Par un arrêt en date du 17 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Nancy se prononce sur la légalité d’un permis de construire autorisant un élevage avicole de grande dimension. En l’espèce, le maire d’une commune avait délivré un permis de construire à une exploitation agricole pour l’édification d’un poulailler destiné à un élevage de quarante mille poules pondeuses de plein air. Un exploitant voisin, propriétaire d’une pisciculture, a formé un recours en annulation contre cet arrêté. Saisi du litige, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande par un jugement du 22 juillet 2021. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que le dossier de permis de construire était incomplet en l’absence d’étude d’impact et que le projet compromettait son activité en méconnaissance du code de l’urbanisme. De leur côté, la commune et l’exploitant agricole concluaient au rejet de la requête, arguant notamment d’une modification ultérieure du projet et de la possibilité d’une régularisation. Il revenait donc à la cour de déterminer si un permis de construire, délivré pour un projet d’installation classée dont l’autorisation environnementale a été annulée et qui est de nature à porter atteinte à une activité agricole voisine, peut être considéré comme légal. La cour administrative d’appel répond par la négative et annule le jugement ainsi que le permis de construire. Elle retient une double illégalité, l’une externe tenant à l’irrégularité du dossier de demande, l’autre interne résultant d’une erreur manifeste d’appréciation quant aux conséquences du projet.
La décision de la cour administrative d’appel sanctionne ainsi, au-delà de la seule procédure d’urbanisme, l’ensemble d’un projet jugé incompatible avec les exigences environnementales. L’annulation repose sur une illégalité formelle caractérisée par la composition lacunaire du dossier de demande (I), mais elle est confortée par une illégalité substantielle révélant l’incompatibilité même du projet avec son environnement (II).
I. L’illégalité externe fondée sur un dossier de demande incomplet
La cour administrative d’appel fonde sa décision d’annulation sur une irrégularité procédurale affectant le dossier de permis de construire. Elle rappelle l’obligation d’y joindre une évaluation environnementale pour ce type de projet (A) avant de constater que l’absence de ce document, confirmée par l’annulation antérieure de l’autorisation connexe, vicie irrémédiablement l’acte contesté (B).
A. L’exigence impérative d’une évaluation environnementale
Le juge d’appel prend soin de rappeler le cadre normatif applicable, en citant l’article R. 431-16 du code de l’urbanisme. Ce texte impose que le dossier de demande de permis de construire comprenne « L’étude d’impact ou la décision de l’autorité environnementale dispensant le projet d’évaluation environnementale lorsque le projet relève du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement ». Le raisonnement de la cour met en lumière l’articulation entre le droit de l’urbanisme et le droit de l’environnement. La validité du permis de construire est ainsi conditionnée par le respect d’une procédure environnementale autonome, lorsque celle-ci est requise. En l’occurrence, le projet d’élevage, relevant du régime de l’enregistrement au titre des installations classées pour la protection de l’environnement, nécessitait, du fait de sa localisation et de sa nature, une telle évaluation. L’objet de cette exigence est de permettre à l’autorité compétente pour délivrer le permis, en l’espèce le maire, d’apprécier pleinement les incidences du projet et de prendre une décision éclairée, en disposant de l’ensemble des éléments d’analyse relatifs à la sensibilité du milieu et aux impacts potentiels de l’installation.
B. La conséquence inéluctable de l’annulation de l’autorisation environnementale
La cour tire logiquement les conséquences d’une situation juridique déjà tranchée par une décision de justice devenue définitive. Elle relève que l’arrêté d’enregistrement qui avait été délivré pour ce même projet a été « annulé rétroactivement par un jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 4 juillet 2019, confirmé par un arrêt de la cour du 14 décembre 2021 ». Le motif de cette annulation était précisément que « le projet aurait dû faire l’objet d’une évaluation environnementale ». Dès lors, cette absence constituait une illégalité qui se répercute sur le permis de construire. L’argument de l’exploitant tiré d’une modification ultérieure du projet est écarté, le juge rappelant à juste titre que la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de son édiction. Le permis ayant été délivré pour le projet initial de quarante mille poules, les changements postérieurs non formalisés par un permis modificatif étaient inopérants. La cour conclut donc que l’absence de l’évaluation environnementale « entache d’irrégularité le dossier de permis de construire », ce qui justifie l’annulation de l’acte.
Au-delà de cette illégalité formelle, la cour confirme l’annulation en se fondant sur une illégalité de fond, démontrant que le projet était intrinsèquement incompatible avec son environnement.
II. L’illégalité interne révélant une erreur manifeste d’appréciation
La cour ne se contente pas du vice de procédure et examine le fond du dossier. Elle constate que le projet compromet les activités agricoles voisines (A), ce qui l’amène à caractériser une erreur manifeste d’appréciation de l’autorité municipale dans l’application des règles d’urbanisme (B).
A. La caractérisation d’une atteinte aux activités agricoles
La cour s’appuie sur l’article R. 111-14 du code de l’urbanisme, qui permet de refuser un projet s’il est de nature à « compromettre les activités agricoles ou forestières ». Le juge administratif effectue ici une analyse concrète des incidences du projet. Il ressort de son examen que le poulailler, par ses rejets, présente un risque direct et significatif pour la pisciculture voisine, dont l’activité dépend d’une qualité d’eau irréprochable. L’arrêt détaille avec précision les risques de pollution, notant que l’élevage « génèrerait notamment 6,84 tonnes annuelles de rejets azotés ». La cour relève que la teneur estimée en ammoniac dans la nappe phréatique atteindrait, voire dépasserait, les seuils de danger pour les espèces élevées par le requérant. La décision souligne également le dépassement flagrant des plafonds réglementaires de rejets d’azote dans une zone déjà classée comme vulnérable. L’atteinte n’est donc pas hypothétique mais sérieusement documentée. Le permis de construire, en autorisant une telle installation, méconnaît donc l’objectif de protection des activités agricoles fixé par le code de l’urbanisme.
B. La sanction d’une erreur manifeste dans l’exercice du pouvoir d’instruction
En se fondant sur l’ensemble de ces éléments, la cour conclut que le maire, en délivrant le permis, a commis une erreur manifeste d’appréciation. Cette censure, qui va au-delà du simple contrôle de légalité, traduit la gravité de la faute commise par l’administration. Le juge estime que le risque de pollution et l’atteinte à l’activité voisine étaient d’une évidence telle que l’autorité n’aurait pas dû autoriser le projet en l’état. Il est jugé que l’arrêté est « entaché d’erreur manifeste d’appréciation dans l’application de l’article R. 111-14 du code de l’urbanisme ». Cette conclusion rend vaine la demande de régularisation formulée par la commune sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. La cour estime en effet que « la nature des vices relevés fait obstacle à la régularisation sollicitée ». La décision montre ainsi que si le juge peut sauver un permis entaché d’un vice régularisable, cette faculté trouve sa limite lorsque l’illégalité est substantielle et révèle une incompatibilité fondamentale du projet avec les règles de fond qui lui sont opposables.