Cour d’appel administrative de Nantes, le 10 janvier 2025, n°23NT00594

Par un arrêt en date du 10 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un contrat de concession d’aménagement conclu entre une métropole et une société publique locale.

En l’espèce, une métropole avait initialement confié la réalisation de deux zones d’aménagement concerté à une société d’économie mixte par un contrat de 2005. Quatorze ans plus tard, le conseil métropolitain approuvait la résiliation amiable de cette première convention et décidait, le même jour, d’attribuer une nouvelle concession à une société publique locale afin de poursuivre l’aménagement des parcelles restantes. Des particuliers, propriétaires de terrains inclus dans le périmètre de l’une des zones et agissant en qualité de contribuables locaux, ont saisi le tribunal administratif de Nantes d’un recours en contestation de la validité de ce nouveau contrat. Par un jugement du 4 janvier 2023, le tribunal a rejeté leur demande. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la régularité du recours à la quasi-régie qu’à la licéité de l’objet même du contrat. Ils soutenaient notamment que l’attribution de la concession sans mise en concurrence préalable était irrégulière, faute pour la métropole d’avoir justifié les avantages de cette solution et en raison du contrôle analogue qu’elle exerçait sur d’autres entités concurrentes.

Il était ainsi demandé à la cour de déterminer si une collectivité publique peut légalement attribuer une concession d’aménagement à une société publique locale sur laquelle elle exerce un contrôle analogue, sans procédure de mise en concurrence, et si une telle attribution doit être spécifiquement motivée ou est-elle empêchée par l’existence d’autres entités également contrôlées. Le juge d’appel devait également se prononcer sur la précision suffisante du programme d’aménagement et sur l’incidence de la présence d’une zone humide au sein du périmètre de l’opération.

La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que les dispositions du code de la commande publique relatives à la quasi-régie n’imposent à l’autorité concédante ni de démontrer le caractère plus avantageux du recours à un opérateur interne, ni de procéder à une mise en concurrence entre plusieurs entités sur lesquelles elle exercerait un contrôle similaire. La cour écarte également les autres moyens en considérant que l’objet du contrat était suffisamment défini et que sa compatibilité avec les règles d’urbanisme n’était pas entachée d’illégalité.

Cette décision permet de clarifier les conditions de recours à la quasi-régie pour l’attribution des concessions d’aménagement, en consacrant une conception extensive de la liberté de choix du pouvoir adjudicateur (I), tout en rappelant les règles classiques applicables à la légalité du contenu de ces contrats (II).

I. La consécration d’une conception extensive de l’exception de quasi-régie

La cour administrative d’appel valide le choix de l’autorité concédante en confirmant l’absence d’obligation de motivation spécifique pour recourir à un opérateur interne (A) et en rejetant l’idée d’une mise en concurrence obligatoire entre de telles entités (B).

A. L’absence d’obligation de motivation du recours à un opérateur interne

Les requérants soutenaient que le choix de recourir à une relation de quasi-régie aurait dû être précédé d’une démonstration de son caractère plus avantageux qu’une solution d’externalisation. Ils estimaient qu’une telle décision devait faire l’objet d’une motivation spécifique pour justifier l’absence de mise en concurrence.

La cour écarte ce moyen avec une grande clarté. Elle rappelle d’abord que la combinaison des dispositions du code de l’urbanisme, du code général des collectivités territoriales et du code de la commande publique autorise un pouvoir adjudicateur à attribuer une concession d’aménagement à une société publique locale, sur laquelle il détient la totalité du capital et exerce un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services, sans se soumettre aux règles de publicité et de mise en concurrence. Puis, le juge d’appel affirme qu’« il ne résulte d’aucune disposition législative ou règlementaire ou des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne que le recours à un contrat de quasi-régie serait subordonné à la démonstration de son caractère plus avantageux qu’une solution d’externalisation et à une motivation spécifique ».

Cette solution confirme que le recours à la quasi-régie constitue une modalité d’organisation interne pour le pouvoir adjudicateur, qui relève de sa libre administration. Dès lors que les conditions légales de la quasi-régie sont remplies, notamment le contrôle analogue et la réalisation de l’essentiel de l’activité pour le compte du pouvoir adjudicateur, la décision d’y recourir n’est pas un choix entre plusieurs offres, mais une alternative à la mise en concurrence elle-même. Le juge se refuse ainsi à créer une obligation de justification qui n’est prévue par aucun texte, considérant que le respect des critères de la quasi-régie suffit en lui-même à légitimer l’absence de procédure concurrentielle.

