Cour d’appel administrative de Toulouse, le 6 mai 2025, n°23TL00017

Par un arrêt en date du 6 mai 2025, la cour administrative d’appel a tranché un litige fiscal relatif au calcul d’une plus-value immobilière réalisée par une société non-résidente et aux pénalités afférentes. Une société de droit britannique, ayant cédé en 2018 deux biens immobiliers situés en France, s’est vue notifier un redressement au titre du prélèvement prévu à l’article 244 bis A du code général des impôts. L’administration fiscale avait écarté une partie des dépenses de travaux invoquées pour minorer le montant de la plus-value imposable et avait appliqué des pénalités pour déclaration tardive.

Saisi par la société, le tribunal administratif de Montpellier, par un jugement du 7 novembre 2022, n’avait que très partiellement fait droit à sa demande. La société a donc interjeté appel, contestant le calcul de la base d’imposition et le bien-fondé des sanctions. Elle soutenait que des dépenses supplémentaires de reconstruction et d’ameublement devaient être prises en compte, bien que justifiées par des factures au nom de son gérant ou des tickets de caisse. Elle arguait également que son dirigeant n’était pas familiarisé avec les obligations fiscales françaises, ce qui devait justifier l’annulation des intérêts de retard et de la majoration de 10 %.

Deux questions de droit étaient ainsi soumises au juge d’appel. D’une part, il s’agissait de déterminer si des dépenses peuvent être admises en déduction de la plus-value imposable lorsque les pièces justificatives ne sont pas établies au nom de la société contribuable. D’autre part, la cour devait se prononcer sur le point de savoir si la méconnaissance alléguée de la loi fiscale par le dirigeant d’une société étrangère est de nature à la soustraire aux pénalités pour défaut de déclaration.

À ces deux interrogations, la cour administrative d’appel répond par la négative. Concernant les dépenses, elle juge que les pièces produites, qu’il s’agisse de tickets de caisse non nominatifs ou de factures libellées au nom de tiers, même s’il s’agit du dirigeant de la société, ne permettent pas de rattacher les frais aux biens immobiliers en cause. Concernant les pénalités, elle estime que les intérêts de retard sont dus indépendamment du comportement du contribuable et que l’ignorance des obligations déclaratives, au demeurant rappelées dans les actes de vente, ne constitue pas une impossibilité matérielle de déposer les déclarations, justifiant ainsi l’application de la majoration.

La solution retenue par la cour administrative d’appel confirme une application stricte des règles de preuve en matière fiscale (I), tout en réaffirmant le caractère objectif des sanctions attachées aux obligations déclaratives (II).

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I. La détermination probatoire des dépenses déductibles de la plus-value

La cour confirme la position de l’administration et des premiers juges s’agissant du calcul de la plus-value imposable, en adoptant une approche rigoureuse quant aux justificatifs des dépenses. Cette position conduit au rejet des modes de preuve jugés insuffisants (A) et rappelle la charge de la preuve qui pèse sur le contribuable (B).

A. Le rejet des modes de preuve jugés insuffisants

Pour le calcul de la plus-value, le prix d’acquisition peut être majoré de certaines dépenses, à condition que celles-ci soient dûment justifiées. En l’espèce, la société requérante produisait diverses pièces pour attester de frais de reconstruction et d’ameublement. La cour les écarte cependant méthodiquement, au motif qu’elles ne permettent pas d’établir un lien certain avec les travaux réalisés sur les immeubles cédés.

Le juge rejette ainsi « de simples tickets de caisse non nominatifs et de factures libellées au nom de tiers ». Cette solution n’est pas nouvelle et correspond à une jurisprudence constante qui exige que les justificatifs permettent d’identifier sans équivoque le bénéficiaire et l’objet de la dépense. Le fait que les factures soient le plus souvent établies au nom du dirigeant et représentant de la société est jugé inopérant. La personnalité morale de la société fait écran et les dépenses engagées personnellement par son mandataire social ne sont pas, par principe, réputées avoir été supportées par elle. La cour précise que même les factures établies au nom de la société ne sont pas probantes lorsqu’elles sont « dépourvues de référence à un chantier ou un lieu de livraison ». La preuve du rattachement de la dépense au bien immobilier est donc une condition cumulative et essentielle.

