Cour d’appel administrative de Nancy, le 13 mai 2025, n°21NC01688

Par une décision en date du 13 mai 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité du refus de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale opposé par un maire, consécutivement à un avis défavorable de la Commission nationale d’aménagement commercial. En l’espèce, une société civile immobilière avait déposé une demande de permis de construire pour la réalisation d’un ensemble commercial de 3 120 m² dans une commune des Ardennes. Ce projet, qui prévoyait la création d’un supermarché, d’un magasin de produits biologiques et d’un commerce de vente en vrac, se situait sur un terrain où un projet antérieur, incluant une galerie marchande, avait déjà fait l’objet d’un avis défavorable de la Commission nationale en 2018.

La commission départementale d’aménagement commercial avait initialement émis un avis favorable au nouveau projet le 10 novembre 2020. Cependant, saisie de recours par des sociétés concurrentes, la Commission nationale d’aménagement commercial a, par un avis du 4 mars 2021, infirmé cette première appréciation et rendu un avis défavorable. Se liant à cet avis, le maire de la commune a, par un arrêté du 5 mai 2021, refusé de délivrer le permis de construire sollicité. La société pétitionnaire a alors formé un recours devant la juridiction administrative, demandant l’annulation de l’arrêté municipal de refus ainsi que de l’avis de la Commission nationale. La question de droit soumise au juge était donc de déterminer si l’appréciation portée par la Commission nationale sur les effets du projet, notamment au regard de l’animation du centre-ville et de l’aménagement du territoire, était entachée d’une erreur justifiant l’annulation de la décision de refus du maire qui en découlait.

La cour administrative d’appel annule l’arrêté municipal. Après avoir, classiquement, jugé irrecevables les conclusions dirigées contre l’avis de la Commission nationale en tant qu’acte préparatoire, elle considère que cet avis est entaché d’une erreur d’appréciation. Le juge estime que la Commission a inexactement évalué les conséquences du projet sur le commerce de centre-ville et a insuffisamment pris en compte ses effets positifs pour le quartier d’implantation. Par conséquent, l’arrêté du maire, qui se fondait exclusivement sur cet avis illégal, est lui-même annulé pour excès de pouvoir.

Cette décision illustre le contrôle approfondi que le juge exerce sur les appréciations complexes des autorités d’aménagement commercial (I), tout en promouvant une vision pragmatique de la revitalisation des territoires qui prend en compte les besoins spécifiques des quartiers périphériques (II).

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I. Le contrôle approfondi du juge administratif sur l’appréciation des objectifs d’aménagement commercial

La cour administrative d’appel procède à une analyse détaillée des motifs retenus par la Commission nationale, censurant une appréciation qu’elle juge erronée quant à l’impact du projet sur le tissu commercial (A) et écartant les motifs accessoires qui ne pouvaient, à eux seuls, justifier un refus (B).

A. La censure d’une analyse erronée de l’impact sur le tissu commercial

Le principal motif de refus de la Commission nationale reposait sur l’impact négatif que le projet aurait sur les commerces de centre-ville, en raison notamment d’un taux de vacance commerciale élevé dans certains secteurs. La cour examine cet argument avec une grande précision, en se livrant à une analyse concrète de la situation locale. Elle oppose à l’appréciation de la commission une série de constatations factuelles qui en contredisent la pertinence. Le juge relève que le projet a été modifié pour supprimer la galerie marchande qui avait motivé le premier refus en 2018, et qu’il est désormais centré sur une offre à dominante alimentaire. Plus encore, la cour souligne que le projet « n’apparaît pas susceptible d’avoir un impact défavorable sur le tissu commercial du centre-ville », car il est implanté au sein même d’un quartier prioritaire de la politique de la ville, densément peuplé mais commercialement sous-équipé. En améliorant l’offre de proximité pour les habitants de ce quartier, le projet est présenté comme une source d’animation locale et un facteur de revitalisation, en opposition à la thèse de la commission. En outre, le juge note que le projet peut contribuer à un meilleur équilibre de l’offre commerciale à l’échelle de l’agglomération et limiter ainsi des flux automobiles. Cette substitution d’analyse démontre la volonté de la cour de ne pas s’en tenir à une application abstraite des objectifs de protection des centres-villes, mais de vérifier si, dans les faits, le projet compromet réellement cet objectif.

Après avoir écarté le motif principal, la cour s’est attachée à relativiser la portée des autres griefs soulevés par la commission.

