Cour d’appel administrative de Marseille, le 3 mars 2025, n°24MA01331

Par un arrêt en date du 3 mars 2025, une cour administrative d’appel a statué sur la légalité d’une sanction préfectorale infligée à une commune pour non-respect de ses obligations en matière de construction de logements sociaux.

Une commune du littoral méditerranéen n’a pas atteint ses objectifs de réalisation de logements locatifs sociaux fixés pour la période triennale 2017-2019. En conséquence, le préfet du département a, par un arrêté du 22 décembre 2020, constaté la carence de cette collectivité et majoré de 10 % le prélèvement financier annuel auquel elle est assujettie en vertu du code de la construction et de l’habitation. La commune a saisi le tribunal administratif compétent pour obtenir l’annulation de cette décision ou, à défaut, la suppression du taux de majoration. Par un jugement du 28 mars 2024, les premiers juges ont rejeté sa demande. La commune a alors interjeté appel de ce jugement, maintenant ses prétentions et ajoutant à ses moyens une critique de la procédure suivie ainsi que de l’appréciation des faits par l’autorité préfectorale. Elle soutenait notamment que l’objectif fixé était irréalisable, que ses difficultés objectives n’avaient pas été prises en compte et que la sanction était disproportionnée.

Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer dans quelles conditions la carence d’une commune peut être légalement constatée et sanctionnée, et d’apprécier, dans le cadre de leur contrôle de pleine juridiction, la proportionnalité de la majoration financière appliquée.

La cour administrative d’appel rejette la requête de la commune, confirmant ainsi le jugement de première instance et validant l’arrêté préfectoral. Elle estime que la procédure de constat de carence a été menée régulièrement et que la décision du préfet n’est entachée ni d’incompétence ni d’erreur d’appréciation. De plus, elle juge que la sanction financière n’est pas disproportionnée au regard de l’ampleur du manquement de la collectivité à ses obligations légales.

La décision de la cour permet ainsi de confirmer la validité du principe de la déclaration de carence (I), tout en procédant à un contrôle approfondi mais mesuré de la sanction pécuniaire infligée (II).

***

I. La légalité justifiée de la déclaration de carence

La cour d’appel valide la décision du préfet en écartant d’une part les critiques de légalité externe et de procédure, et en confirmant d’autre part le bien-fondé de la carence au regard des faits.

A. Le rejet des moyens de légalité externe et de procédure

La commune requérante soulevait plusieurs arguments tenant à l’irrégularité formelle de la décision contestée. Elle invoquait en premier lieu l’incompétence du préfet, arguant d’une immixtion de la ministre chargée du logement dans la prise de décision. La cour écarte ce moyen en rappelant que « les préfets sont soumis à l’autorité hiérarchique des ministres ». L’intervention du pouvoir central ne constitue donc pas une ingérence illégale mais l’exercice normal de la tutelle administrative, ne viciant pas la compétence de l’auteur de l’acte.

En deuxième lieu, la requérante critiquait la procédure consultative, notamment le fait que le préfet n’ait pas suivi l’avis initial du comité régional de l’habitat et de l’hébergement. Les juges rappellent cependant que cet avis n’est que consultatif et ne lie pas l’autorité préfectorale, laquelle reste libre de sa décision. De même, la cour juge que les instructions ministérielles, telles que celle du 23 juin 2020, sont dépourvues de caractère réglementaire. Par conséquent, une commune ne peut se prévaloir de leur méconnaissance, la cour précisant que cette instruction « ne comporte ni règle ni ligne directrice dont les communes pourraient se prévaloir à l’encontre des arrêtés prononçant leur carence ». L’ensemble de ces vices de forme étant écarté, la cour a pu examiner le bien-fondé de la décision.

B. La confirmation du bien-fondé de la carence face aux difficultés invoquées

La commune soutenait que le constat de carence procédait d’une erreur manifeste d’appréciation. Elle mettait en avant le caractère prétendument irréalisable de ses objectifs et les difficultés objectives rencontrées, notamment la rareté et la cherté du foncier disponible. La cour rejette cette argumentation en se fondant sur l’ampleur de l’écart entre les objectifs et les réalisations. Elle souligne que la commune n’a réalisé que « 9,79 %, soit soixante-neuf logements sur les sept cent cinq qu’elle s’était engagée à construire ».

Face à un tel différentiel, les difficultés invoquées perdent de leur pertinence. La cour observe d’ailleurs que les contraintes liées au foncier « n’ont constitué d’obstacle à la construction de logements dits libres ». Cet argument factuel démontre que les obstacles n’étaient pas insurmontables et que la faible réalisation de logements sociaux relevait davantage d’un manque de volonté politique que d’une impossibilité matérielle. Le juge administratif confirme ainsi que si le préfet doit tenir compte des difficultés locales, celles-ci ne sauraient justifier une inaction quasi totale face aux obligations légales.

II. L’exercice mesuré du contrôle de la sanction pécuniaire

Saisi d’un recours de pleine juridiction, le juge ne se limite pas à vérifier la légalité du principe de la sanction, mais en contrôle également le montant. Il examine ainsi la proportionnalité du taux de majoration, tout en refusant de se laisser lier par des documents non normatifs.

A. Le contrôle de la proportionnalité du taux de majoration

La commune estimait la majoration de 10 % disproportionnée. Le juge d’appel exerce son contrôle en appréciant la sanction au regard de la gravité du manquement. Il prend en considération « l’importance de l’écart entre les objectifs et les réalisations constatées » et « la faible importance des difficultés invoquées » pour conclure que le taux retenu « n’est pas en l’espèce disproportionné à la gravité de sa carence ». Ce faisant, la cour rappelle que la sanction financière n’est pas seulement punitive mais aussi incitative et doit être fixée à un niveau suffisamment dissuasif pour encourager la commune à respecter ses obligations futures.

En outre, le juge vérifie que la sanction ne porte pas une atteinte excessive à la libre administration de la collectivité. Il relève que le prélèvement majoré ne dépasse pas les plafonds légaux et n’a pas pour effet « d’entraver sa libre administration ». Cette double vérification, portant à la fois sur l’adéquation de la sanction à la faute et sur son impact financier, illustre toute l’étendue du contrôle de pleine juridiction en la matière, qui vise à concilier les exigences de la loi avec les capacités financières des collectivités locales.

B. Le refus de tenir compte d’une instruction gouvernementale non impérative

Pour contester le taux de majoration, la commune tentait d’exciper de l’illégalité d’une instruction gouvernementale du 23 juin 2020 qui, selon elle, n’aurait pas prévu la possibilité d’un taux de majoration nul. La cour d’appel écarte fermement cet argument en se fondant sur la nature juridique même de ce document. Elle réaffirme une solution classique du droit administratif en rappelant qu’une instruction est un acte interne à l’administration, destiné à guider l’action des services déconcentrés de l’État.

En tant que telle, elle est dépourvue de portée normative à l’égard des administrés. La cour conclut logiquement que la commune « ne saurait exciper de son illégalité », car un tel document ne crée aucun droit à son profit. Cette précision souligne la stricte hiérarchie des normes et empêche les collectivités de se prévaloir d’orientations politiques internes à l’administration pour échapper à l’application de la loi. La sanction est donc appréciée au seul regard des dispositions législatives et réglementaires applicables et des circonstances de l’espèce.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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