Cour d’appel administrative de Marseille, le 25 mars 2025, n°24MA01477

Par un arrêt du 25 mars 2025, la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur la mise en jeu de la responsabilité des personnes publiques à la suite des dommages causés par une inondation d’une ampleur exceptionnelle. En l’espèce, des propriétaires ont subi une inondation de leur habitation en décembre 2003, consécutive à des pluies diluviennes et à une tempête marine, phénomènes ayant entraîné la rupture d’une digue de protection. Saisis d’une demande d’indemnisation, le tribunal administratif de Marseille avait rejeté leurs prétentions, les conduisant à interjeter appel. Devant la cour, les requérants soutenaient que l’événement climatique ne constituait pas un cas de force majeure et que la responsabilité de l’État ainsi que celle du syndicat mixte chargé de la gestion des ouvrages de protection devait être engagée. Ils invoquaient à la fois un régime de responsabilité sans faute pour dommage de travaux publics, en raison d’un défaut d’entretien des ouvrages, et un régime de responsabilité pour faute, lié à des carences dans les pouvoirs de police de l’eau et dans l’élaboration des documents d’urbanisme. Les personnes publiques intimées opposaient principalement le caractère exonératoire de la force majeure et l’absence de lien de causalité direct avec les dommages subis. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si la responsabilité de l’administration pouvait être engagée pour les préjudices résultant d’un phénomène naturel exceptionnel, alors même qu’un ouvrage public de protection avait cédé et que les victimes avaient acquis leur bien en connaissance du risque d’inondation. La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant le jugement de première instance. Elle retient la qualification de force majeure pour l’événement climatique, ce qui limite l’engagement de la responsabilité des personnes publiques aux seuls cas où une faute de leur part ou un défaut d’entretien d’un ouvrage public aurait aggravé les conséquences dommageables du sinistre. Or, la cour estime qu’une telle aggravation n’est pas démontrée. Elle écarte également toute responsabilité pour faute, notamment en matière d’urbanisme, en relevant que les requérants étaient informés du caractère inondable de la zone lors de l’acquisition de leur propriété.

La décision confirme ainsi la portée exonératoire de la force majeure dans le contentieux de la responsabilité administrative (I), tout en soulignant le rôle déterminant de l’imprudence de la victime dans l’appréciation du lien de causalité (II).

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I. Une application rigoureuse des conditions d’engagement de la responsabilité publique face à un événement de force majeure

La cour fonde sa décision sur une analyse stricte des régimes de responsabilité, d’une part en consacrant l’existence d’un cas de force majeure qui neutralise la responsabilité de principe (A), et d’autre part en constatant l’absence de preuve d’une aggravation du dommage imputable aux ouvrages publics (B).

A. La qualification de la catastrophe naturelle en cas de force majeure exonératoire

L’arrêt retient que les intempéries de décembre 2003 présentent les caractères de la force majeure. Pour ce faire, le juge s’appuie sur plusieurs rapports d’experts et conférences de consensus, relevant que « l’événement de décembre 2003 a été caractérisé par une situation météorologique peu courante avec une forte extension spatiale des pluies » et qu’il est « sans précédent ». La conjonction de ces précipitations exceptionnelles et d’une tempête marine a créé un phénomène cumulant les critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. Cette qualification est fondamentale, car elle déplace le fondement de la responsabilité. En principe, le maître d’un ouvrage public est responsable sans faute des dommages causés aux tiers. Cependant, la survenance d’un cas de force majeure rompt le lien de causalité et exonère l’administration de sa responsabilité. La cour rappelle la conséquence de cette qualification en des termes clairs : « la responsabilité de l’Etat à l’occasion de cette inondation de décembre 2003 ne peut être retenue que pour autant que les conséquences dommageables de cet événement ont été aggravées par le défaut de conception ou le mauvais état d’entretien d’un ouvrage lui appartenant ou par des fautes commises par ses services ». Les requérants ne peuvent donc plus se contenter de prouver un dommage et un lien avec l’ouvrage ; ils doivent établir une faute ou un défaut d’entretien ayant spécifiquement amplifié le sinistre.

