Par une ordonnance en date du 23 avril 2025, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Marseille a précisé les modalités de computation du délai du déféré préfectoral à l’encontre d’un permis de construire tacite.
En l’espèce, une demande de permis de construire pour une maison individuelle a été déposée le 30 avril 2024. Dans le cadre de l’instruction, le préfet, dont l’avis conforme était requis, a émis un avis défavorable le 11 juin 2024. Le maire n’ayant pas notifié de décision expresse, un permis de construire tacite est né le 30 juin 2024. Le préfet a reçu le dossier au titre du contrôle de légalité le 23 septembre 2024, et a formé un recours gracieux auprès de la commune le 24 octobre 2024, demandant le retrait de l’autorisation. Face au silence de la commune, il a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bastia le 19 février 2025 d’une demande de suspension de l’exécution du permis. Par une ordonnance du 14 mars 2025, sa demande a été rejetée comme tardive. Le préfet a alors interjeté appel de cette ordonnance.
La question de droit soumise au juge d’appel était de déterminer si la transmission du dossier de demande de permis de construire au préfet pour recueillir son avis conforme faisait courir le délai de deux mois dont il dispose pour déférer l’autorisation d’urbanisme tacite au tribunal administratif.
La cour administrative d’appel de Marseille annule l’ordonnance du premier juge. Elle juge que la transmission du dossier au préfet pour avis ne constitue pas la transmission effectuée au titre du contrôle de légalité et n’est donc pas de nature à faire courir le délai du déféré préfectoral. Ce délai ne court qu’à compter de la date à laquelle la commune transmet l’acte au titre du contrôle de légalité. En conséquence, le recours gracieux du préfet avait bien interrompu le délai, et le déféré n’était pas tardif.
La solution adoptée par la cour administrative d’appel clarifie le régime procédural applicable au déféré préfectoral contre les autorisations d’urbanisme tacites (I), renforçant ainsi la portée du contrôle de légalité exercé par le représentant de l’État (II).
I. La clarification du point de départ du délai du déféré préfectoral
La décision commentée établit une distinction nette entre les différentes formes de saisine du préfet, précisant que seule la transmission au titre du contrôle de légalité déclenche le délai de recours contentieux.
A. La dissociation de la consultation pour avis et de la transmission pour contrôle
Le juge des référés rappelle que l’intervention du préfet dans le processus d’instruction d’une autorisation d’urbanisme peut revêtir une double nature. D’une part, il peut être consulté pour émettre un avis, lequel est parfois un avis conforme qui lie l’autorité compétente, comme en l’espèce en application de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme. D’autre part, il est le destinataire de l’acte délivré aux fins d’exercer son contrôle de légalité, conformément à l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales.
L’ordonnance s’appuie sur une jurisprudence établie du Conseil d’État pour affirmer que ces deux transmissions poursuivent des objets distincts et obéissent à des régimes juridiques différents. La consultation pour avis intervient en amont de la décision, dans le cadre de son instruction. La transmission pour contrôle, quant à elle, intervient en aval, une fois l’acte devenu exécutoire. La cour souligne que la consultation « ne constitue pas une transmission faite aux services de l’Etat en application des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales ». Cette distinction fonctionnelle est déterminante pour l’application des règles de procédure contentieuse.
B. L’application rigoureuse de la règle au permis de construire tacite
La principale portée de cet arrêt réside dans l’application de cette distinction au cas particulier d’un permis de construire tacite. Pour un tel acte, la date à laquelle il est acquis et la date de sa transmission peuvent ne pas coïncider. L’ordonnance précise que, si la commune transmet le dossier de demande au préfet au moment de son enregistrement, le délai du déféré court à compter de la naissance du permis tacite.
Toutefois, la cour juge que la transmission du dossier au préfet le 30 mai 2024 pour recueillir son avis conforme n’a pas déclenché le délai de recours. Elle énonce clairement que « cette transmission n’a pas fait courir le délai de recours dont dispose le préfet, ce délai n’ayant commencé à courir que le 23 septembre 2024, lorsque le préfet de la Corse-du-Sud a été rendu destinataire du dossier au titre du contrôle de légalité ». En reportant ainsi le point de départ du délai à la date de la transmission formelle pour contrôle, le juge préserve l’intégralité du délai de deux mois reconnu au préfet pour exercer sa mission.
II. Le renforcement de la portée du contrôle de légalité
En écartant une interprétation qui aurait pu neutraliser en partie le pouvoir de contrôle du préfet, la décision garantit l’effectivité de ce mécanisme de surveillance tout en maintenant un équilibre avec la sécurité juridique des autorisations délivrées.
A. La garantie d’un contrôle effectif sur les actes tacites
Cette solution préserve l’efficacité du contrôle de légalité. Admettre que la consultation pour avis puisse faire courir le délai du déféré aurait pour effet de réduire, voire de supprimer, le temps dont dispose le préfet pour former son recours, notamment dans les cas où la transmission pour contrôle interviendrait tardivement après la naissance du permis tacite. Une telle situation affaiblirait son pouvoir de surveillance, en particulier face à une autorité communale qui aurait ignoré son avis conforme défavorable.
Le juge s’assure que le représentant de l’État dispose bien des deux mois pleins prévus par les textes pour examiner l’acte et décider de le contester. La solution est d’autant plus justifiée en l’espèce que le maire était en situation de compétence liée pour refuser le permis, suite à l’avis conforme négatif du préfet. La décision permet de sanctionner efficacement la méconnaissance de cette obligation par la commune, en garantissant au préfet les moyens procéduraux de faire respecter la loi.
B. La conciliation entre légalité et sécurité juridique
Si cette jurisprudence a pour effet de prolonger la période d’incertitude pour le bénéficiaire du permis de construire, cette conséquence apparaît comme une contrepartie nécessaire au respect du principe de légalité. La sécurité juridique d’un acte administratif ne saurait être acquise au détriment de sa conformité à la loi, surtout lorsque des règles d’urbanisme d’ordre public sont en jeu.
L’ordonnance rappelle que la charge de la transmission pour contrôle pèse sur la commune. En liant le départ du délai à l’accomplissement de cette diligence, la décision incite les communes à notifier sans tarder leurs décisions, même tacites, au représentant de l’État. Ce faisant, elle favorise une bonne administration et assure que le contrôle de légalité, pilier de l’État de droit, puisse s’exercer pleinement sur les actes administratifs les plus sensibles en matière d’aménagement du territoire.