Par un arrêt en date du 3 juillet 2025, la Cour administrative d’appel a eu à se prononcer sur la légalité de l’imposition en France d’une société de droit étranger au titre d’une activité de location immobilière. Cette décision apporte un éclairage sur les critères de l’établissement stable et sur les conséquences qui s’attachent à la qualification d’activité occulte.
En l’espèce, une société de droit britannique, dont l’objet social était la location saisonnière de biens immobiliers situés en France, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité. L’administration fiscale a estimé que cette société disposait en France d’un établissement stable non déclaré. Par conséquent, elle a procédé, selon la procédure de taxation d’office, à des redressements en matière d’impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, assortis d’une majoration de quatre-vingts pour cent pour activité occulte. La société a contesté ces impositions devant le tribunal administratif de Nice, qui a rejeté l’essentiel de sa demande. Elle a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement qu’elle n’était pas imposable en France, que la procédure était irrégulière et que les pénalités appliquées n’étaient pas fondées.
Il revenait donc à la Cour de déterminer si une société immatriculée à l’étranger, mais dont les éléments factuels démontrent que la direction effective est exercée depuis le territoire français, peut y être regardée comme disposant d’un établissement stable. En cas de réponse affirmative, il s’agissait de valider les conséquences tirées de l’absence de déclaration de cette activité, notamment l’extension du délai de reprise et l’application d’une majoration pour activité occulte.
La Cour administrative d’appel rejette la requête de la société. Elle juge que le faisceau d’indices rapporté par l’administration démontre que le siège de direction effective de l’entreprise se situait en France, ce qui caractérise un établissement stable au sens du droit interne et de la convention fiscale franco-britannique. Elle en déduit que l’absence de souscription des déclarations fiscales afférentes à cette activité constitue une activité occulte, justifiant tant l’application d’un délai de reprise étendu que de la majoration de quatre-vingts pour cent, l’argument d’une simple erreur étant écarté au motif du caractère délibéré de la minoration de l’impôt.
La solution retenue par la Cour s’inscrit dans une appréciation pragmatique de la notion d’établissement stable, fondée sur la réalité économique plutôt que sur le formalisme juridique (I). Cette caractérisation emporte ensuite des conséquences procédurales et répressives rigoureuses, que la Cour valide sans réserve (II).
I. La consécration d’une approche factuelle pour la localisation de l’établissement stable
La Cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse concrète des conditions d’exercice de l’activité de la société, faisant prévaloir la notion de siège de direction effective sur le siège statutaire (A), ce qui rend inopérants les arguments tirés d’une simple conformité fiscale formelle dans l’État d’immatriculation (B).
A. La prééminence du siège de direction effective sur le siège statutaire
La juridiction administrative rappelle que l’existence d’un établissement stable, au sens de l’article 209 du code général des impôts comme de la convention fiscale bilatérale, s’apprécie au regard d’un ensemble d’éléments concrets. En l’espèce, bien que le siège social de la société fût situé au Royaume-Uni, la Cour relève que ce dernier n’était qu’une adresse résidentielle et que le courrier était en réalité dirigé vers le domicile niçois de la dirigeante. Le juge s’appuie sur une accumulation de preuves matérielles pour localiser le véritable centre décisionnel en France. Sont notamment cités l’absence de personnel au Royaume-Uni, l’utilisation d’un numéro de téléphone français, la saisie en France de « contrats, des documents comptables et commerciaux, des rapports financiers » et la gestion du site internet de la société depuis le territoire français.
Par cette méthode du faisceau d’indices, la Cour démontre que « les décisions relatives à l’activité de la société Pebbles Rentals Ltd au cours de la période vérifiée étaient prises en France ». Cette approche pragmatique permet de déjouer les montages purement artificiels visant à localiser une activité dans un État à des fins fiscales, alors que toute la substance économique et décisionnelle se trouve dans un autre. Le juge ne se contente pas des apparences juridiques, mais recherche le lieu où l’activité est réellement et de manière autonome pilotée.
