L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel le 5 août 2025 offre une illustration précise de l’articulation entre le pouvoir de police de l’urbanisme et le droit à indemnisation des administrés. En l’espèce, des propriétaires d’une parcelle avaient obtenu une décision de non-opposition à une déclaration préalable de division foncière. Par la suite, trois demandes de permis de construire déposées par des acquéreurs potentiels pour les lots issus de cette division ont été rejetées par le maire de la commune. Ces refus étaient motivés par un risque d’inondation révélé par de fortes précipitations survenues après la division parcellaire, ainsi que par des insuffisances des réseaux publics. Estimant subir un préjudice du fait de l’illégalité de ces refus, les propriétaires ont recherché la condamnation de la commune. Saisi en première instance, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande par un jugement du 19 avril 2024. Les propriétaires ont alors interjeté appel. Après avoir écarté une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l’appel, la cour administrative d’appel a constaté que les premiers juges avaient omis de statuer sur un moyen, ce qui entachait leur jugement d’irrégularité. Annulant cette décision et usant de son pouvoir d’évocation, la cour a statué sur le fond du litige. Il lui appartenait donc de déterminer si les refus de permis de construire, ainsi que la décision antérieure de non-opposition à la division, étaient constitutifs d’une faute de nature à engager la responsabilité de la commune et, à défaut, si une responsabilité sans faute pouvait être reconnue au profit des propriétaires. La cour a répondu par la négative à ces questions, considérant que les décisions de l’administration étaient légalement justifiées et que le préjudice subi par les propriétaires ne revêtait pas un caractère anormal et spécial.
Cette décision permet de réaffirmer la légalité des refus de permis de construire fondés sur un risque avéré pour la sécurité publique (I), tout en confirmant la logique restrictive d’engagement de la responsabilité de la puissance publique en la matière (II).
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I. La justification du refus de permis de construire au regard du risque pour la sécurité publique
La cour administrative d’appel valide le raisonnement de l’autorité communale en confirmant d’une part l’appréciation du risque justifiant l’application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme (A), et en écartant d’autre part la possibilité de recourir à de simples prescriptions spéciales (B).
A. L’appréciation du risque au nom de la sécurité publique
L’article R. 111-2 du code de l’urbanisme dispose que « le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique ». Pour justifier légalement un refus sur ce fondement, l’autorité administrative doit se fonder sur un risque suffisamment caractérisé. En l’espèce, le juge administratif contrôle la démarche de l’administration qui a refusé les permis en se fondant sur un épisode d’inondation survenu quelques mois auparavant. Les requérants soutenaient le caractère exceptionnel de cet événement, arguant qu’un tel fait ne s’était pas produit depuis plusieurs décennies. La cour écarte cet argument en considérant que le risque est devenu « avéré » à la date des décisions litigieuses. Elle souligne qu’il appartient à l’autorité compétente de tenir compte « tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences ». Ce faisant, elle confirme qu’un seul événement récent, s’il est d’une ampleur significative, suffit à matérialiser un risque pertinent pour l’application de l’article R. 111-2, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une récurrence établie sur le long terme. Le juge prend également en compte « la probabilité que ce type de phénomène est de nature à s’amplifier dans le futur », intégrant ainsi implicitement les projections liées au changement climatique dans son appréciation de la légalité de la décision du maire. La circonstance que le plan de prévention des risques ne classait pas la zone comme étant à risque est jugée sans incidence, le pouvoir de police du maire lui permettant d’agir sur le fondement d’un risque constaté indépendamment de son inscription dans les documents de planification.
