Par un arrêt en date du 25 mars 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’une procédure d’expropriation engagée pour la réalisation d’un aménagement routier. En l’espèce, un projet d’aménagement de routes départementales a été déclaré d’utilité publique par un arrêté préfectoral du 28 juillet 2011, dont la validité a été prorogée par un second arrêté en date du 26 janvier 2016. Un troisième arrêté, en date du 18 septembre 2020, a ensuite déclaré cessibles plusieurs parcelles nécessaires à la réalisation de ces travaux. Des propriétaires concernés par cette mesure ont saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cet arrêté de cessibilité et, subsidiairement, l’abrogation des actes déclaratifs d’utilité publique. Le tribunal administratif ayant rejeté leur demande par un jugement du 18 avril 2023, les requérants ont interjeté appel, soulevant de nombreux moyens d’illégalité à l’encontre tant de la déclaration d’utilité publique initiale que de son acte de prorogation.
Il était ainsi demandé aux juges d’appel de déterminer si les diverses irrégularités de forme et de procédure, ainsi qu’une prétendue erreur d’appréciation quant à l’utilité publique du projet, étaient de nature à vicier la légalité de l’arrêté de cessibilité, alors même que ces critiques visaient des actes administratifs antérieurs devenus définitifs. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant qu’aucun des vices allégués ne permet de remettre en cause la légalité de l’opération. En validant le raisonnement des premiers juges, la cour confirme que ni les imperfections de l’enquête publique, ni les insuffisances de l’étude d’impact, ni le bilan du projet ne justifiaient l’annulation des décisions contestées.
La décision commentée s’inscrit dans une approche pragmatique du contentieux de l’expropriation, en réaffirmant les principes classiques du contrôle de l’utilité publique (I) tout en consacrant la portée limitée des vices de procédure et des évolutions du projet dans le temps (II).
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I. La réaffirmation du contrôle classique de la déclaration d’utilité publique
La cour administrative d’appel exerce un contrôle approfondi sur les conditions de fond de la déclaration d’utilité publique. Ce contrôle se manifeste tant à travers un examen concret du bien-fondé de l’opération qu’à travers une appréciation souple des éventuelles imperfections des documents préparatoires.
**A. Un examen approfondi du bien-fondé de l’opération**
Le juge administratif se livre à une analyse complète de l’utilité publique du projet en mettant en balance ses avantages et ses inconvénients. Pour ce faire, il examine successivement la finalité d’intérêt général de l’opération, la nécessité du recours à l’expropriation et le caractère non excessif de ses atteintes au regard de l’intérêt qu’elle présente. La cour constate que le projet poursuit des objectifs légitimes d’amélioration de la desserte locale, de la sécurité routière et du cadre de vie des riverains. Elle relève que la croissance démographique observée à l’époque de la décision initiale justifiait d’anticiper une augmentation du trafic, rendant le projet pertinent.
Face à cet intérêt général, les juges évaluent les inconvénients de l’opération, notamment la consommation d’espaces agricoles et naturels, l’impact sur les milieux boisés et aquatiques, ainsi que l’atteinte portée à la propriété privée. La cour prend soin de détailler les mesures prévues pour réduire et compenser ces impacts, telles que la réhabilitation des sites, la reconstitution de corridors écologiques ou encore la mise en place de passages pour la faune. Au terme de cette analyse, elle conclut que « les inconvénients du projet ne présentent pas un caractère excessif de nature à le priver de son caractère d’utilité publique ». Cette démarche illustre la méthode du bilan coût-avantages, qui confère au juge un pouvoir de contrôle maximum sur l’opportunité même de l’opération, sans pour autant le conduire à substituer systématiquement son appréciation à celle de l’administration.
**B. Une appréciation souple de l’exhaustivité de l’étude d’impact**
Les requérants contestaient également la légalité de la déclaration d’utilité publique en raison des insuffisances supposées de l’étude d’impact. Ils lui reprochaient notamment de ne pas analyser les effets du projet sur un bâtiment d’intérêt patrimonial non protégé, d’omettre certains inventaires de zones naturelles ou encore de sous-estimer les nuisances pour le voisinage. La cour écarte méthodiquement ces critiques en se fondant sur une jurisprudence constante et pragmatique. Elle rappelle en effet que « les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ».
