Par un arrêt en date du 30 janvier 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions d’éligibilité au crédit d’impôt pour investissement en Corse, en particulier pour les biens détenus en indivision et faisant l’objet d’un usage mixte.
En l’espèce, une société commerciale avait acquis une quote-part majoritaire des droits de propriété d’une villa en Corse, le reste étant détenu par des personnes physiques qui sont également les dirigeants de ladite société. L’entreprise a sollicité le remboursement d’un crédit d’impôt au titre de cet investissement, arguant que sa quote-part du bien était affectée à une activité parahôtelière. L’administration fiscale a rejeté cette demande au motif que le bien n’était pas exclusivement affecté à une activité commerciale. Saisi par la société, le tribunal administratif de Versailles a confirmé ce rejet par deux jugements distincts. La société a alors interjeté appel de ces décisions, soutenant que la loi n’imposait pas une condition d’affectation exclusive et que seule sa part de l’investissement devait être prise en compte pour apprécier l’éligibilité au dispositif.
Le problème de droit soulevé par cette affaire était donc de savoir si un investissement immobilier, détenu en indivision et affecté pour partie à une activité commerciale et pour partie à un usage privé, peut ouvrir droit au crédit d’impôt pour investissement en Corse prévu à l’article 244 quater E du code général des impôts, à hauteur de la quote-part de l’indivisaire exerçant l’activité commerciale.
La cour administrative d’appel rejette la requête de la société. Elle juge que le bénéfice de cet avantage fiscal est subordonné à une affectation intégrale et exclusive du bien à l’activité éligible. Pour les juges du fond, les dispositions de l’article 244 quater E du code général des impôts « impliquent nécessairement que le bien acquis soit intégralement et exclusivement affecté à une telle activité ». La mixité d’usage de l’immeuble, partagé entre une exploitation commerciale saisonnière et une jouissance privative par les co-indivisaires, fait ainsi obstacle à l’octroi du crédit d’impôt.
La solution adoptée par la cour repose sur une interprétation stricte de la condition d’affectation du bien à l’activité économique (I), dont la portée est de renforcer le contrôle sur la finalité réelle de l’investissement aidé (II).
I. L’exigence d’une affectation exclusive de l’investissement à l’activité commerciale
La cour administrative d’appel consacre une interprétation rigoureuse de la loi fiscale en refusant d’apprécier l’affectation du bien au prorata des droits de chaque indivisaire (A) et en déduisant de la finalité du dispositif une condition d’exclusivité non expressément formulée par le texte (B).
A. Le rejet d’une appréciation de l’affectation par quote-part indivise
La société requérante fondait son argumentation sur une analyse disjointe de l’usage du bien, considérant que seule l’affectation de sa propre quote-part de 65 % à l’activité parahôtelière devait être examinée. Une telle approche aurait permis de rendre éligible un investissement immobilier dont l’usage global n’est pourtant pas entièrement commercial.
Toutefois, les juges du fond écartent ce raisonnement en s’appuyant sur une appréciation globale de la situation de l’immeuble. Ils relèvent que la convention d’indivision et le mandat de gestion confiaient l’usage du bien tantôt à l’exploitation commerciale, tantôt à la jouissance privée des co-indivisaires. La cour souligne notamment que ces derniers étaient « prioritaires dans le choix des semaines d’occupation de la villa, dans la limite de leur quote-part ». Cette prérogative démontre que l’affectation commerciale n’était ni totale ni permanente, mais subordonnée à l’exercice d’un droit à usage d’habitation. L’indivision ne saurait donc servir de fondement à une division juridique de l’affectation de l’immeuble.
B. La consécration d’une condition d’exclusivité déduite de la finalité du dispositif
L’article 244 quater E du code général des impôts dispose que les investissements doivent être « exploités en Corse pour les besoins d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole ». Le texte ne mentionne pas explicitement que cette exploitation doit être « exclusive ».
Néanmoins, la cour administrative d’appel estime que ces dispositions « impliquent nécessairement que le bien acquis soit intégralement et exclusivement affecté à une telle activité ». En ajoutant cette condition, le juge administratif interprète la loi à la lumière de son objectif, qui est de soutenir le développement d’activités économiques pérennes en Corse et non de subventionner indirectement l’acquisition de résidences privées. La circonstance que l’exploitation commerciale ne s’exerçait que durant la période estivale a certainement conforté la conviction du juge quant au caractère seulement partiel et accessoire de l’affectation économique du bien. Ce faisant, la décision s’aligne sur la doctrine administrative qui refuse le bénéfice du crédit d’impôt pour les investissements à usage mixte, bien que la cour prenne soin de préciser que sa décision se fonde sur la loi seule.
II. La portée de la solution : le renforcement du contrôle sur la finalité de l’investissement
En posant une exigence claire d’affectation exclusive, la décision commentée clarifie les conditions d’octroi du crédit d’impôt (A) et constitue une mise en garde adressée aux investisseurs tentés par des montages d’optimisation fiscale (B).
A. La clarification des conditions d’octroi du crédit d’impôt
La solution retenue a le mérite de la clarté. Elle établit qu’un bien immobilier détenu en indivision ne peut ouvrir droit au crédit d’impôt pour investissement en Corse si une partie, même minoritaire, de son usage est réservée à l’habitation privée de l’un des co-indivisaires. Cette règle met fin à l’incertitude juridique qui pouvait exister pour ce type de montages.
De plus, la cour écarte fermement l’argument de la société selon lequel l’obtention de remboursements de crédit de taxe sur la valeur ajoutée vaudrait reconnaissance de son éligibilité au crédit d’impôt. Elle rappelle que les deux régimes fiscaux « obéissent à des conditions spécifiques ». Cette précision est essentielle, car elle réaffirme l’autonomie des dispositifs fiscaux et empêche les contribuables de se prévaloir de l’application d’un régime pour revendiquer le bénéfice d’un autre. L’éligibilité à chaque avantage fiscal doit être appréciée de manière distincte, au regard des conditions qui lui sont propres.
B. Une mise en garde contre les montages d’optimisation fiscale
Au-delà de son aspect technique, la décision revêt une portée pratique significative en matière de lutte contre les effets d’aubaine. Le dispositif du crédit d’impôt pour investissement en Corse est une aide d’État dont le coût pour les finances publiques est important. Il est donc légitime que son application soit strictement contrôlée afin de s’assurer qu’elle bénéficie bien à des projets contribuant réellement et durablement à l’économie locale.
En l’espèce, le montage juridique retenu permettait aux dirigeants d’une société de financer en partie l’acquisition d’une villa à usage privé grâce à un avantage fiscal destiné aux entreprises. En exigeant une affectation commerciale exclusive, la cour administrative d’appel envoie un signal clair aux investisseurs. Elle prévient les schémas dans lesquels l’aide fiscale serait détournée de sa finalité première pour servir des intérêts privés. Cette jurisprudence renforce la cohérence du droit fiscal en alignant les conditions d’application du texte sur son esprit, qui est de favoriser l’investissement productif.