Cour d’appel administrative de Nancy, le 12 juin 2025, n°23NC01025

Par un arrêt en date du 12 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a précisé les conditions d’application des règles de desserte définies par un plan local d’urbanisme, à l’occasion de l’examen de la légalité d’un permis de construire une maison individuelle.

En l’espèce, une autorisation d’urbanisme avait été délivrée par un maire pour l’édification d’une habitation sur un terrain accessible uniquement par un chemin rural. Des voisins, estimant que cette voie de desserte ne répondait pas aux exigences réglementaires, ont contesté la validité de ce permis. Après le rejet de leur recours gracieux, ils ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg, qui a confirmé la légalité de la décision municipale. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le projet méconnaissait plusieurs dispositions du plan local d’urbanisme relatives à l’accès, à la voirie et à la gestion des eaux. Ils faisaient notamment valoir l’étroitesse du chemin, l’absence d’une aire de manœuvre et l’insuffisance du dossier de demande sur le plan technique.

Il revenait ainsi à la cour administrative d’appel de déterminer si les règles d’urbanisme encadrant la création de voies nouvelles et l’aménagement des impasses pouvaient légitimement être opposées à un projet de construction se raccordant à un chemin préexistant. En d’autres termes, la conformité d’un projet doit-elle être appréciée au regard des seules règles régissant la desserte existante, ou également à l’aune de celles applicables à la création de nouvelles voies, même si le projet n’en crée aucune ?

La cour a rejeté la requête, confirmant le jugement de première instance. Elle juge que les dispositions réglementaires relatives à l’aménagement de voies nouvelles ne peuvent faire obstacle à la délivrance d’un permis de construire lorsque le projet se limite à utiliser une voie existante. Par cette décision, le juge administratif opère une distinction rigoureuse entre les normes applicables à la constructibilité depuis une desserte existante et celles qui régissent la création de voies nouvelles.

La solution retenue par la cour repose ainsi sur une double analyse, distinguant d’une part l’appréciation concrète de la suffisance de la desserte existante (I), et d’autre part, la neutralisation des règles jugées inapplicables au projet (II).

***

I. La validation du permis au regard de la suffisance de la desserte existante

La cour administrative d’appel confirme la légalité du permis de construire en écartant d’abord les moyens accessoires relatifs au dossier et à la sécurité (A), avant de procéder à une appréciation pragmatique de l’adéquation de l’accès existant au projet autorisé (B).

A. Le rejet des moyens formels et inopérants

Les requérants invoquaient en premier lieu l’incomplétude du dossier de demande, faute de production d’une étude spécifique sur la gestion des eaux pluviales. La cour écarte ce moyen avec une logique implacable, en relevant qu’« aucune disposition du code de l’urbanisme ne prévoit qu’un pétitionnaire fournisse, au soutien de sa demande de permis de construire, une étude de gestion des eaux pluviales ». Cette motivation rappelle que les pièces exigibles d’un pétitionnaire sont limitativement énumérées par le code de l’urbanisme, protégeant ainsi ce dernier contre des exigences excessives de l’administration.

Ensuite, le juge d’appel déclare inopérant le moyen tiré de la méconnaissance d’un arrêté ministériel de 1986 relatif à la protection contre l’incendie. Il souligne que ces dispositions « ne s’appliquent pas à des habitations individuelles isolées, jumelées ou en bandes classées au sein des première ou deuxième familles », ce qui était le cas en l’espèce. Cette clarification démontre une application stricte du champ de chaque réglementation, évitant d’étendre des contraintes prévues pour des ensembles immobiliers importants à des projets individuels de moindre envergure.

B. L’appréciation concrète de l’adéquation de l’accès au projet

Concernant la conformité du projet aux articles UB 3.1 et 3.2 du plan local d’urbanisme, la cour se livre à une analyse factuelle détaillée. Si les requérants soulignaient l’étroitesse du chemin rural, le juge retient que ce dernier constitue bien la voie de desserte du terrain. Il constate que, malgré une largeur ponctuellement réduite, le chemin s’élargit à proximité de l’accès à la parcelle et que le service départemental d’incendie et de secours a émis un avis favorable sans réserve.

La cour en conclut que « ce chemin, qui ne dessert que la seule construction projetée, présente des caractéristiques répondant à l’importance et à la destination de celle-ci et permet un accès suffisant aux engins de lutte contre l’incendie ». Cette approche pragmatique, fondée sur la nature et la dimension modestes du projet, illustre le pouvoir d’appréciation du juge administratif, qui refuse une application abstraite et mécanique de la règle d’urbanisme pour privilégier une analyse de sa finalité.

***

II. La neutralisation des règles d’urbanisme inapplicables au projet

Après avoir validé la conformité du projet aux règles de desserte applicables, la cour écarte les autres critiques en opérant une distinction fondamentale entre voie existante et voie nouvelle (A), offrant ainsi une clarification qui renforce la sécurité juridique des pétitionnaires (B).

A. La distinction entre voie existante et voie nouvelle comme critère d’application

Le cœur du raisonnement de la cour réside dans l’interprétation des articles UB 3.3 et 3.4 du règlement, relatifs aux dimensions des voies nouvelles et à l’aménagement des impasses. Les requérants soutenaient que le chemin, en l’absence d’aire de retournement, ne respectait pas ces dispositions. La cour rejette cette argumentation en déclarant les moyens correspondants inopérants.

Elle établit une lecture téléologique de ces règles, affirmant que les dispositions en cause « sont relatives à l’aménagement des voies nouvelles et n’ont pas pour objet, à la différence de celles qui figurent aux 3.1 et 3.2 du même article, de définir les conditions de constructibilité des terrains situés dans la zone UB ». Dès lors, ces prescriptions ne peuvent être opposées à un projet qui utilise une voie préexistante sans en créer une nouvelle. Le juge refuse ainsi d’appliquer des normes de création à une situation de simple utilisation, ce qui constitue une interprétation stricte du champ d’application de la norme.

B. La portée de la solution au service de la sécurité juridique

En affirmant que les règles de création de voies nouvelles « ne sauraient faire obstacle à la délivrance d’un permis de construire en vue de l’édification d’une construction desservie par des voies construites avant leur adoption », la cour apporte une précision essentielle. Cette solution empêche qu’un propriétaire se voie interdire de construire sur son terrain au seul motif que la voie publique qui le dessert, souvent ancienne, ne répond pas aux standards contemporains d’aménagement.

Une telle décision renforce la sécurité juridique pour les pétitionnaires, qui n’ont à répondre que des caractéristiques de leur propre projet et non des déficiences de l’infrastructure publique existante. Elle rappelle implicitement qu’il appartient à la commune, si elle l’estime nécessaire, de mettre ses voies en conformité ou de définir dans son plan local d’urbanisme des règles de constructibilité plus explicites pour les terrains desservis par des voies anciennes, plutôt que de faire peser cette charge sur les projets individuels par une application extensive des textes.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture