Cour d’appel administrative de Marseille, le 20 mars 2025, n°24MA00603

Par un arrêt en date du 20 mars 2025, la cour administrative d’appel de Marseille a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un classement en zone naturelle d’une parcelle dans le cadre d’un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, plusieurs propriétaires s’opposaient à la classification de leur terrain en zone naturelle par une délibération du conseil d’une métropole approuvant le nouveau document d’urbanisme, classification qui faisait obstacle à un projet de construction. Ils estimaient ce choix incohérent avec les orientations de développement et entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, compte tenu de la situation de leur bien, déjà entouré de zones construites et doté des réseaux nécessaires.

Saisis en première instance, les juges du tribunal administratif de Marseille avaient rejeté la demande d’annulation de cette délibération. Les propriétaires ont donc interjeté appel de ce jugement, maintenant leurs moyens fondés sur l’irrégularité du jugement, l’incohérence du classement avec le projet d’aménagement et de développement durables, et l’erreur manifeste d’appréciation. La métropole, en défense, concluait au rejet de la requête, arguant notamment du caractère confirmatif de la décision attaquée par rapport au précédent document d’urbanisme. La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si le classement en zone naturelle d’un terrain situé en frange urbaine, à proximité d’un massif protégé mais entouré de parcelles bâties, constituait une erreur manifeste d’appréciation de la part de l’autorité compétente, et si ce classement était cohérent avec les objectifs, parfois divergents, du projet d’aménagement et de développement durables.

La cour administrative d’appel de Marseille rejette la requête des propriétaires. Elle juge que le classement litigieux n’est pas entaché d’incohérence avec le projet d’aménagement, car il participe à la conciliation entre les objectifs de densification urbaine et ceux de préservation des paysages. En outre, elle considère que le choix de classer la parcelle en zone naturelle ne procède pas d’une erreur manifeste d’appréciation, les auteurs du plan disposant de la faculté de soustraire un secteur à l’urbanisation pour l’avenir afin de protéger un environnement et un paysage d’intérêt.

Cet arrêt illustre l’exercice d’un contrôle restreint par le juge administratif sur les choix opérés en matière de planification urbaine (I), tout en confirmant la prééminence accordée aux objectifs de préservation des espaces naturels et des paysages dans la mise en balance avec les projets de développement (II).

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I. L’application d’un contrôle juridictionnel classique et restreint

La cour administrative d’appel confirme la légalité du classement contesté en appliquant une grille d’analyse bien établie, qui se caractérise par une appréciation globale de la cohérence du document d’urbanisme (A) et par une recherche circonscrite de l’erreur manifeste d’appréciation (B).

A. Une appréciation globale de la cohérence entre le règlement et le PADD

Les requérants soutenaient que le classement de leur parcelle en zone naturelle était contradictoire avec l’objectif de densification inscrit au projet d’aménagement et de développement durables pour le secteur concerné. La cour écarte ce moyen en rappelant la méthode d’analyse de la cohérence, selon laquelle « l’inadéquation d’une disposition du règlement du plan local d’urbanisme à une orientation ou un objectif du projet d’aménagement et de développement durables ne suffit pas nécessairement, compte tenu de l’existence d’autres orientations ou objectifs au sein de ce projet, à caractériser une incohérence entre ce règlement et ce projet ».

Le juge administratif refuse ainsi de procéder à une analyse isolée de la situation d’une parcelle au regard d’un seul objectif du PADD. Il se livre à une analyse d’ensemble, à l’échelle du territoire communal, et constate que le PADD poursuit des finalités multiples, parfois contradictoires. En l’occurrence, si le développement urbain est encouragé, il doit se faire en maîtrisant ses impacts sur l’environnement. Le PADD justifie de « favoriser modérément les dynamiques urbaines » tout en maîtrisant « les impacts de l’urbanisation en piémont ». Le classement en zone naturelle d’un terrain situé en frange urbaine est donc interprété par la cour comme une mesure de conciliation, un arbitrage opéré par l’autorité de planification entre l’objectif de densification et celui de préservation des paysages, en particulier à proximité d’un massif protégé.

B. Le refus de caractériser une erreur manifeste d’appréciation

Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation constitue la pierre angulaire de l’intervention du juge sur les choix de zonage. Dans cette affaire, la cour rappelle que les auteurs d’un plan disposent d’une large latitude pour définir le parti d’aménagement. Elle précise qu’ils « peuvent être amenés, à cet effet, à classer en zone naturelle, pour les motifs énoncés à l’article R. 151-24, un secteur qu’ils entendent soustraire, pour l’avenir, à l’urbanisation ».

Les arguments des requérants, bien que factuellement pertinents (proximité de parcelles construites, desserte par les réseaux), ne suffisent pas à démontrer que l’autorité aurait commis une erreur d’une gravité telle qu’elle en deviendrait évidente. La cour estime que la situation du terrain, même en discontinuité du massif naturel principal dont il est séparé par une route, justifie une protection au titre de la transition paysagère. Le classement litigieux est analysé non pas comme une photographie de l’état existant, mais comme un choix prospectif visant à contenir l’urbanisation. En validant cette approche, la cour confirme que la seule présence d’équipements ou la proximité d’une zone urbanisée ne créent pas un droit acquis à l’urbanisation future et ne suffisent pas à rendre un classement en zone naturelle manifestement erroné.

Cette approche, si elle est classique dans son principe, révèle par son application une orientation de fond quant aux priorités retenues dans la gestion des sols.

II. La consolidation de la protection des paysages et des transitions écologiques

Au-delà de la méthodologie du contrôle, la décision de la cour administrative d’appel de Marseille a pour effet de légitimer des choix d’urbanisme qui privilégient la protection de l’environnement (A), ce qui inscrit l’arrêt, bien que d’espèce, dans une tendance jurisprudentielle plus large (B).

A. La valorisation de la fonction paysagère de la parcelle

La cour accorde une importance déterminante à la fonction de la parcelle en tant qu’élément du paysage global. Le terrain des requérants est vu non comme une entité isolée, mais comme une pièce d’un ensemble plus vaste, marquant une « transition abrupte avec le massif du Garlaban ». Cette considération est centrale dans le raisonnement du juge. Le PADD lui-même indique que le développement en frange urbaine doit être « limité, au titre de l’objectif de préservation des paysages et de l’environnement de la trame verte et bleue ».

En faisant sienne cette analyse, la cour entérine l’idée qu’un espace, même dépourvu d’un intérêt écologique intrinsèque majeur, peut être légalement soustrait à la construction en raison de son rôle de zone tampon ou de coupure d’urbanisation. Le maintien « de la nature en ville » est un objectif autonome qui peut justifier le classement en zone N de parcelles situées au cœur de zones autrement urbanisées. Cette décision réaffirme que la protection d’un « grand paysage » est un motif opérant et suffisant pour limiter le droit de construire, même lorsque les parcelles concernées ne sont pas directement intégrées à un espace naturel remarquable.

B. Une solution d’espèce, reflet d’une politique jurisprudentielle

Bien que la solution retenue soit une décision d’espèce, car étroitement liée à la configuration des lieux et aux objectifs spécifiques du PADD local, elle n’en est pas moins révélatrice d’une orientation de fond du droit de l’urbanisme et de son interprétation par le juge. La lutte contre l’artificialisation des sols et la préservation des continuités écologiques sont devenues des impératifs majeurs, irriguant l’ensemble de la législation récente.

Cet arrêt s’inscrit dans ce mouvement en donnant plein effet aux outils de planification qui visent à maîtriser l’étalement urbain. En validant le choix de la métropole de « geler » une parcelle pour des motifs paysagers, la cour envoie un signal clair : l’arbitrage entre développement et préservation, lorsqu’il est cohérent et non manifestement erroné, relève du pouvoir discrétionnaire des collectivités. Ainsi, la décision commentée, tout en appliquant des standards de contrôle établis, confirme la portée croissante des objectifs de protection environnementale, qui sont de plus en plus considérés non pas comme une simple contrainte, mais comme un élément structurant des politiques d’aménagement du territoire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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