Par un arrêt en date du 3 octobre 2025, la cour administrative d’appel de Nantes se prononce sur l’étendue de la responsabilité d’une commune du fait de l’illégalité d’un document d’urbanisme et de son inaction consécutive à une première annulation juridictionnelle.
En l’espèce, une propriétaire s’est vue interdire toute possibilité de rénovation ou d’extension de sa maison d’habitation suite à une modification du plan local d’urbanisme communal classant sa parcelle en zone agricole. Par un jugement devenu définitif en date du 4 novembre 2014, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette disposition pour erreur manifeste d’appréciation, en ce qu’elle ne tenait pas compte de la construction existante régulièrement édifiée. Face à l’inaction de la commune pour modifier son règlement et après avoir obtenu plusieurs années plus tard les autorisations nécessaires à ses travaux, la propriétaire a saisi la justice d’une demande indemnitaire. Le tribunal administratif de Nantes, par un jugement du 21 novembre 2023, a condamné la commune à lui verser une somme de 3 500 euros, ce qui a conduit la requérante à interjeter appel afin d’obtenir une indemnisation plus conséquente de ses préjudices de jouissance et de son préjudice moral.
Il appartenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si l’illégalité fautive d’un règlement d’urbanisme et l’abstention prolongée de la collectivité à exécuter une décision de justice, tout en engageant sa responsabilité, pouvaient justifier une indemnisation supérieure à celle accordée par les premiers juges, au regard de la nature et de la durée réelle du préjudice subi par la propriétaire.
La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que si la responsabilité de la commune est bien engagée en raison de deux fautes distinctes (I), l’évaluation du préjudice qui en résulte directement doit être mesurée et ne saurait excéder l’estimation déjà retenue en première instance (II).
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I. L’affirmation d’une double faute engageant la responsabilité communale
La cour prend soin de caractériser deux agissements fautifs distincts de la part de l’administration communale. Elle confirme d’abord l’illégalité originelle de la réglementation d’urbanisme qui a porté préjudice à la requérante (A), avant de sanctionner l’abstention fautive et persistante de la commune dans l’exécution de la décision de justice qui avait précisément constaté cette illégalité (B).
A. L’illégalité originelle de la réglementation d’urbanisme
L’arrêt rappelle que la responsabilité de la commune trouve sa source première dans l’adoption d’un document d’urbanisme illégal. La délibération du 20 septembre 2012 est en effet fautive, comme l’a jugé définitivement le tribunal administratif de Nantes, « en tant qu’elle ne réserve pas le cas de l’habitation implantée sur la parcelle ZH 136 et a pour effet d’interdire toute possibilité de rénovation ou d’extension de ladite habitation. » La cour s’approprie ainsi le raisonnement des premiers juges, lesquels avaient constaté que les auteurs du plan, tout en admettant que « le caractère construit de cette parcelle excluait toute possibilité de retour à une destination agricole du terrain », s’étaient abstenus d’en tirer les conséquences pour la construction existante.
Cette position valide le fait qu’une collectivité ne peut, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, appliquer une inconstructibilité de principe à un bâti existant et régulièrement édifié, sauf à la justifier par des motifs impérieux d’urbanisme ou d’intérêt général, absents en l’espèce. La reconnaissance de cette illégalité initiale, revêtue de l’autorité absolue de la chose jugée, constitue le premier fondement de la responsabilité encourue par la personne publique.
B. L’abstention fautive persistante dans l’exécution d’une décision de justice
La cour administrative d’appel ne se limite pas à la faute initiale et identifie une seconde faute, autonome, dans le comportement de la commune postérieurement au jugement d’annulation de 2014. Elle relève en effet que la collectivité n’a pas satisfait à l’obligation que lui impose l’article L. 153-7 du code de l’urbanisme, lequel dispose que l’autorité compétente doit élaborer « sans délai les nouvelles dispositions du plan applicables à la partie du territoire communal concernée par l’annulation ».
L’arrêt souligne que, malgré le jugement du 4 novembre 2014, la commune n’a adopté aucune nouvelle délibération pour mettre en conformité son plan local d’urbanisme avec la décision de justice. Cette carence est d’ailleurs confirmée par un autre arrêt de la même cour en date du 4 juin 2024, qui a dû enjoindre à la commune d’agir dans un délai de dix mois. Cette abstention prolongée à exécuter une décision juridictionnelle constitue une illégalité distincte, qui engage par elle-même la responsabilité de l’administration et démontre une méconnaissance de ses obligations légales.
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II. Une appréciation restrictive du préjudice indemnisable
Bien que les deux fautes de la commune soient clairement établies, la cour d’appel refuse d’augmenter le montant de l’indemnisation allouée en première instance. Pour ce faire, elle reconnaît l’existence d’un lien de causalité entre les fautes et les préjudices invoqués (A), mais procède à une limitation temporelle stricte de la période de préjudice, ce qui justifie le maintien de l’évaluation financière initiale (B).
A. Le lien de causalité entre la faute et les troubles de jouissance établis
La décision admet sans ambiguïté que les fautes de la commune sont la cause directe des préjudices subis par la requérante. Les juges du fond constatent que « les manquements fautifs de la commune de Clisson précédemment relevés ont fait obstacle à ce que [la propriétaire] soit autorisée à effectuer des travaux en vue de la rénovation et de l’extension de la construction existante ». Ils reconnaissent ainsi que l’application d’une réglementation illégale a directement privé la propriétaire de la possibilité d’améliorer son bien.
L’arrêt prend également en considération la situation concrète de l’administratée, qui a dû résider dans une caravane sur sa parcelle, et qualifie ses conditions de vie de précaires. La cour valide par conséquent l’existence des deux chefs de préjudice invoqués : la perte de jouissance du bien, qui se trouve dans l’impossibilité d’être normalement utilisé et valorisé, et le préjudice moral né des conditions de vie difficiles endurées pendant cette période d’incertitude juridique.
B. La limitation temporelle de la période de préjudice
Le point central du raisonnement de la cour, qui la conduit à rejeter la demande d’augmentation de l’indemnité, réside dans la délimitation de la période durant laquelle le préjudice est considéré comme certain. Les juges estiment que les préjudices ne sont indemnisables qu’entre le 20 septembre 2012, date de la délibération illégale, et le 2 octobre 2015, date à laquelle la propriétaire a finalement déposé une demande de permis de construire qui fut, par la suite, acceptée.
En procédant à cette stricte délimitation temporelle, la cour considère implicitement que le préjudice a cessé à partir du moment où la commune, malgré son inaction à modifier le plan local d’urbanisme, n’a plus fait obstacle au projet de la requérante. Cette approche pragmatique conduit à ne retenir qu’une période d’un peu plus de trois ans pour l’évaluation des dommages. C’est sur cette base que la somme de 3 500 euros est jugée constituer une « juste appréciation » des préjudices subis, confirmant ainsi l’analyse du tribunal administratif et rejetant les prétentions de l’appelante.