B. La charge de la preuve pesant sur le contribuable

Cette décision est une illustration classique du principe selon lequel il appartient au contribuable qui sollicite un avantage fiscal d’en prouver le bien-fondé. En matière de plus-values immobilières, la déduction de frais ou de travaux du prix de cession constitue une atténuation de la base imposable. Le fardeau de la preuve repose donc entièrement sur le cédant. Celui-ci doit non seulement prouver la réalité de la dépense, mais également son affectation à l’amélioration, la construction, la reconstruction ou l’agrandissement du bien.

La cour administrative d’appel se montre stricte dans l’appréciation des éléments fournis, refusant de pallier les carences probatoires de la société requérante. La seule affirmation que « les achats de matériaux établis par ces pièces seraient inhérents aux travaux de construction effectués » est balayée comme étant insuffisante. Cette rigueur s’explique par la nécessité de prévenir les risques de fraude, où un contribuable tenterait de déduire des dépenses personnelles ou afférentes à d’autres chantiers. La solution adoptée garantit la sécurité juridique et l’égalité devant l’impôt, en traitant de manière identique tous les contribuables, indépendamment de leur nationalité ou de leur structure.

Après avoir validé l’assiette de l’imposition, la cour se penche sur la question des sanctions appliquées par l’administration fiscale, confirmant là encore leur bien-fondé.

II. L’inéluctable application des sanctions fiscales

La société requérante tentait de s’exonérer des pénalités en invoquant une méconnaissance de la législation française. La cour oppose une fin de non-recevoir à cet argument, tant pour les intérêts de retard, dont elle rappelle le caractère automatique (A), que pour la majoration pour défaut de déclaration, face à laquelle l’ignorance de la loi est indifférente (B).

A. Le caractère automatique des intérêts de retard

L’article 1727 du code général des impôts prévoit que toute créance fiscale non acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d’un intérêt de retard. Ces intérêts ont pour objet de réparer le préjudice financier subi par le Trésor public du fait de la perception tardive de l’impôt. Leur application est de droit et ne dépend d’aucune appréciation du comportement du contribuable.

La cour le rappelle ici en des termes clairs, en énonçant que les intérêts de retard « ont été mis à la charge de la société […] indépendamment de toute appréciation portée par l’administration fiscale sur son comportement ». Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance de la loi par le dirigeant est totalement inopérant. Que le retard soit dû à une négligence, une ignorance ou une volonté délibérée de fraude, l’intérêt de retard est mécaniquement appliqué. Il ne s’agit pas d’une punition, mais d’une simple compensation financière, ce qui justifie son caractère objectif et automatique.

B. L’indifférence de la méconnaissance de la loi pour la majoration

Contrairement aux intérêts de retard, la majoration de 10 % prévue à l’article 1728 du code général des impôts pour défaut de production d’une déclaration dans les délais revêt le caractère d’une sanction. Cependant, son application est également largement détachée de l’élément intentionnel, sauf à démontrer l’existence d’un cas de force majeure.

La cour souligne que la société n’établit pas « avoir été dans l’impossibilité matérielle de procéder au dépôt de ces déclarations ». L’argument tiré de l’ignorance de la loi par le dirigeant étranger est écarté, le juge prenant soin de relever que les obligations déclaratives « étaient pourtant explicitement rappelées dans les deux actes de ventes en cause ». Ce faisant, la cour refuse d’assimiler la méconnaissance de la loi à un cas de force majeure. Elle applique l’adage « nul n’est censé ignorer la loi », principe fondamental qui s’impose avec une acuité particulière en droit fiscal. La portée de cette décision est de rappeler que les opérateurs économiques étrangers intervenant en France sont tenus à une obligation de diligence et ne sauraient se prévaloir de leur propre turpitude pour échapper à leurs obligations fiscales. L’arrêt confirme ainsi une solution d’espèce qui s’inscrit dans une jurisprudence bien établie, garantissant l’effectivité des obligations déclaratives.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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