B. Le rejet de l’alternative des prescriptions spéciales
La jurisprudence constante précise qu’un refus de permis de construire fondé sur l’article R. 111-2 n’est légal que si l’atteinte à la sécurité ou à la salubrité publique ne peut être prévenue par des prescriptions spéciales. Ces dernières ne doivent pas apporter au projet des « modifications substantielles nécessitant la présentation d’une nouvelle demande ». Les requérants avançaient que la commune aurait pu assortir les autorisations de prescriptions, notamment celles évoquées par l’avis de la communauté d’agglomération, qui suggérait la réalisation d’une « étude de sol accompagnée de propositions d’infiltration en techniques alternatives ». Or, la cour estime que de telles exigences « auraient été de nature à modifier substantiellement la nature du projet, nécessitant la présentation d’une nouvelle demande de permis de construire ». En qualifiant ces aménagements de substantiels, le juge confirme que les prescriptions ne peuvent viser qu’à adapter un projet existant et défini. Exiger des études préalables aboutissant à des techniques de construction potentiellement différentes revient à modifier la conception même du projet, ce qui excède le champ des simples prescriptions. Cette analyse renforce la distinction entre l’adaptation d’un projet et sa redéfinition. L’absence de dépôt de nouvelles demandes de permis de construire intégrant ces modifications a ainsi permis de conforter la légalité du refus initial opposé par la commune.
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II. L’exclusion consécutive de la responsabilité de la puissance publique
La légalité des refus de permis de construire étant établie, la cour examine logiquement les fondements de la responsabilité de la commune. Elle écarte ainsi toute responsabilité pour faute de l’administration (A) avant de rejeter également l’engagement de sa responsabilité sans faute (B).
A. Le rejet de la responsabilité pour faute
La responsabilité pour faute de l’administration suppose l’existence d’une illégalité fautive. Les requérants invoquaient deux illégalités. La première concernait les refus de permis de construire. La cour, ayant conclu à la légalité de ces refus aux motifs de la réalité du risque et de l’impossibilité d’assortir les autorisations de prescriptions non substantielles, écarte par voie de conséquence toute faute sur ce point. La seconde illégalité alléguée portait sur la décision de non-opposition à la déclaration préalable de division du terrain. Les requérants lui reprochaient d’avoir autorisé une division sur un terrain qui s’est révélé par la suite inconstructible. La cour rejette ce moyen en se fondant sur une stricte analyse chronologique. La non-opposition a été accordée le 2 mars 2020, tandis que l’inondation révélant le risque est survenue les 10 et 11 mai 2020. Le juge en déduit que l’ampleur du risque n’était pas connue de l’administration à la date de sa décision. Il est ainsi rappelé que la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date à laquelle il a été édicté. L’administration ne pouvait donc commettre de faute en ne s’opposant pas à la division sur le fondement d’un risque qui n’était pas encore manifesté. L’absence d’illégalité dans les différentes décisions prises par la commune conduit donc logiquement au rejet total de la responsabilité pour faute.
B. L’impossibilité d’engager la responsabilité sans faute
À titre subsidiaire, les requérants tentaient d’obtenir réparation sur le terrain de la responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques. Ce régime permet d’indemniser un préjudice anormal et spécial né d’une décision administrative légale. Pour être qualifié d’anormal, le préjudice doit excéder par sa gravité les contraintes que doivent normalement supporter les membres de la collectivité. En l’espèce, la cour examine si la charge résultant des refus de permis de construire « est hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ». Elle conclut rapidement que l’objectif de « préservation de la salubrité et de la sécurité publique » justifie la charge imposée aux propriétaires. Cette solution est classique en matière de police de l’urbanisme. Le Conseil d’État considère de longue date que les servitudes d’urbanisme, même si elles diminuent la valeur d’un bien, ne donnent en principe pas lieu à indemnisation. L’engagement de la responsabilité sans faute demeure exceptionnel et suppose une atteinte particulièrement grave à la propriété, ce qui n’a pas été reconnu ici. L’arrêt confirme que l’intérêt général lié à la sécurité des personnes et des biens constitue un motif suffisamment puissant pour faire obstacle à l’indemnisation d’un préjudice financier, même direct et certain, résultant de l’inconstructibilité d’un terrain.