B. L’absence démontrée d’une aggravation du dommage par le fonctionnement de l’ouvrage public

La charge de la preuve pesant désormais sur les victimes, celles-ci devaient démontrer en quoi le mauvais état ou le fonctionnement des ouvrages publics avait aggravé les effets de la crue. La cour examine successivement la responsabilité de l’État et celle du syndicat gestionnaire de la digue. Concernant l’État, les juges reprochent aux requérants le caractère général et imprécis de leurs allégations, qui visent « l’intégralité des ouvrages de protection du Rhône », sans identifier un ouvrage précis ni établir un lien causal direct avec leurs dommages. La responsabilité de l’État ne saurait être engagée sur la base d’affirmations générales. S’agissant de la rupture de la digue de la Petite Argence, ouvrage directement à l’origine de l’inondation de la propriété, la cour adopte un raisonnement plus subtil. Bien que la rupture soit avérée, elle ne suffit pas à engager la responsabilité de son gestionnaire. Le juge relève que la digue avait été entretenue et qu’elle a cédé car la pression exercée par la crue a dépassé « celle pour laquelle elle avait été conçue ». La conclusion de la cour est sans équivoque : « il ne résulte en tout état de cause pas de l’instruction que la rupture de la digue de la Petite Argence aurait contribué à l’aggravation des effets de ces inondations de décembre 2003 ». En d’autres termes, l’événement de force majeure était d’une telle intensité que le dommage se serait produit de manière similaire, que la digue ait cédé ou non. La rupture n’est plus la cause aggravante du dommage, mais une simple conséquence de la catastrophe elle-même.

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II. Le rejet de la responsabilité pour faute conforté par l’acceptation des risques par la victime

Au-delà de la responsabilité sans faute, la cour examine les fautes que les requérants imputaient à l’administration. Elle les écarte en se fondant sur une application stricte des obligations légales pesant sur l’État (A), et surtout en donnant une portée décisive à la connaissance du risque par les victimes au moment de leur acquisition (B).

A. L’absence de carence fautive de l’État dans ses missions de planification et de police

Les requérants arguaient d’une faute de l’État dans l’élaboration des documents de prévention, notamment l’absence d’un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) à la date de la construction. La cour rejette cet argument en rappelant que la loi instituant ces plans n’était pas encore en vigueur à la date d’autorisation de la construction en 1976 et qu’elle ne fixait, au demeurant, aucune date butoir pour leur élaboration. L’État ne peut donc se voir reprocher une carence fautive pour ne pas avoir appliqué par anticipation une législation future. De même, les allégations relatives à un manquement aux obligations de police de l’eau sont jugées trop imprécises pour prospérer. L’arrêt illustre ainsi l’exigence faite au demandeur d’articuler des moyens précis et juridiquement fondés pour espérer engager la responsabilité pour faute de l’administration. Une simple affirmation d’une défaillance générale, sans démonstration d’une violation d’une obligation textuelle précise, est insuffisante.

B. La neutralisation du lien de causalité par la connaissance du risque par la victime

Le point le plus significatif du raisonnement de la cour sur le terrain de la faute concerne la délivrance de l’autorisation d’urbanisme. Les requérants soutenaient que l’État avait commis une faute en autorisant la construction dans une zone qu’il savait inondable. La cour balaie cet argument en s’appuyant sur une constatation factuelle tirée du rapport d’expertise. Elle relève que l’acte d’achat du bien immobilier par les requérants en 1993 mentionnait expressément le classement du terrain en zone submersible. En effet, il y est précisé que le terrain était « classé en zone UCr du plan d’occupation des sols (…) l’indice « r » marquant (…) le risque, et qu’il était grevé de la servitude EL2 (zone submersible) ». Pour la cour, cette information explicite a une conséquence juridique majeure : dès lors que les propriétaires « étaient informés du risque inondation au moment où ils ont acheté leur maison », ils ne peuvent plus utilement rechercher la responsabilité de l’autorité ayant délivré l’autorisation de construire plusieurs années auparavant. Cette connaissance du risque, et donc son acceptation implicite, vient rompre le lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice subi. La solution, bien que sévère pour les victimes, s’inscrit dans une logique de responsabilisation des particuliers, qui ne sauraient ignorer les risques inhérents à la localisation d’un bien immobilier, surtout lorsque ces risques sont officiellement documentés et portés à leur connaissance.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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