Par un arrêt en date du 10 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur la légalité d’un plan local d’urbanisme intercommunal et sur la régularité d’un jugement de première instance l’ayant validé. En l’espèce, des propriétaires d’une parcelle située sur le territoire d’une commune du littoral atlantique contestaient la délibération d’un établissement public de coopération intercommunale du 4 février 2020. Cet acte avait approuvé un nouveau document d’urbanisme classant une partie de leur terrain en espace boisé et identifiant sept de leurs arbres comme remarquables et à protéger. Les propriétaires ont initialement saisi le tribunal administratif de Nantes d’une demande d’annulation de cette délibération. Par un jugement du 13 juin 2023, le tribunal a rejeté leur requête. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soulevant d’une part l’irrégularité de la décision des premiers juges et, d’autre part, l’illégalité externe et interne de l’acte administratif contesté. La question de droit qui se posait à la cour administrative d’appel était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si une erreur matérielle portant sur la date de prononcé d’un jugement, révélée par la date d’expédition de sa notification, entache celui-ci d’une irrégularité justifiant son annulation. Il convenait ensuite, après évocation de l’affaire, de savoir si l’autorité compétente commet une erreur manifeste d’appréciation en classant une partie d’une parcelle en espace boisé, alors même que le schéma de cohérence territoriale applicable ne l’identifiait pas spécifiquement comme un espace à préserver. La cour administrative d’appel a répondu positivement à la première question, annulant le jugement du tribunal administratif pour vice de forme. Statuant par la voie de l’évocation, elle a ensuite jugé que le classement litigieux ne procédait d’aucune illégalité et a rejeté la demande d’annulation des requérants. Le raisonnement du juge d’appel se déploie en deux temps, s’attachant d’abord à la sanction d’une irrégularité formelle entachant le jugement de première instance (I), avant de confirmer, sur le fond, le bien-fondé de la servitude d’urbanisme imposée par l’autorité locale (II).
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I. La sanction procédurale d’une défaillance formelle du jugement
L’arrêt illustre la rigueur avec laquelle le juge d’appel contrôle le respect des formalités substantielles qui encadrent l’exercice de la fonction juridictionnelle. Cette exigence conduit la cour à annuler le jugement pour une erreur de date (A), ce qui l’amène à user de son pouvoir d’évocation pour statuer directement sur le litige (B).
A. L’annulation consécutive à l’inexactitude de la date de la décision
La cour administrative d’appel fonde sa décision d’annulation sur une application stricte des dispositions du code de justice administrative relatives à la forme des jugements. Elle relève que le jugement du tribunal administratif de Nantes indiquait avoir été prononcé le 13 juin 2023. Cependant, les requérants ont apporté la preuve, par une attestation du service postal, que la lettre de notification de ce même jugement leur avait été expédiée la veille, soit le 12 juin 2023. De cette discordance factuelle, le juge d’appel déduit sans équivoque que « La date de prononcé figurant sur le jugement attaqué est ainsi erronée. Ce jugement est, dès lors, entaché d’irrégularité pour ce motif et doit être annulé ». Cette solution réaffirme l’importance de la date de la décision juridictionnelle, laquelle certifie le moment où les juges achèvent leur délibéré et rendent leur décision exécutoire. Une incohérence sur cet élément essentiel porte atteinte à la sécurité juridique et constitue un vice de forme justifiant l’annulation, sans même qu’il soit nécessaire pour le juge d’examiner les autres moyens de régularité soulevés.
B. La mise en œuvre du pouvoir d’évocation par le juge d’appel
Ayant annulé le jugement de première instance, la cour administrative d’appel se trouvait face à l’alternative de renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif ou de statuer immédiatement sur le fond. Elle opte pour la seconde voie en décidant qu’il « y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande ». Ce faisant, elle use d’une prérogative classique qui, dans un souci de bonne administration de la justice et de célérité procédurale, lui permet de se saisir de l’entier litige. Le mécanisme de l’évocation transforme ainsi la cour d’appel, juge de la régularité du jugement, en juge du premier degré pour la seconde fois. Cette démarche évite aux parties les délais d’un nouveau procès en première instance et permet de clore définitivement le contentieux. La cour se livre alors à un examen complet des moyens de légalité externe et interne dirigés contre la délibération du 4 février 2020.
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II. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’autorité d’urbanisme
Après avoir réglé la question de procédure, la cour examine au fond la légalité de la décision de classement de l’espace boisé. Elle écarte successivement les arguments de légalité externe (A) puis ceux de légalité interne, validant ainsi l’exercice du pouvoir d’appréciation de l’administration en matière de protection environnementale (B).
A. Le rejet des moyens de légalité externe soulevés
Les requérants contestaient la régularité de la procédure d’adoption du plan local d’urbanisme intercommunal sur plusieurs points. La cour administrative d’appel procède à une analyse méticuleuse de chacun d’eux pour les rejeter. Elle juge d’abord que la commission d’enquête publique n’était pas tenue de répondre individuellement à chaque observation, dès lors qu’elle a bien examiné la thématique des espaces boisés classés et a motivé son avis favorable. Elle valide ensuite la régularité de la convocation des conseillers communautaires, estimant que l’administration apportait la preuve suffisante de l’envoi dématérialisé des documents nécessaires et qu’il n’était pas établi qu’une transmission par voie postale était requise. Enfin, la cour considère que l’information des élus a été suffisante pour leur permettre de « comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions ». Le juge estime que la mise à disposition des documents complets et la transmission d’une note de synthèse satisfaisaient aux exigences légales, même en l’absence de preuve de la réception effective d’une clef USB par chaque conseiller.
B. La validation de la mesure de protection au regard de la légalité interne
Le cœur de l’argumentation des requérants reposait sur l’illégalité substantielle du classement. La cour écarte l’argument tiré de l’incompatibilité avec le schéma de cohérence territoriale, en précisant que ce dernier n’interdisait nullement au plan local d’urbanisme d’instituer des protections plus étendues que celles qu’il identifiait lui-même. Elle juge également que la mesure était cohérente avec le projet d’aménagement et de développement durables du plan. Surtout, la cour se livre à un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation. Elle constate que le classement litigieux s’inscrit dans la poursuite d’objectifs clairs définis par les auteurs du plan, à savoir « préserver le réseau écologique et fonctionnel que constitue la trame verte et bleue ». Au vu de l’insertion de la parcelle dans un ensemble boisé plus vaste et de la présence de grands arbres, le juge conclut que « ni l’institution d’un espace boisé classé grevant le fond de la parcelle (…), ni l’identification d’arbres remarquables sur cette parcelle ne sont entachées d’erreur manifeste d’appréciation ». Cette décision réaffirme la large marge de manœuvre dont disposent les autorités locales pour définir des servitudes d’urbanisme fondées sur des motifs d’intérêt général d’ordre écologique, le juge se limitant à sanctionner les choix qui seraient manifestement inappropriés ou arbitraires.