B. La neutralisation des motifs accessoires et insuffisamment déterminants

La Commission nationale avait également fondé son avis défavorable sur deux autres considérations : l’absence d’aménagements cyclables et l’insuffisance des mesures de lutte contre l’imperméabilisation des sols. La cour écarte ces deux motifs en les qualifiant implicitement de non déterminants. Concernant l’accessibilité, elle juge que la bonne desserte du site par les transports en commun et les voies piétonnes est suffisante, et que l’absence de pistes cyclables ne saurait à elle seule faire obstacle au projet. Cette approche pragmatique témoigne du fait que les critères d’évaluation de l’article L. 752-6 du code de commerce doivent faire l’objet d’une appréciation globale, un projet n’ayant pas à satisfaire de manière maximale à chacun d’entre eux. S’agissant de l’imperméabilisation des sols, le juge relève d’abord une erreur de calcul dans l’avis de la commission, puis conclut qu’« il ne résulte pas de l’instruction que la commission aurait émis le même avis défavorable en se fondant sur cette seule considération ». Par cette formule classique, la cour neutralise ce motif, considérant qu’il n’a pas été le fondement essentiel de la décision de refus. Cette méthode de raisonnement permet de concentrer le contrôle de légalité sur les aspects véritablement structurants de l’appréciation administrative.

Au-delà de cette censure technique des motifs de l’avis, la décision révèle une conception concrète de l’aménagement du territoire, privilégiant les effets réels d’un projet sur son environnement immédiat.

II. La consécration d’une approche concrète de la revitalisation commerciale

L’arrêt met en balance la protection des centres-villes avec les besoins spécifiques des quartiers en difficulté, affirmant la primauté de l’animation d’un quartier prioritaire (A). Toutefois, la portée de cette annulation reste mesurée, le juge se limitant à ordonner un réexamen du dossier par l’administration (B).

A. La primauté de l’animation d’un quartier prioritaire

En contredisant l’analyse de la Commission nationale, la cour fait prévaloir une lecture finaliste des objectifs d’aménagement du territoire. Alors que la loi vise à lutter contre le déclin des centres-villes, le juge considère que cet impératif ne doit pas conduire à paralyser des projets qui répondent à un besoin manifeste dans des zones périphériques en difficulté. La décision souligne que le projet est « propre à améliorer l’animation commerciale de la vie urbaine du quartier Manchester, en particulier la partie de ce quartier classée en quartier prioritaire de la ville ». Ce faisant, elle valorise la contribution du projet à la revitalisation d’un tissu commercial local « faiblement pourvu », à la modernisation des équipements et à la diversification de l’offre. L’arrêt suggère ainsi qu’un projet commercial, même en périphérie, peut servir les objectifs d’aménagement du territoire lorsqu’il s’insère dans une logique de correction des inégalités territoriales et de service à une population locale mal desservie. Cette approche favorise une analyse au cas par cas, plus attentive aux réalités sociales et urbaines qu’à une opposition schématique entre centre et périphérie.

Bien que cette solution favorise une analyse contextuelle bénéfique aux zones en difficulté, la portée de l’annulation prononcée demeure encadrée par le respect des compétences de l’administration.

B. Une portée limitée à un réexamen par l’autorité administrative

Conformément à l’office du juge de l’excès de pouvoir, l’annulation de l’arrêté du maire n’entraîne pas automatiquement la délivrance de l’autorisation d’exploitation commerciale. La cour, si elle censure l’avis de la Commission nationale, ne substitue pas sa propre décision à celle de l’administration. Elle enjoint simplement à la commission de réexaminer le projet dans un délai de quatre mois, en tenant compte des motifs de l’arrêt. Le juge précise d’ailleurs que « les motifs de l’annulation prononcée par la présente décision n’impliquent pas nécessairement que la Commission nationale d’aménagement commercial délivre un avis favorable ». Cette solution respecte le pouvoir d’appréciation de l’administration, tout en le balisant de manière très stricte. La Commission nationale devra rendre un nouvel avis, mais sa marge de manœuvre apparaît considérablement réduite, car elle ne pourra plus se fonder sur les motifs jugés illégaux. Cette injonction de réexamen illustre le dialogue entre le juge et l’administration : le premier contrôle la légalité de l’appréciation, mais c’est à la seconde qu’il appartient de tirer les conséquences de cette censure en prenant une nouvelle décision.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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