les actualiser, surtout lorsque le maître d’ouvrage en fait la demande expresse. Le manquement est donc matériellement constitué par l’absence de fourniture des livrables actualisés dans le délai imparti par la mise en demeure, justifiant ainsi, sur le principe, le prononcé de la résiliation pour faute.
B. Le rejet des justifications avancées par le titulaire
Face à sa défaillance, la société requérante tentait de s’exonérer de sa responsabilité en invoquant des circonstances extérieures. Elle soutenait notamment que des travaux supplémentaires de désamiantage et de réparation, non prévus initialement, avaient rendu impossible l’exécution de ses propres prestations dans les délais contractuels.
Toutefois, la cour écarte cet argumentaire en opposant à l’entreprise un défaut de preuve. Elle juge que la société « n’explicite pas en quoi ces circonstances auraient empêché l’établissement des calendriers d’exécution dans les délais requis ». Par cette formule, le juge administratif réaffirme une règle fondamentale de la responsabilité contractuelle : il ne suffit pas d’invoquer une difficulté, il faut encore démontrer le lien de causalité direct entre cette difficulté et l’inexécution de ses propres obligations. L’allongement de la durée du chantier ou l’augmentation de son coût global ne suffisent pas, en eux-mêmes, à justifier que le prestataire en charge du pilotage se soustraie à son devoir de produire des plannings. De même, la cour écarte la simple production d’un courrier informant le maître d’ouvrage d’un retard imputable à un autre intervenant, estimant que ce document ne suffit pas à établir l’impossibilité pour le titulaire de réaliser ses propres missions. L’arrêt se montre donc exigeant quant à la charge de la preuve qui pèse sur le cocontractant qui entend justifier ses manquements.
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Après avoir ainsi scellé le sort de la relation contractuelle, la cour se penche sur les prétentions financières de l’entreprise, en appliquant avec une égale rigueur les principes gouvernant la rémunération des marchés publics.
II. Le rejet rigoureux de la demande d’indemnisation complémentaire
La cour administrative d’appel fonde son refus d’indemnisation sur le rappel du principe de la rémunération forfaitaire (A) et sur l’absence de démonstration par le requérant d’un droit à y déroger (B).
A. Le rappel du principe du forfait dans les marchés de maîtrise d’œuvre
Le cœur de l’argumentation de l’arrêt réside dans le rappel des règles applicables aux marchés à prix forfaitaire. Le juge énonce clairement le principe selon lequel une telle rémunération couvre l’ensemble des prestations prévues au contrat, ainsi que les aléas normaux rencontrés dans son exécution. Il rappelle que des difficultés « ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues […], soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique ».
L’arrêt prend soin de renforcer cette règle en s’appuyant sur les clauses mêmes du contrat. Il est ainsi relevé que l’acte d’engagement précisait le caractère « purement indicatif » de la durée prévisionnelle du chantier, et que le cahier des clauses administratives particulières stipulait que les prix étaient « réputés complets et comprennent toutes les dépenses, charges et aléas ». Cette analyse contractuelle démontre que le cocontractant avait accepté, en signant le marché, de supporter les conséquences d’un éventuel allongement du chantier, dans des limites raisonnables. La prolongation de la durée de sa mobilisation ne peut donc, par principe, lui ouvrir droit à une rémunération supplémentaire.
B. L’absence de démonstration d’un droit à déroger au forfait
La cour examine ensuite méthodiquement chacune des exceptions potentielles au principe du forfait. D’abord, s’agissant des prestations supplémentaires alléguées, elle constate que les tâches citées par l’entreprise, comme la tenue de réunions ou la fourniture de plannings, « constituent des prestations prévues au marché ». Le juge refuse ainsi de qualifier d’« supplémentaires » des missions qui ne sont que le développement normal des obligations contractuelles.
Ensuite, concernant la faute qu’aurait commise le maître d’ouvrage en sous-évaluant les besoins, le juge estime que la société n’établit pas que les travaux imprévus l’auraient « obligée à réaliser des prestations supplémentaires de maîtrise d’œuvre utiles ». Elle se prévaut uniquement de la mobilisation de ses moyens liée à l’allongement du temps, ce qui est précisément couvert par le forfait. Enfin, la théorie du bouleversement de l’économie du contrat est également écartée. La cour juge que l’entreprise « ne démontre pas que […] l’économie de son contrat […] aurait été bouleversée en se bornant à affirmer que le prix et la durée du marché de restructuration […] auraient été augmentés ». Cette appréciation factuelle montre que le seuil du bouleversement, qui suppose une altération fondamentale de l’équilibre contractuel, n’est pas atteint par une simple augmentation en pourcentage, surtout si celle-ci n’est pas précisément corrélée à un surcoût subi par le prestataire lui-même. La décision constitue ainsi une application classique mais ferme du droit des marchés à forfait, plaçant le cocontractant face à l’exigence d’une preuve rigoureuse pour toute demande d’indemnisation.