B. Le rejet de l’exigence d’une mise en concurrence entre entités contrôlées

De manière plus originale, les requérants avançaient que la métropole, exerçant un contrôle analogue sur d’autres sociétés publiques ou d’économie mixte actives dans le même secteur, aurait dû organiser une procédure de mise en concurrence, à tout le moins entre ces différentes entités. Cette argumentation visait à introduire une forme de transparence et de concurrence au sein même du secteur para-public contrôlé par l’autorité concédante.

La cour rejette également cette prétention. Elle énonce qu’« il ne résulte d’aucune disposition législative ou règlementaire ou des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne que la circonstance que [la métropole] exercerait un contrôle analogue sur d’autres sociétés d’économie mixte (…) aurait obligé cette collectivité publique à suivre des mesures de publicité et de mise en concurrence préalables entre ces sociétés ».

Par cette affirmation, le juge d’appel refuse d’étendre la logique concurrentielle à une situation que le droit de l’Union européenne et le droit national ont précisément entendu en exempter. L’exception de quasi-régie a pour objet de permettre à une personne publique de faire appel à un opérateur qui, bien que juridiquement distinct, n’est en réalité que le prolongement de ses propres services. Imposer une compétition entre plusieurs de ces instruments reviendrait à dénaturer le fondement de l’exception, qui repose sur la relation de contrôle et non sur une performance économique comparée. La décision réaffirme ainsi avec force que la détention de plusieurs outils opérationnels n’entame pas la liberté de la personne publique d’en choisir un pour la réalisation de ses missions, sans que ce choix soit lui-même soumis à une procédure concurrentielle.

Au-delà de la question centrale de la quasi-régie, l’arrêt procède à un examen plus traditionnel de la légalité interne du contrat de concession.

II. Le rappel des règles classiques de légalité du contrat de concession d’aménagement

La cour écarte les autres moyens soulevés en procédant à une appréciation pragmatique de la licéité de l’objet du contrat (A), tout en soulignant l’indifférence de certains vices allégués qui ne se rapportaient pas directement à la validité de la convention contestée (B).

A. L’appréciation pragmatique de la licéité de l’objet du contrat

Les requérants contestaient la légalité de la concession en arguant, d’une part, que son objet n’était pas suffisamment précis et, d’autre part, qu’il était illicite en raison de l’inclusion d’une zone humide dans le périmètre de l’opération. Sur le premier point, la cour constate que le contrat comportait en annexe « le programme global prévisionnel des constructions et le programme des équipements publics qui sont suffisamment définis ». Elle juge que la simple possibilité d’adapter le programme annuellement ne suffit pas à caractériser une imprécision de l’objet du contrat, ce qui témoigne d’une approche réaliste des opérations d’aménagement qui s’inscrivent dans la durée.

Sur le second point, relatif à la présence de zones humides, le juge adopte un raisonnement en deux temps. Il relève d’abord que ces zones ne représentent qu’une faible partie du périmètre et qu’il n’est pas établi que des constructions y seraient édifiées. Il observe ensuite que le plan local d’urbanisme applicable mentionne la possibilité d’aménager ces zones dans le cadre d’une démarche « éviter, réduire, compenser ». Par conséquent, la cour conclut que « la présence de zones humides n’est pas, à elle seule, de nature à rendre l’objet de la concession d’aménagement illicite ». Cette analyse démontre que la légalité de l’objet d’une concession d’aménagement ne s’apprécie pas de manière abstraite mais au regard des possibilités concrètes d’aménagement et des flexibilités prévues par les documents d’urbanisme eux-mêmes.

B. L’indifférence des vices allégués relatifs à l’environnement contractuel et au choix du concessionnaire

Les requérants tentaient de lier le sort de la nouvelle concession à celui de la précédente, en invoquant un défaut de base légale qui résulterait de l’illégalité de l’avenant de résiliation du premier contrat. La cour écarte cet argument en affirmant que « l’avenant de résiliation de la précédente concession […] et le nouveau contrat […] ne se rapportent pas à un ensemble contractuel indivisible ». Ce faisant, elle applique la théorie de la divisibilité des contrats administratifs et refuse de laisser le contentieux d’un contrat rejaillir sur la validité d’un autre, postérieur et juridiquement distinct.

Enfin, l’arrêt rejette le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation dans le choix du concessionnaire. Le juge relève que les requérants fondaient leur argumentation sur la situation financière de l’ancien concessionnaire, et non sur celle du nouveau titulaire. Le moyen était donc mal dirigé et factuellement inopérant. La cour souligne ainsi une exigence fondamentale du contentieux contractuel : les critiques doivent porter précisément sur le contrat attaqué et son titulaire, et non sur des éléments qui lui sont étrangers. Ce faisant, elle rappelle les parties à la rigueur de l’argumentation juridique et factuelle requise devant le juge administratif.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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