Cour d’appel administrative de Marseille, le 3 juillet 2025, n°24MA00467

Un requérant a saisi le tribunal administratif de Toulon d’une demande tendant à l’annulation d’un certificat d’urbanisme opérationnel négatif émis par le maire d’une commune du littoral varois. Ce certificat déclarait irréalisable son projet de déplacement d’un chemin d’accès sur une parcelle qui lui appartient, au motif que ce projet portait atteinte à un espace boisé classé. Suite au rejet de sa demande par un jugement du 29 décembre 2023, le requérant a interjeté appel afin d’obtenir l’annulation de ce jugement et des décisions administratives contestées. Devant la cour administrative d’appel, il soulevait plusieurs moyens, notamment l’incompétence de l’auteur de l’acte, l’irrégularité du motif tiré de l’incomplétude de son dossier, l’illégalité du plan local d’urbanisme en tant qu’il instaurait l’espace boisé classé en question, et enfin, l’absence de méconnaissance des règles de protection de ces espaces. Le problème de droit soumis au juge d’appel était donc double : il s’agissait de déterminer si le projet de déplacement d’un chemin d’accès compromettait la protection attachée au classement d’une partie de la parcelle en espace boisé, et, par ailleurs, si les vices entachant potentiellement le document d’urbanisme à l’origine de ce classement pouvaient être utilement invoqués pour contester le refus opposé. Par un arrêt du 3 juillet 2025, la cour administrative d’appel rejette la requête. Tout en reconnaissant le caractère erroné de l’un des motifs du refus, elle confirme la décision de l’administration en se fondant sur l’incompatibilité du projet avec les objectifs de conservation de l’espace boisé classé, et écarte par ailleurs les exceptions d’illégalité soulevées à l’encontre du plan local d’urbanisme.

La décision de la cour administrative d’appel s’articule autour de deux axes principaux. D’une part, elle valide le bien-fondé du refus d’urbanisme sur le terrain substantiel, malgré une motivation initialement défaillante (I). D’autre part, elle neutralise les contestations formées à l’encontre de la norme d’urbanisme supérieure, confirmant ainsi la légalité du cadre réglementaire appliqué (II).

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I. La consolidation du refus d’urbanisme par la substitution d’un motif substantiel

L’office du juge administratif le conduit à examiner l’ensemble des motifs d’une décision contestée, ce qui l’amène en l’espèce à censurer un premier motif non pertinent (A) pour mieux asseoir la légalité du refus sur un fondement jugé, lui, parfaitement opérant (B).

A. La censure d’un motif de refus tenant à la complétude du dossier

L’administration avait initialement fondé sa décision négative, entre autres, sur l’incomplétude du dossier de demande de certificat d’urbanisme. Le juge d’appel, procédant à un examen factuel et juridique des pièces produites par le pétitionnaire, infirme l’appréciation de l’administration. Il constate que le demandeur avait fourni l’ensemble des éléments requis par l’article R. 410-1 du code de l’urbanisme, incluant le formulaire Cerfa, une notice descriptive détaillée et des plans précisant l’existant et le projet. Par cette analyse, le juge rappelle que le caractère complet d’un dossier s’apprécie au regard des seules exigences textuelles, et non des informations complémentaires que l’administration pourrait juger utiles mais qui ne sont pas légalement prescrites, telle l’information sur le zonage inondable dans le cas présent. Cette rectification témoigne d’un contrôle rigoureux de la légalité formelle des décisions administratives, garantissant que le demandeur ne se voit pas opposer des exigences supérieures à celles prévues par les textes. Cependant, ce succès procédural pour le requérant demeure sans portée pratique, dès lors que la décision de refus reposait sur un autre motif, jugé quant à lui bien-fondé.

B. La confirmation du refus fondée sur l’atteinte à un espace boisé classé

Le cœur de l’argumentation de la cour réside dans l’application des dispositions de l’article L. 113-2 du code de l’urbanisme. Celles-ci prévoient que le classement en espace boisé « interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements ». Analysant concrètement le projet du requérant, la cour relève que le déplacement du chemin d’accès impliquerait la suppression d’une haie existante et l’artificialisation de la quasi-totalité de l’emprise de l’espace boisé classé. Une telle opération est jugée incompatible avec la finalité de protection assignée à ce classement, quand bien même des mesures compensatoires comme la recréation d’une haie ailleurs sur la parcelle ou l’usage de matériaux drainants seraient envisagées. Le raisonnement est strict : la protection s’attache à la parcelle classée elle-même et non à une vague obligation de maintien d’une masse végétale sur l’unité foncière. La cour procède ainsi à une substitution de motif, considérant que le maire aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif substantiel. Cette approche pragmatique, classique en contentieux administratif, permet de valider une décision dont le fondement juridique est solide, évitant ainsi son annulation pour un simple vice de motivation.

II. L’immunisation du plan local d’urbanisme contre les contestations incidentes

Le requérant tentait également de remettre en cause le refus d’urbanisme en attaquant, par la voie de l’exception, la légalité du document d’urbanisme ayant institué la servitude. La cour rejette ces moyens en s’appuyant sur des mécanismes de stabilisation du droit (A) et sur une interprétation extensive des pouvoirs de l’autorité de planification (B).

A. L’irrecevabilité de l’exception d’illégalité tirée d’un vice de procédure

Le requérant soutenait que la délibération approuvant le plan local d’urbanisme était illégale faute d’avis de la commission départementale compétente, formalité alors prévue par l’ancien article L. 146-6 du code de l’urbanisme. La cour oppose à ce moyen une fin de non-recevoir tirée de l’article L. 600-1 du même code. Ce texte enferme dans un délai de six mois suivant la prise d’effet d’un document d’urbanisme la possibilité d’invoquer par voie d’exception un vice de forme ou de procédure. Le classement litigieux remontant à une révision approuvée en 2007, le délai était très largement expiré. Cette solution illustre la volonté du législateur de sécuriser les documents de planification en purgeant leurs éventuels vices procéduraux, afin de garantir la stabilité des situations juridiques qui en découlent. La cour ajoute, à titre surabondant, qu’il ressortait des pièces du dossier que la commission avait en réalité bien été consultée, ce qui prive le moyen de toute consistance, même sur le fond.

B. Le rejet de l’exception d’illégalité fondée sur une erreur manifeste d’appréciation

Le requérant prétendait ensuite que le classement de sa parcelle en espace boisé constituait une erreur manifeste d’appréciation, au motif qu’elle était dépourvue de boisement significatif. La cour écarte cette argumentation en procédant à une lecture combinée des articles du code de l’urbanisme. Elle rappelle que, si le classement des parcs et boisés existants les plus significatifs est une obligation, l’article L. 113-1 permet également aux communes de classer des espaces en vue d’y « créer » des boisements. Le classement n’est donc pas subordonné à l’existence d’une végétation préexistante. Le juge vérifie ensuite que cette décision de classement n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, en la confrontant aux objectifs du projet d’aménagement et de développement durables (PADD). Constatant que ce dernier insistait sur la préservation du paysage et le maintien d’un cadre boisé, la cour conclut que le classement litigieux s’inscrivait de manière cohérente dans les orientations d’urbanisme de la commune. Ce faisant, elle réaffirme le principe d’un contrôle restreint du juge sur les choix d’aménagement, qui relèvent du large pouvoir d’appréciation des autorités locales, et confirme la légitimité du recours aux espaces boisés classés comme outil de maîtrise de l’urbanisation.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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