Cour d’appel administrative de Toulouse, le 28 mai 2025, n°25TL00653

Par un arrêt rendu le 28 mai 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur une demande de sursis à exécution d’un jugement ayant annulé une autorisation environnementale. Cette autorisation avait été délivrée conjointement par deux préfets le 1er mars 2023 au bénéfice d’une société concessionnaire pour la construction d’une liaison autoroutière. Le projet concernait une nouvelle infrastructure destinée à relier deux agglomérations. Plusieurs associations de protection de l’environnement ainsi que d’autres entités et une commune avaient contesté cette autorisation devant le tribunal administratif compétent. Par un jugement du 27 février 2025, celui-ci avait fait droit à leurs demandes en annulant l’arrêté préfectoral. Le tribunal avait notamment retenu que le projet ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur justifiant une dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées. La société concessionnaire a alors interjeté appel de ce jugement et a saisi la cour d’une requête en sursis à exécution afin de pouvoir poursuivre les travaux dans l’attente de la décision au fond.

La question de droit soumise au juge d’appel était de déterminer si les conditions pour ordonner le sursis à exécution du jugement d’annulation étaient réunies. Plus précisément, il s’agissait de savoir si les arguments avancés par la société appelante, et notamment celui relatif à l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur, présentaient un caractère suffisamment sérieux pour justifier, non seulement l’annulation du jugement de première instance, mais également le rejet des conclusions des opposants au projet. En réponse, la cour administrative d’appel a décidé de faire droit à la demande de sursis à exécution. Elle a estimé que le moyen tiré de l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur apparaissait, en l’état de l’instruction, comme étant sérieux et de nature à justifier la réformation du jugement attaqué et le rejet des demandes d’annulation. La cour a par ailleurs écarté les autres moyens soulevés par les défendeurs, considérant qu’ils n’étaient pas de nature à confirmer la solution retenue par les premiers juges.

La décision de la cour s’articule autour de l’appréciation du caractère sérieux d’un moyen pour suspendre les effets d’une annulation contentieuse (I), ce qui conduit à une priorisation de la continuité d’un projet d’envergure face aux protections environnementales immédiates (II).

I. La primauté du caractère sérieux du moyen relatif à la raison impérative d’intérêt public majeur

Le juge du sursis à exécution concentre son analyse sur la solidité des arguments de l’appelant. Il examine le moyen principal concernant la raison impérative d’intérêt public majeur comme un critère déterminant (A), ce qui l’amène à écarter les autres arguments qui ne semblent pas pouvoir, à ce stade, justifier le maintien de l’annulation (B).

**A. L’appréciation du caractère sérieux du moyen tiré de la raison impérative d’intérêt public majeur**

Pour accorder le sursis à exécution sur le fondement de l’article R. 811-15 du code de justice administrative, le juge doit constater l’existence d’un moyen qui paraît, en l’état de l’instruction, sérieux et apte à remettre en cause la décision des premiers juges. En l’espèce, la cour a porté son attention sur l’argumentation développée par la société concessionnaire concernant la raison impérative d’intérêt public majeur. Le tribunal administratif avait écarté cette justification, estimant que ni le désenclavement économique du territoire, ni les enjeux de sécurité routière n’étaient suffisamment établis pour déroger à la protection des espèces.

La cour administrative d’appel adopte une position inverse en considérant que l’argumentation de l’appelante est suffisamment probante à ce stade de la procédure. Elle juge que le moyen selon lequel le projet « répond par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur » est sérieux. Cette appréciation suggère que le juge d’appel accorde un poids significatif aux objectifs de développement économique et d’aménagement du territoire mis en avant par le porteur du projet. La qualification du projet comme opération prioritaire nationale par la loi et son inscription dans divers actes administratifs ont vraisemblablement renforcé cette conviction. Le juge du sursis opère ainsi une première évaluation qui, sans préjuger de la décision au fond, redonne une force considérable aux arguments qui avaient été jugés insuffisants en première instance.

**B. La mise à l’écart des autres moyens comme non susceptibles de confirmer l’annulation**

Une fois la solidité d’un moyen de l’appelant établie, il appartient au juge de vérifier si d’autres arguments, soulevés par les parties en défense, ne seraient pas de nature à préserver la solution d’annulation prononcée par le tribunal administratif. Dans cette affaire, les associations et autres opposants au projet avaient repris en appel une multitude de moyens, allant de l’irrégularité de l’enquête publique à l’insuffisance des mesures compensatoires, en passant par l’illégalité de l’autorisation relative aux installations annexes.

