Cour d’appel administrative de Paris, le 15 mai 2025, n°22PA03838

Par un arrêt en date du 15 mai 2025, la cour administrative d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur les modalités de calcul de la part variable d’une redevance d’occupation du domaine public. En l’espèce, une personne publique avait autorisé une société à installer et exploiter un dispositif publicitaire sur l’échafaudage d’un chantier de restauration d’un monument historique. La convention signée entre les parties prévoyait le versement d’une redevance composée d’une part fixe mensuelle garantie et d’une part variable additionnelle, assise sur le chiffre d’affaires réalisé. Un litige est né quant à la périodicité de calcul de cette part variable, la personne publique émettant des titres de recettes sur une base mensuelle que la société a contestés.

Saisi par la société cocontractante, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 17 juin 2022, annulé les titres de recettes litigieux. Les premiers juges ont estimé que les stipulations contractuelles relatives au mode de calcul de la redevance variable étaient trop ambiguës pour être opposables au cocontractant, retenant ainsi une interprétation favorable à ce dernier. La personne publique a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la méthode de calcul mensuelle découlait clairement de la lecture combinée des clauses du contrat. Le problème de droit soumis à la cour administrative d’appel était donc de savoir si des stipulations contractuelles, dont une des mentions pouvait paraître équivoque, devaient être interprétées de manière isolée au risque de consacrer une ambiguïté, ou si une lecture combinée de l’ensemble des clauses pertinentes pouvait révéler une intention commune des parties suffisamment certaine pour être appliquée.

À cette question, la cour d’appel répond par l’affirmative. Elle juge qu’en dépit d’une référence à un chiffre d’affaires global sur la durée du contrat, les précisions ultérieures sur le calcul mensuel de la part variable, corroborées par l’obligation de communication mensuelle des revenus, suffisent à établir sans équivoque la volonté des parties d’asseoir la redevance sur une base mensuelle. La cour administrative d’appel annule par conséquent le jugement de première instance et valide la méthode de calcul employée par la personne publique. Cette solution, qui repose sur une méthode d’interprétation pragmatique visant à restituer la commune intention des parties (I), a pour effet de renforcer la sécurité juridique des contrats administratifs tout en réaffirmant l’office du juge (II).

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I. La recherche de la commune intention des parties par-delà l’ambiguïté des clauses

L’arrêt illustre la primauté de l’interprétation finaliste du contrat sur une lecture littérale qui aurait pu conduire à une impasse. La cour administrative d’appel écarte la solution retenue en première instance, fondée sur l’ambiguïté apparente des stipulations (A), pour lui préférer une lecture combinée des clauses, seule à même de révéler la véritable intention des cocontractants (B).

A. Le constat d’une ambiguïté textuelle source d’incertitude

Le litige trouve son origine dans la rédaction de l’article 9 de la convention, qui définissait le mode de calcul de la redevance. Cet article prévoyait que la redevance minimale garantie serait « complétée par une redevance variable additionnelle correspondant si, et seulement si celle-ci est positive, à la différence entre un pourcentage du chiffre d’affaires HT global réalisé par le co-contractant pendant la durée de la présente convention et la RMG ». La mention d’un « chiffre d’affaires HT global » et de la « durée de la présente convention » semblait indiquer une liquidation finale de la redevance au terme du contrat.

C’est cette lecture qui a conduit les premiers juges à considérer que « le bien-fondé de la méthode de calcul mise en œuvre par la Ville de Paris, qui aboutit à majorer ponctuellement le montant de redevance variable pour certains mois, ne ressort pas de manière suffisamment claire des stipulations contractuelles précitées pour être opposable à son cocontractant ». En présence d’une clause susceptible de deux interprétations, le tribunal administratif a fait application d’un principe de prudence, en retenant la solution la moins défavorable au débiteur de l’obligation, en l’occurrence la société titulaire de l’autorisation. Cette approche, si elle protège le cocontractant contre l’arbitraire, aboutissait cependant à priver d’effet d’autres stipulations du contrat qui suggéraient une périodicité différente.