En application de ce principe, le juge ne sanctionne pas toute imperfection formelle mais seulement celles qui revêtent un caractère substantiel. Ainsi, l’absence de mention d’un bâtiment non classé ou d’inventaires naturalistes récents n’est pas jugée déterminante dès lors que l’étude analyse de manière globale l’environnement et le patrimoine concernés. De même, l’omission d’une analyse sur les vibrations potentielles est considérée comme une lacune mineure, insusceptible d’avoir vicié la procédure. Cette approche jurisprudentielle permet de sécuriser les projets d’envergure face à des moyens de légalité externe souvent formels, en concentrant le contrôle sur ce qui affecte réellement la substance de la décision administrative.
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L’application rigoureuse des cadres de contrôle de l’utilité publique s’accompagne d’une volonté de ne pas paralyser l’action administrative pour des motifs procéduraux jugés non essentiels, ce qui se confirme dans l’analyse des autres moyens soulevés.
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II. La portée limitée des irrégularités procédurales et des évolutions du projet
La stabilité des opérations complexes d’urbanisme ou d’aménagement repose en grande partie sur la capacité du juge à relativiser la portée des vices de procédure et à admettre une certaine évolutivité des projets. L’arrêt commenté en est une parfaite illustration, d’une part en neutralisant les vices de procédure jugés non déterminants, d’autre part en validant la prorogation de la déclaration d’utilité publique malgré des modifications apportées au projet.
**A. La neutralisation des vices de procédure non déterminants**
Les requérants soulevaient une série d’irrégularités ayant, selon eux, entaché l’enquête publique : le choix d’un commissaire enquêteur unique plutôt qu’une commission, le manque d’impartialité de celui-ci, le périmètre géographique restreint de l’enquête ou encore le non-respect du délai de transmission du rapport. Pour chacun de ces points, la cour administrative d’appel fait une application stricte de la jurisprudence `Danthony`, selon laquelle « un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s’il a privé l’intéressé d’une garantie ».
Ainsi, la transmission tardive du rapport du commissaire enquêteur est jugée sans incidence sur le sens de la décision finale et ne prive les requérants d’aucune garantie. De même, le fait que les permanences de l’enquête se soient tenues durant des horaires de travail classiques n’est pas considéré comme ayant restreint la participation du public, le juge se fondant sur le nombre significatif d’observations recueillies. En refusant de sanctionner des manquements procéduraux qui n’ont pas eu de conséquence concrète, la cour privilégie une approche matérielle de la légalité et évite que des projets d’intérêt général ne soient remis en cause pour de simples erreurs formelles.
**B. La validation de la prorogation en dépit des modifications apportées au projet**
La légalité de l’arrêté de prorogation de la déclaration d’utilité publique était également contestée, les requérants estimant qu’une nouvelle enquête publique aurait dû être organisée en raison de modifications apportées au projet initial. La cour rappelle que la prorogation sans nouvelle enquête est possible « sauf si les caractéristiques du projet sont substantiellement modifiées ». La question était donc de savoir si l’ajout d’une voie cyclable constituait une modification substantielle.
Le juge répond par la négative, considérant que cette évolution n’affecte pas l’économie générale du projet. Cette solution est conforme à une jurisprudence qui interprète de manière restrictive la notion de modification substantielle, afin de permettre à l’administration d’adapter les projets sur le long terme sans devoir systématiquement relancer de lourdes procédures. En réservant l’exigence d’une nouvelle enquête aux seules transformations qui bouleversent la nature, la consistance ou le coût de l’opération, le juge administratif assure un équilibre entre la nécessaire information du public et l’efficacité de l’action administrative. La décision confirme ainsi que des ajustements ou des améliorations mineures ne sauraient suffire à fragiliser la base légale d’un projet déclaré d’utilité publique.