Cour d’appel administrative de Versailles, le 28 février 2025, n°23VE01700

Par un arrêt en date du 28 février 2025, la cour administrative d’appel de Versailles s’est prononcée sur la légalité d’une modification d’un plan local d’urbanisme instituant de nouvelles servitudes de protection d’espaces verts sur des parcelles privées. En l’espèce, une commune avait approuvé par délibération une modification de son document d’urbanisme, classant plusieurs terrains situés en zone urbaine en tant qu’espaces verts protégés. Cette mesure entraînait une limitation substantielle des droits à construire sur les fonds concernés. Plusieurs propriétaires de ces parcelles, après avoir formé sans succès des recours gracieux, ont saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cette délibération. Par un jugement du 23 mai 2023, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes. Les propriétaires ont alors interjeté appel de ce jugement, contestant tant la régularité de la procédure d’urbanisme que le bien-fondé de la classification de leurs parcelles. Ils soutenaient notamment que les restrictions imposées étaient disproportionnées et fondées sur une erreur manifeste d’appréciation au regard des objectifs écologiques et paysagers invoqués par la commune.

Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel de déterminer si la création d’espaces verts protégés en zone urbaine, limitant de manière significative les possibilités de construction, reposait sur une justification suffisante et ne constituait pas une atteinte excessive au droit de propriété. La juridiction d’appel répond par la négative et rejette les requêtes. Elle estime que la commune a pu légalement instituer ces protections, considérant que les objectifs de préservation paysagère et de maintien des continuités écologiques, tels que définis dans le projet d’aménagement et de développement durables, justifiaient les mesures prises. La cour juge en outre que les prescriptions édictées, qui n’interdisent pas toute forme de construction, ne sont pas disproportionnées au regard des buts d’intérêt général poursuivis.

Cette décision illustre le contrôle exercé par le juge administratif sur les choix de planification d’une collectivité, en conciliant les prérogatives de la puissance publique et les droits des administrés. Il convient ainsi d’analyser la manière dont la cour valide le pouvoir d’appréciation de la commune dans la définition de ses objectifs environnementaux (I), avant d’examiner la portée de ce contrôle qui consacre une conception extensive de l’intérêt général écologique au détriment des droits individuels à construire (II).

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I. La validation du pouvoir d’appréciation communal dans la protection des espaces verts

La cour administrative d’appel confirme la légalité de la modification du plan local d’urbanisme en s’appuyant sur une double analyse. Elle exerce d’abord un contrôle restreint sur l’opportunité du classement, fondé sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durables (A). Ensuite, elle procède à une appréciation concrète de la proportionnalité des restrictions imposées au droit de construire, validant ainsi la mesure adoptée par la commune (B).

A. Un contrôle restreint sur l’opportunité du classement au regard des objectifs du PADD

L’arrêt rappelle que le juge administratif n’a pas à substituer sa propre appréciation à celle des auteurs d’un document d’urbanisme, son contrôle se limitant à l’erreur manifeste. En l’espèce, la cour estime que la création des espaces verts protégés est cohérente avec les orientations fixées par le projet d’aménagement et de développement durables. Ce dernier mettait en avant la nécessité de « préserver la qualité paysagère » et de maintenir les « cœurs d’îlot les plus significatifs ». La juridiction relève que le classement litigieux répond directement à ces ambitions en protégeant des enfilades de jardins et des espaces demeurés à l’état naturel au sein des quartiers pavillonnaires.

De plus, la cour valide la méthode utilisée pour identifier ces espaces, qui reposait sur une analyse de photographies aériennes et la volonté de préserver une distance raisonnable avec le bâti existant. Le juge entérine ainsi une démarche pragmatique de l’administration, considérant que la finalité d’intérêt général prime sur les critiques techniques formulées par les requérants. L’argument selon lequel certaines parcelles classées n’étaient que simplement enherbées est rejeté, la pertinence du classement devant s’apprécier « à l’échelle du cœur d’îlot, de l’unité paysagère ou du corridor discontinu dans lesquels elles s’insèrent ». Cette approche globale permet de justifier la protection de terrains dont l’intérêt écologique individuel pourrait paraître limité, mais qui participent à un ensemble cohérent.