B. La méthode de la lecture combinée comme outil de clarification

La cour administrative d’appel censure ce raisonnement en adoptant une démarche interprétative plus globale. Elle ne s’arrête pas à l’ambiguïté d’une seule phrase mais recherche l’intention des parties à travers l’économie générale du contrat. Pour ce faire, elle s’appuie non seulement sur la suite de l’article 9 mais également sur l’article 9.1 de la convention.

La cour relève en effet que l’alinéa suivant de l’article 9 précisait que le pourcentage de la part variable s’appliquait au « chiffre d’affaires HT mensuel », et que l’article 9.1 détaillait une procédure de déclaration mensuelle des recettes perçues en vue de l’établissement d’une facture pour la « part variable mensuelle ». C’est de cette mise en perspective que la cour déduit sa solution. Elle estime qu’« il résulte ainsi des stipulations combinées des articles 9 et 9.1 de la convention du 22 mai 2017 que la part variable de la redevance est calculée au vu du chiffre d’affaires réalisé chaque mois par le cocontractant et non sur la base du chiffre d’affaires réalisé sur la totalité du contrat ». La contradiction n’était donc qu’apparente, et l’intention commune des parties, une fois le contrat lu dans sa globalité, devenait évidente.

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II. La portée de la décision : prévisibilité contractuelle et office du juge administratif

En faisant prévaloir la cohérence contractuelle sur l’incertitude née d’une lecture parcellaire, la cour administrative d’appel rend une décision dont la portée dépasse le simple cas d’espèce. Elle renforce la prévisibilité dans l’exécution des contrats publics (A) et confirme le rôle essentiel du juge administratif en tant qu’interprète du contrat (B).

A. Le renforcement de la sécurité juridique dans l’exécution des contrats publics

Cette décision constitue un rappel important que les conventions doivent être exécutées de bonne foi et que leurs stipulations forment un tout cohérent. En validant la méthode de calcul mensuelle, la cour évite qu’une imperfection rédactionnelle mineure ne permette à l’une des parties de se soustraire à ses obligations telles qu’elles ressortent de l’économie générale du contrat. La solution protège ainsi les intérêts financiers de la personne publique, qui doit pouvoir compter sur des flux de redevances réguliers, conformément à ce que la procédure de facturation mensuelle laissait prévoir.

Plus largement, la décision incite les rédacteurs de contrats administratifs à la rigueur, mais elle offre également une garantie contre une exploitation opportuniste des éventuelles ambiguïtés. Elle signifie aux cocontractants de l’administration qu’ils ne sauraient se prévaloir d’une obscurité apparente lorsque l’intention des parties peut être raisonnablement déduite de l’ensemble du texte. La prévisibilité et la stabilité des relations contractuelles s’en trouvent ainsi renforcées, ce qui est essentiel pour la bonne gestion du domaine public et des deniers publics.

B. L’affirmation du rôle interprétatif du juge du contrat

L’arrêt est une illustration classique de l’office du juge administratif du contrat. Celui-ci ne se contente pas de trancher un litige, il s’efforce de donner aux conventions leur plein effet utile en recherchant la commune intention des parties. Plutôt que de neutraliser une clause pour cause d’ambiguïté, ce qui aurait pu être une autre solution, le juge use de son pouvoir d’interprétation pour la rendre intelligible et applicable.

Il ne s’agit pas pour le juge de se substituer aux parties pour réécrire le contrat, mais de le clarifier en se comportant comme un lecteur raisonnable et de bonne foi. Cette démarche est fondamentale en droit des contrats, où le consensualisme impose de faire prévaloir la volonté sur le formalisme. En l’espèce, la cour administrative d’appel a parfaitement rempli ce rôle en reconstituant la logique d’un mécanisme financier complexe, assurant ainsi la primauté de l’esprit de la convention sur les pièges de sa lettre. La solution confirme que le juge est le garant de la cohérence et de l’effectivité du contrat administratif.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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