La cour administrative d’appel écarte l’ensemble de ces moyens de manière concise. Elle affirme qu’ils « ne paraissent pas, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à confirmer l’annulation de cet arrêté prononcée par le jugement du tribunal administratif de Toulouse ». Cette démarche montre que, dans le cadre de son office restreint, le juge du sursis à exécution n’est pas tenu de répondre de manière détaillée à chaque argument. Il lui suffit de constater qu’aucun autre moyen ne semble présenter une solidité évidente qui justifierait de laisser l’annulation produire ses effets. L’analyse se concentre sur l’essentiel et, une fois le doute sérieux instillé par l’appelant, les autres critiques du projet sont provisoirement mises de côté, en attente de l’examen approfondi qui sera mené lors de l’instruction au fond.

Cette approche pragmatique, centrée sur le moyen jugé le plus déterminant, a des conséquences directes sur la poursuite du projet. La décision de sursis à exécution ne se limite pas à une analyse juridique abstraite ; elle possède une portée concrète qui rééquilibre les forces en présence.

II. La portée de la décision : la continuité du projet privilégiée face à l’exécution du jugement d’annulation

En suspendant les effets du jugement de première instance, la cour administrative d’appel affaiblit la portée immédiate de la protection juridictionnelle de l’environnement (A) et signale une interprétation potentiellement plus souple de la notion de raison impérative d’intérêt public majeur (B).

**A. L’affaiblissement de la portée du jugement d’annulation de première instance**

La principale conséquence de la décision est de priver d’effet le jugement du tribunal administratif qui avait ordonné l’arrêt du projet. L’annulation d’une autorisation environnementale a pour but de faire cesser une situation jugée illégale, en l’occurrence une atteinte à l’environnement non justifiée. En accordant le sursis à exécution, la cour permet la reprise des travaux, alors même que la légalité de l’autorisation reste contestée. Cette situation crée une tension entre la nécessité de ne pas causer un préjudice irréversible au maître d’ouvrage et le risque de créer des dommages tout aussi irréversibles à l’environnement.

Les arguments de la société concessionnaire concernant l’état d’avancement du chantier, les coûts déjà engagés et les conséquences sociales d’un arrêt prolongé, bien que formellement examinés au titre de l’article R. 811-17 du code de justice administrative que la cour n’a pas eu besoin d’appliquer, ont sans doute constitué la toile de fond de sa décision. L’exécution du jugement d’annulation aurait entraîné des conséquences économiques et logistiques considérables. En suspendant cette exécution, le juge d’appel donne la priorité à la continuité d’un projet d’infrastructure d’envergure, considérant implicitement que les inconvénients d’un arrêt seraient, à ce stade, supérieurs aux bénéfices d’une application immédiate du principe de précaution consacré par le jugement de première instance.

**B. L’orientation vers une acception large de la raison impérative d’intérêt public majeur**

Au-delà de ses effets immédiats, cet arrêt constitue un signal sur l’appréciation de la notion de raison impérative d’intérêt public majeur. Le tribunal administratif avait adopté une lecture stricte, exigeant la démonstration d’un besoin impérieux que des alternatives moins dommageables ne pouvaient satisfaire. Il avait estimé que ni la situation économique du bassin de vie concerné ni son accidentologie ne caractérisaient une situation critique justifiant des atteintes significatives à la biodiversité.

En jugeant « sérieux » le moyen contraire, la cour d’appel suggère qu’une interprétation plus large, prenant en compte des objectifs d’aménagement du territoire et de développement économique à long terme, est plausible. Sans se prononcer définitivement, elle laisse entendre que le caractère de « dernier bassin économique de plus de 100 000 habitants encore situé à plus d’une heure du réseau autoroutier » peut participer à la constitution d’une raison impérative d’intérêt public majeur. Cette décision pourrait ainsi s’inscrire dans une jurisprudence qui, tout en intégrant les exigences du droit de l’environnement, continue de ménager une place importante aux grands projets d’infrastructure soutenus par la puissance publique, dès lors qu’ils s’appuient sur un intérêt public dûment argumenté, même si celui-ci ne relève pas d’une situation d’urgence avérée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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