B. Une appréciation concrète de la proportionnalité des restrictions

Au-delà du contrôle de l’opportunité, le juge se livre à un examen plus poussé de la proportionnalité des mesures. Conformément à une jurisprudence constante, une interdiction de construire ne peut être imposée que si elle constitue « le seul moyen permettant d’atteindre l’objectif poursuivi ». Or, l’arrêt prend soin de souligner que les prescriptions applicables aux nouveaux espaces verts protégés n’entraînent pas une inconstructibilité totale. Le règlement du plan local d’urbanisme autorise en effet la réalisation de constructions annexes, de piscines sous conditions, de cheminements, voire de garages.

La cour en déduit que les contraintes « n’entrainent donc pas leur inconstructibilité et n’apparaissent pas disproportionnées au regard des objectifs poursuivis ». Cette analyse pragmatique des droits résiduels des propriétaires est déterminante pour écarter le grief d’une atteinte excessive au droit de propriété. Le juge vérifie que d’autres règles du plan, comme les coefficients d’espaces de pleine terre ou l’obligation de remplacement des arbres, n’offraient pas une protection équivalente. Il conclut ainsi que la servitude spécifique de l’article L. 151-23 du code de l’urbanisme était bien nécessaire pour atteindre les objectifs de préservation fixés par la commune.

Au-delà de la validation de la mesure contestée, cet arrêt s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large qui renforce la légitimité des outils d’urbanisme visant la protection de l’environnement, quitte à redéfinir les équilibres traditionnels.

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II. La consolidation de la primauté des objectifs environnementaux sur le droit de construire

La décision commentée ne se borne pas à trancher un litige d’espèce ; elle conforte la place des préoccupations écologiques dans le droit de l’urbanisme. Elle le fait d’une part en légitimant des concepts écologiques innovants comme justification à la restriction des droits des propriétaires (A). D’autre part, elle confirme la portée limitée de la protection accordée au propriétaire face à un intérêt général urbanistique de plus en plus orienté vers la nature en ville (B).

A. La légitimation de la notion de corridors écologiques discontinus en milieu urbain

Un des apports de l’arrêt est sa reconnaissance de la validité du concept de corridors écologiques « en pas japonais ». Les requérants arguaient que les continuités écologiques justifiant les classements n’étaient pas identifiées par le schéma régional de cohérence écologique. La cour écarte cet argument en se référant au projet d’aménagement et de développement durables communal qui entendait « Préserver et améliorer la trame verte et bleue » et prendre en compte le rôle des jardins pavillonnaires « comme corridor écologique « en pas japonais » entre vallée de l’Yerres et forêt de Sénart ».

En validant ce raisonnement, le juge administratif admet qu’un réseau discontinu d’espaces verts privés peut constituer une continuité écologique pertinente, même en dehors des schémas directeurs régionaux. Cette solution confère une base juridique solide à des politiques d’urbanisme qui visent à préserver la biodiversité au sein même du tissu urbain dense. Elle permet aux communes de s’appuyer sur des concepts écologiques souples pour justifier des servitudes, reconnaissant que la préservation de la nature en ville passe par la protection d’un maillage d’espaces privés, et non uniquement par la sanctuarisation de grands espaces publics.

B. La confirmation d’une protection limitée du propriétaire face à l’intérêt général

En définitive, cette décision illustre la difficile conciliation entre l’intérêt général environnemental et le droit de propriété. En rejetant l’ensemble des moyens soulevés, y compris l’erreur manifeste d’appréciation pour chacune des parcelles, la cour confirme que le droit de construire n’est pas un droit absolu. L’appréciation d’un propriétaire sur l’intérêt écologique ou paysager de son propre terrain ne saurait prévaloir sur la vision d’ensemble de la collectivité, dès lors que celle-ci est formalisée dans un document de planification et qu’elle n’est pas manifestement erronée.

L’arrêt souligne que la limitation des droits à construire dans certains secteurs peut être justifiée par la poursuite d’un « équilibre entre densification et protection des milieux ». Il est relevé que le potentiel de construction était faible dans la zone concernée et que la commune disposait d’autres leviers pour sa politique de logement. Le sacrifice imposé à quelques propriétaires est ainsi jugé acceptable au regard du bénéfice collectif en matière de cadre de vie et de biodiversité. Cette solution, si elle est classique dans son principe, montre la force croissante des objectifs de développement durable, qui pèsent de manière de plus en plus concrète et restrictive sur les droits des propriétaires fonciers.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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