Par un arrêt en date du 23 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur les conditions dans lesquelles l’administration peut, devant le juge, substituer un nouveau motif à celui qui fondait initialement sa décision de refus d’un permis de construire modificatif.
Un particulier, titulaire d’un permis de construire pour une maison individuelle comprenant deux logements, a sollicité un permis modificatif afin de créer trois logements supplémentaires. Le maire de la commune concernée a opposé un refus à cette demande. Le pétitionnaire a alors saisi le tribunal administratif de Montreuil, lequel a rejeté son recours. Saisie par la commune, la juridiction de première instance a en effet accepté de substituer au motif de refus initial un nouveau moyen, tiré de ce que les modifications envisagées apportaient au projet un bouleversement tel qu’il en changeait la nature même, ce qui faisait obstacle à l’octroi d’un simple permis modificatif. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que cette substitution de motifs le privait d’une garantie procédurale.
Il revenait ainsi à la cour administrative d’appel de déterminer si le juge peut accueillir une demande de substitution de motifs fondée sur le bouleversement du projet initial, sans que cette opération ne porte atteinte à une garantie procédurale dont le pétitionnaire aurait dû bénéficier.
La Cour administrative d’appel de Paris rejette la requête. Elle juge que les modifications envisagées, transformant une construction individuelle en un bâtiment collectif de cinq logements, constituent bien un bouleversement de la nature du projet, justifiant le rejet d’une demande de permis modificatif. Elle estime ensuite que la substitution de ce motif par le juge en première instance ne prive le requérant d’aucune garantie, les dispositions du code de l’urbanisme relatives à la complétude des dossiers n’ayant pas pour objet de faire obstacle à une telle substitution.
L’arrêt permet ainsi de réaffirmer la distinction entre le permis modificatif et le nouveau permis (I), tout en précisant la portée du mécanisme de substitution de motifs dans ce contexte particulier (II).
***
I. La consolidation de la distinction entre permis modificatif et nouveau permis
La Cour administrative d’appel fonde sa décision sur une distinction classique du droit de l’urbanisme, celle qui oppose les simples modifications à un bouleversement du projet (A), avant d’en tirer les conséquences quant à la nature de la demande qui devait être déposée (B).
A. Le critère du bouleversement de la nature du projet
Le permis de construire modificatif ne peut être délivré que pour des changements d’une portée limitée au projet initialement autorisé. La jurisprudence a de longue date établi qu’il ne saurait être accordé si « les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ». En l’espèce, la Cour examine précisément la consistance des modifications sollicitées par le pétitionnaire.
Le projet initial portait sur la construction d’un pavillon abritant deux logements, pour une surface de plancher de 140 m². La demande de permis modificatif visait quant à elle à aménager trois logements supplémentaires, portant le total à cinq unités d’habitation. La Cour relève que ces modifications « avaient pour effet de transformer une construction individuelle en un bâtiment collectif ». C’est cette transformation substantielle qui constitue le cœur de son raisonnement. Le passage d’un habitat individuel, même comportant deux logements, à un immeuble collectif est une illustration topique du bouleversement qui fait obstacle à l’utilisation de la procédure simplifiée du permis modificatif.
B. La nécessité d’une nouvelle demande de permis de construire
La conséquence directe de la qualification de bouleversement est l’impossibilité de recourir à un permis modificatif. Le projet, par son ampleur nouvelle, doit faire l’objet d’une instruction complète, ce que seule une nouvelle demande de permis de construire permet. Le juge en déduit que l’administration était fondée à refuser l’autorisation sollicitée sous sa forme modificative.
En l’espèce, le maire aurait dû initialement fonder son refus sur ce motif, au lieu des moyens relatifs au plan local d’urbanisme ou au stationnement. C’est précisément cette erreur initiale qui a ouvert la voie à la demande de substitution de motifs de la part de la commune devant le tribunal. La Cour confirme donc que le fondement juridique retenu in fine par les premiers juges, celui tiré de la nature même de la demande, était le bon. La solution adoptée par la Cour s’inscrit ainsi dans une orthodoxie juridique rigoureuse, en appliquant un critère bien établi pour qualifier la nature de la demande d’urbanisme.
***
II. La portée du contrôle juridictionnel sur la nature de la demande
Au-delà de l’application d’un critère connu, l’intérêt de la décision réside dans l’articulation qu’elle opère entre ce critère et le mécanisme de la substitution de motifs (A), affirmant ainsi la prévalence d’une analyse substantielle sur les garanties procédurales invoquées par le requérant (B).
A. L’admission de la substitution de motifs en l’absence de garantie procédurale spécifique
Le requérant soutenait que la substitution de motifs l’avait privé d’une garantie procédurale. Il estimait que si le maire avait d’emblée considéré que son projet relevait d’une nouvelle demande de permis, il aurait dû, en application de l’article R. 423-38 du code de l’urbanisme, l’inviter à compléter son dossier. La Cour écarte cet argument de manière très claire.
Elle rappelle que la substitution de motifs est possible à condition qu’elle « ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué ». Or, elle juge que tel n’est pas le cas ici. La Cour précise en effet que « les dispositions combinées des articles R. 431-4 et R. 423-38 du code de l’urbanisme n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la possibilité d’une telle substitution ». En d’autres termes, l’obligation pour l’administration de demander des pièces manquantes concerne un dossier incomplet au regard de la procédure engagée, non un dossier qui relève d’une mauvaise procédure. La garantie invoquée ne s’appliquait donc pas à la situation, rendant la substitution de motifs parfaitement opérante.
B. La primauté du fond du projet sur la procédure engagée
Cette décision illustre la capacité du juge administratif à régulariser, a posteriori, le fondement juridique d’une décision administrative. En permettant à la commune de substituer le motif tiré du bouleversement du projet, la Cour fait prévaloir la réalité substantielle du projet sur la procédure formelle initiée par le pétitionnaire. L’essentiel est que, à la date de la décision de refus, le projet présenté ne pouvait légalement être autorisé par un permis modificatif.
La solution a une portée pratique importante. Elle confère une sécurité juridique à l’administration, qui peut corriger en cours d’instance le fondement de son refus, pourvu que le motif de substitution soit valable et ne lèse aucune garantie procédurale effective. Elle rappelle également aux pétitionnaires que le choix de la procédure d’urbanisme n’est pas neutre et qu’une erreur de qualification peut être sanctionnée, sans qu’ils puissent se prévaloir de garanties liées à une autre procédure. L’arrêt confirme ainsi une approche pragmatique et substantielle du contentieux de l’urbanisme, où la nature réelle du projet demeure le critère déterminant de la légalité de la décision.