B. L’inefficacité des arguments tirés d’une conformité fiscale formelle à l’étranger
Face aux éléments factuels réunis par l’administration, la société requérante opposait le respect de ses obligations déclaratives au Royaume-Uni. Elle tentait de démontrer sa bonne foi en arguant du paiement de l’impôt sur les sociétés dans son État de résidence. Cependant, la Cour écarte cet argument en affirmant que cette circonstance est « sans incidence » sur la caractérisation de l’établissement stable en France. La décision souligne ainsi l’autonomie des systèmes fiscaux et le principe de territorialité de l’impôt. Le fait pour une entreprise de s’acquitter d’un impôt à l’étranger ne la dispense pas de ses obligations fiscales en France si les critères d’une exploitation y sont réunis.
De même, la production tardive de documents tels qu’un contrat de « management fees » non daté et non signé ou des procès-verbaux d’assemblée générale est jugée insuffisante pour contredire les constatations matérielles. Cette position réaffirme que la charge de la preuve d’une direction effective depuis l’étranger repose sur le contribuable, et que cette preuve doit être suffisamment tangible pour renverser les indices concordants d’une gestion en France. La Cour se montre ainsi hermétique aux justifications formelles qui ne sont pas étayées par la réalité des faits.
Une fois l’établissement stable ainsi caractérisé en France, la cour en tire logiquement l’ensemble des conséquences tant sur le plan procédural que sur celui des sanctions.
II. L’application rigoureuse des conséquences attachées à l’activité occulte
La reconnaissance d’un établissement stable non déclaré conduit la Cour à valider l’application du régime de l’activité occulte. Cela se traduit par la confirmation de l’extension du délai de reprise accordé à l’administration (A) et par la justification de la majoration fiscale appliquée au contribuable (B).
A. La justification de l’extension du délai de reprise de l’administration
En vertu des articles L. 169 et L. 176 du livre des procédures fiscales, le droit de reprise de l’administration, normalement de trois ans, est étendu à dix ans en cas d’activité occulte. Cette dernière est définie par la conjonction de deux éléments : le non-dépôt des déclarations fiscales dans les délais et l’absence d’immatriculation auprès d’un centre de formalités des entreprises ou d’un greffe. La Cour constate que ces deux conditions sont remplies. En ayant omis de déclarer l’existence de son établissement stable en France, la société s’est de fait soustraite à ses obligations déclaratives en matière d’impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée.
La circonstance que la société ait pu coopérer durant le contrôle en remettant des documents comptables est jugée sans effet sur la qualification d’activité occulte. Cette solution est classique et rappelle que l’occultation de l’activité s’apprécie au regard de la situation existant avant l’engagement du contrôle fiscal. Le caractère occulte résulte de l’absence de révélation spontanée de l’activité imposable aux autorités, et non du comportement du contribuable une fois la procédure de contrôle initiée. La Cour fait ici une application stricte des textes, considérant que la dissimulation initiale suffit à justifier la mise en œuvre du délai de prescription allongé.
B. La validation de la majoration pour dissimulation intentionnelle
La qualification d’activité occulte emporte l’application de plein droit de la majoration de quatre-vingts pour cent prévue à l’article 1728 du code général des impôts. La société tentait de s’y soustraire en soutenant que le non-respect de ses obligations en France relevait d’une simple « erreur », et non d’une intention frauduleuse. La Cour rejette cet argument en opérant une analyse qui dépasse la simple constatation matérielle de l’infraction. Elle relève qu’il existe « une différence notable entre le montant des cotisations supplémentaires (…) auxquelles l’administration fiscale française a entendu l’assujettir et celui auquel elle a été assujettie au Royaume-Uni ».
Cet écart significatif entre l’impôt acquitté à l’étranger et l’impôt réellement dû en France est interprété par le juge comme un indice du caractère délibéré de la manœuvre. En substance, la Cour estime que la société ne pouvait ignorer que sa déclaration au Royaume-Uni, sur la base de bénéfices minorés, ne correspondait pas à la réalité de son activité française. Cette analyse confère à la décision une portée pédagogique en rappelant aux contribuables que l’invocation de la bonne foi est inopérante lorsque les faits matériels révèlent une stratégie d’évasion fiscale. La sanction n’est donc pas perçue comme une simple punition pour une omission, mais comme la juste conséquence d’un comportement intentionnel visant à se soustraire à l’impôt.