Par un arrêt rendu le 2 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la légalité d’une autorisation de transfert d’officine de pharmacie, contestée au motif de l’incomplétude du dossier de demande. En l’espèce, l’autorité administrative compétente avait autorisé le transfert d’une officine. Le projet d’aménagement du nouveau local prévoyait un espace dédié aux livraisons hors des heures d’ouverture, ce qui impliquait la création d’une nouvelle porte et donc une modification de l’aspect extérieur du bâtiment. Or, le pharmacien demandeur n’avait pas joint à son dossier la déclaration préalable de travaux requise par le code de l’urbanisme pour une telle modification, se contentant de produire une attestation sur l’honneur affirmant qu’aucune autorisation n’était nécessaire. Une pharmacienne concurrente, installée à proximité du futur emplacement, a formé un recours contre cette autorisation. Saisi du litige, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision par un jugement du 7 novembre 2023, estimant que l’absence de l’autorisation d’urbanisme rendait le dossier de demande incomplet. La société exploitant l’officine transférée a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’irrégularité n’était pas de nature à avoir faussé l’appréciation de l’administration. Il revenait donc à la Cour administrative d’appel de déterminer si l’absence d’une autorisation d’urbanisme requise pour l’aménagement d’une condition minimale d’installation, dissimulée par une attestation sur l’honneur erronée du pétitionnaire, constitue une irrégularité substantielle de nature à vicier la légalité de l’autorisation de transfert d’officine. La Cour administrative d’appel de Paris rejette la requête. Elle confirme que le dossier était incomplet et juge que cette omission, portant sur une condition minimale d’installation, a nécessairement faussé l’appréciation de l’autorité administrative sur la conformité du projet, justifiant ainsi l’annulation de sa décision.
Cette décision permet à la Cour de clarifier l’étendue du contrôle que l’administration doit exercer sur la composition des dossiers de demande de transfert (I), avant de consacrer une appréciation particulièrement rigoureuse de la notion d’irrégularité substantielle en la matière (II).
I. La clarification du contrôle administratif sur la composition du dossier de demande de transfert
La Cour rappelle d’abord fermement le principe de l’obligation de complétude du dossier (A), puis précise la portée de ce contrôle en soulignant l’insuffisance d’une simple attestation sur l’honneur face aux exigences objectives du droit de l’urbanisme (B).
A. Le rappel de l’obligation de complétude du dossier
L’arrêt réaffirme avec force une exigence fondamentale de la procédure administrative : le pétitionnaire est tenu de fournir un dossier complet permettant à l’autorité compétente d’exercer son contrôle. La Cour rappelle en substance qu’il « appartient à l’autorité administrative saisie d’une demande de création ou de transfert d’officine de pharmacie de vérifier le caractère complet du dossier présenté à l’appui de cette demande ». Cette vérification constitue une garantie essentielle tant pour l’administration, qui doit s’assurer de la conformité du projet à l’ensemble des réglementations applicables, que pour les tiers dont les intérêts pourraient être affectés par la décision. En l’occurrence, les dispositions du code de la santé publique et de l’arrêté ministériel du 30 juillet 2018 listent précisément les pièces justificatives à produire, parmi lesquelles figurent les autorisations d’urbanisme nécessaires à l’aménagement du local. La décision commentée s’inscrit ainsi dans une jurisprudence constante qui fait de la complétude du dossier un préalable indispensable à une instruction régulière et à une prise de décision légale.
B. L’insuffisance de l’attestation sur l’honneur face aux exigences d’urbanisme
La Cour administrative d’appel précise ensuite qu’une attestation sur l’honneur du demandeur ne saurait se substituer à une autorisation d’urbanisme objectivement requise. En l’espèce, le demandeur avait attesté qu’aucun permis de construire ni déclaration de travaux n’était nécessaire. Or, les juges constatent que la création d’une porte en façade, visible sur les plans, constituait une modification de l’aspect extérieur du bâtiment soumise à déclaration préalable en vertu de l’article R. 421-17 du code de l’urbanisme. La Cour en déduit logiquement que « Le dossier de demande de transfert déposé (…) était donc incomplet ». Ce faisant, elle refuse de valider une pratique qui reviendrait à laisser le pétitionnaire seul juge de la nécessité d’obtenir une autorisation d’urbanisme. L’arrêt souligne implicitement que l’appréciation des règles d’urbanisme est une question de droit qui ne relève pas de la simple déclaration de l’intéressé, mais d’une analyse objective des travaux projetés. La production d’une attestation erronée, même en l’absence d’intention frauduleuse démontrée, ne peut donc pallier l’absence d’une pièce substantielle exigée par les textes.
Une fois le caractère incomplet du dossier établi, la Cour devait en apprécier les conséquences, ce qui l’a conduite à adopter une conception stricte de l’irrégularité, fondée sur la nature de l’omission.
II. La consécration d’une appréciation rigoureuse de l’irrégularité substantielle
Pour confirmer l’annulation prononcée en première instance, la Cour établit un lien direct et déterminant entre l’autorisation d’urbanisme manquante et une condition essentielle à l’exercice de l’activité pharmaceutique (A). Elle en déduit logiquement l’illégalité de la décision, sans tenir compte des modifications postérieures au projet (B).
A. Le lien établi entre l’autorisation d’urbanisme et les conditions minimales d’installation
L’apport principal de l’arrêt réside dans sa qualification de l’irrégularité. La Cour ne se contente pas de constater l’incomplétude du dossier, mais recherche si celle-ci « a été de nature à fausser l’appréciation que l’autorité administrative devait porter sur la conformité du projet ». La réponse est positive car l’autorisation d’urbanisme manquante n’était pas anodine : elle conditionnait la réalisation d’un sas de livraison. Or, cet aménagement est imposé par l’article R. 5125-8 du code de la santé publique et figure au rang des « conditions minimales d’installation » d’une officine. En reliant directement l’formalité urbanistique à une exigence sanitaire, le juge démontre que l’omission n’était pas une simple erreur procédurale. Elle portait sur un élément essentiel que l’agence régionale de santé se devait de vérifier pour garantir la sécurité de la chaîne du médicament. L’appréciation de l’administration a donc été viciée à la source, car elle s’est prononcée sur la base d’un projet dont la faisabilité juridique et matérielle n’était pas assurée.
B. L’indifférence des régularisations postérieures à la légalité de l’acte
Enfin, la Cour écarte l’argument de la société requérante selon lequel la création du sas de livraison n’était plus nécessaire suite à une modification ultérieure du projet. Elle juge en effet que « La circonstance que, postérieurement aux décisions attaquées, une modification des conditions d’exploitation ait été déclarée (…) est sans incidence sur la légalité de ces décisions ». Par cette formule, la Cour applique un principe cardinal du contentieux administratif de l’excès de pouvoir, selon lequel la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date à laquelle il a été édicté. Les changements de circonstances de fait ou de droit postérieurs à la décision sont inopérants pour « sauver » un acte illégal au moment de sa signature. Cette solution est parfaitement orthodoxe et rappelle aux opérateurs économiques que la régularité de leur dossier de demande constitue une condition intangible, qui ne saurait être contournée par des ajustements ultérieurs au gré des difficultés rencontrées. La légalité de l’autorisation de transfert dépendait de la conformité du projet initialement soumis, et non d’une version corrigée après coup.