Par un arrêt en date du 12 juin 2025, la cour administrative d’appel a précisé les obligations procédurales et substantielles qui pèsent sur les demandeurs d’autorisation d’urbanisme commercial. En l’espèce, une société avait sollicité une autorisation pour l’extension d’un ensemble commercial, projet qui impliquait la création d’une nouvelle surface de vente de 571 m². Cette demande fut initialement examinée par la commission départementale d’aménagement commercial compétente.
Le 3 mars 2022, la commission départementale a émis un avis défavorable au projet. Saisie d’un recours par la société pétitionnaire, la Commission nationale d’aménagement commercial a confirmé ce refus par une décision du 2 juin 2022, motivée par les lacunes persistantes du dossier de demande. La société a alors formé un recours en annulation contre cette décision devant la juridiction administrative, contestant tant la régularité de la procédure suivie par la commission nationale que le bien-fondé de l’appréciation portée sur le caractère incomplet de son dossier. Le requérant soutenait notamment que la demande de pièces complémentaires était intervenue tardivement et que son dossier contenait tous les éléments requis.
Il appartenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si les insuffisances d’un dossier de demande d’autorisation, particulièrement en matière d’analyse des flux de transport, pouvaient légalement justifier un rejet de la part de l’autorité administrative, et dans quelles conditions procédurales ce rejet pouvait intervenir.
À cette question, la cour répond par la négative en rejetant la requête. Elle juge que la Commission nationale d’aménagement commercial peut légalement solliciter des compléments d’information sans être strictement contrainte par certains délais procéduraux et, subséquemment, rejeter une demande lorsque les lacunes qui persistent sont d’une importance telle qu’elles faussent son appréciation sur la conformité du projet aux critères légaux. Cet arrêt clarifie ainsi le cadre du contrôle opéré sur les dossiers de demande, en réaffirmant l’étendue des pouvoirs d’instruction de l’administration (I), tout en consacrant une conception exigeante de l’obligation d’information qui incombe au pétitionnaire (II).
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I. La réaffirmation des prérogatives d’instruction de la commission nationale
La décision de la cour administrative d’appel valide la méthode d’instruction suivie par la Commission nationale d’aménagement commercial en écartant une interprétation formaliste des textes qui aurait limité ses pouvoirs (A), tout en légitimant sa pratique consistant à opposer un refus uniquement après avoir vainement sollicité la régularisation du dossier (B).
A. Le rejet d’une interprétation restrictive des délais de procédure
Le requérant invoquait l’irrégularité de la procédure au motif qu’une demande de pièces complémentaires lui avait été adressée moins de dix jours avant la séance de la commission, en méconnaissance supposée de l’article R. 752-34 du code de commerce. La cour écarte ce moyen en opérant une lecture finaliste de la disposition. Elle juge en effet que ce texte, qui prévoit que les pièces produites moins de dix jours avant la réunion ne seront pas prises en compte, vise à garantir le caractère contradictoire de l’instruction en fixant une date limite pour les productions des parties.
Cependant, la cour souligne que ces dispositions « n’ont ni pour objet, ni pour effet d’interdire à la CNAC de solliciter des éléments complémentaires de la part du pétitionnaire moins de dix jours avant la séance ». Ce faisant, elle distingue clairement les pièces produites spontanément par les parties de celles qui sont sollicitées par l’autorité administrative dans l’exercice de son pouvoir d’instruction. Cette solution préserve la capacité de la commission à mener ses investigations jusqu’au terme de la procédure, afin de fonder sa décision sur une information aussi complète que possible, sans que le pétitionnaire ne puisse se prévaloir de sa propre inaction ou de la proximité de l’échéance pour paralyser l’instruction.
B. La validation d’une procédure d’instruction graduée
L’arrêt met en lumière la démarche que doit suivre l’administration face à un dossier qu’elle estime insuffisant. La cour rappelle qu’il appartient à la commission, dans une telle situation, « non de refuser d’emblée pour ce motif l’autorisation, mais d’inviter la société à compléter dans cette mesure son dossier afin de combler les insuffisances constatées, puis, le cas échéant, de rejeter la demande en raison de lacunes persistantes ». Cette approche en deux temps est ainsi consacrée comme une garantie pour le pétitionnaire.
En l’espèce, la commission nationale avait, à plusieurs reprises, demandé des éclaircissements sur l’impact du projet en matière de circulation, sans obtenir de réponse satisfaisante de la part de la société. Le rejet n’est donc intervenu qu’en raison du caractère persistant des lacunes, après que le demandeur a été mis en mesure de compléter son dossier. La cour légitime ainsi une méthode qui concilie les nécessités de l’instruction et le respect des droits du demandeur, en sanctionnant non pas l’imperfection initiale du dossier, mais le refus ou l’incapacité de le corriger de manière adéquate.
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II. La consécration d’une exigence substantielle de complétude du dossier
Au-delà des aspects procéduraux, l’arrêt insiste sur l’importance de la qualité des informations fournies par le demandeur. Il retient que les lacunes du dossier étaient de nature à vicier l’analyse de l’administration (A) et applique avec rigueur le critère de l’information substantielle pour justifier légalement le refus d’autorisation (B).
A. La caractérisation d’une carence substantielle du dossier
Le cœur du litige portait sur l’évaluation de l’impact du projet sur les flux de transports, un des critères d’appréciation fixés par l’article L. 752-6 du code de commerce. La cour relève que le dossier initial était particulièrement succinct sur ce point, se limitant à des données générales et datées. Elle note que « aucun complément n’a été apporté par la SNC Magasin 278 lors de l’instruction de son dossier par la CNAC sur la réalité du trafic en heures de pointe sur les axes de desserte (…) et sur la prise en compte de la nouvelle liaison inter quartiers ».
Ces omissions n’étaient pas purement formelles. Elles concernaient des éléments déterminants pour permettre à la commission d’apprécier valablement les conséquences du projet sur la circulation locale, aspect d’autant plus sensible que la commission départementale avait déjà soulevé des doutes sérieux à ce sujet. L’insuffisance du dossier n’était donc pas anecdotique mais touchait à la substance même de l’un des objectifs poursuivis par la législation sur l’urbanisme commercial.
B. L’application du critère de l’appréciation faussée par l’administration
Pour conclure à la légalité du refus, la cour applique un principe jurisprudentiel bien établi selon lequel l’illégalité d’une autorisation pour cause d’insuffisance du dossier n’est constituée que si les omissions « ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable ». En l’espèce, elle transpose ce raisonnement au cas d’un refus.
La cour juge que les carences du dossier relatives à l’analyse du trafic « étaient de nature à fausser l’appréciation qui aurait été portée par l’autorité administrative quant à l’effet du projet sur les flux de transports ». Autrement dit, en l’absence de données fiables et précises, la commission n’était pas en mesure d’exercer son contrôle et de prendre une décision éclairée. Le refus d’autorisation n’est donc pas la sanction d’un simple vice de forme, mais la conséquence logique de l’impossibilité pour l’administration d’accomplir sa mission d’évaluation. La commission pouvait donc « légalement rejeter la demande au motif de son caractère incomplet », consacrant ainsi la primauté d’une analyse de fond sur une approche purement formelle des obligations du pétitionnaire.