Cour d’appel administrative de Marseille, le 18 juin 2025, n°24MA02001

Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 18 juin 2025 vient préciser les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État à la suite de l’annulation d’une autorisation administrative de licenciement d’un salarié protégé. En l’espèce, une société avait obtenu de l’inspecteur du travail l’autorisation de licencier pour motif économique un salarié titulaire d’un mandat de délégué du personnel suppléant. Saisi par le salarié, le tribunal administratif a annulé cette autorisation au motif que l’administration n’avait pas examiné la situation économique au niveau de l’ensemble du groupe auquel appartenait l’entreprise. Cette annulation ayant privé le licenciement de base légale, le salarié a obtenu devant la juridiction prud’homale la condamnation de son ancien employeur au versement de diverses indemnités. L’employeur a alors engagé une action en responsabilité contre l’État, estimant que son préjudice résultait de la faute commise par l’inspecteur du travail. Le tribunal administratif a fait droit à sa demande et a condamné l’État à l’indemniser intégralement du montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’administration a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la faute de l’employeur devait partiellement l’exonérer de sa responsabilité. L’employeur a, pour sa part, formé un appel incident afin d’obtenir la réparation de chefs de préjudice supplémentaires. Se posait alors la double question de savoir si le comportement d’un employeur ayant dissimulé des informations à l’administration était de nature à limiter son droit à indemnisation, et quelle était l’étendue exacte du préjudice réparable en pareille hypothèse. La cour administrative d’appel répond en retenant une faute de la société de nature à exonérer l’État de la moitié de sa responsabilité. Elle précise également le périmètre du préjudice indemnisable, en y incluant certains frais de procédure mais en en excluant les indemnités de préavis. Il conviendra ainsi d’analyser le partage de responsabilité retenu par le juge en raison du comportement fautif de l’employeur (I), avant d’examiner la délimitation précise du préjudice indemnisable qui en résulte (II).

I. L’affirmation d’un partage de responsabilité fondé sur la faute de l’employeur

La décision de la cour administrative d’appel consacre une application rigoureuse de la théorie de la faute de la victime en matière de responsabilité administrative. Elle caractérise d’abord la faute de l’employeur à travers sa rétention d’informations (A), pour en déduire ensuite une exonération partielle de la responsabilité de l’État (B).

A. La rétention d’information, une faute caractérisée de l’employeur

En matière de licenciement économique d’un salarié protégé, l’inspecteur du travail exerce un contrôle approfondi qui doit porter, le cas échéant, sur la situation de l’ensemble du groupe auquel appartient l’entreprise. L’arrêt commenté met en évidence que l’employeur, demandeur à l’autorisation, ne saurait rester passif ou se montrer déloyal dans la fourniture des éléments nécessaires à ce contrôle. La cour relève en effet que la société « s’est abstenue d’informer l’inspecteur du travail de l’appartenance de l’entreprise à un groupe et qu’elle ne lui a fourni aucune information sur la situation comptable de ce groupe ».

Le juge administratif va plus loin en soulignant que l’employeur « a occulté l’existence d’un groupe auprès de l’inspecteur du travail », reprenant ainsi les constatations de la juridiction prud’homale. Cette dissimulation a directement vicié l’analyse de l’inspecteur du travail et l’a conduit à commettre l’illégalité qui a, par la suite, entraîné l’annulation de sa décision. Par cette approche, la cour rappelle qu’une obligation de loyauté et de coopération pèse sur l’employeur dans le cadre de sa demande. Son omission n’est pas une simple négligence mais une faute active qui a fait obstacle à l’exercice correct de la mission de contrôle de l’administration.

B. La consécration d’une exonération partielle de la responsabilité de l’État

La reconnaissance de la faute de l’employeur emporte des conséquences directes sur le droit à réparation. Si l’illégalité de l’autorisation de licenciement constitue bien une faute de l’administration engageant sa responsabilité, celle-ci peut être atténuée, voire supprimée, par le comportement de la victime. En l’espèce, la cour estime que la faute de la société est suffisamment grave pour justifier une limitation de son droit à indemnisation.

Elle considère ainsi qu’en demandant une autorisation de licenciement tout en sachant que les conditions légales n’étaient pas remplies au niveau du groupe et en empêchant le contrôle de l’inspecteur, la société a commis « une faute de nature à exonérer l’Etat de la moitié de la responsabilité encourue ». Le choix d’un partage de responsabilité à hauteur de 50 % relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, mais il traduit une volonté de sanctionner un comportement jugé déloyal qui est à l’origine directe du préjudice. L’employeur ne peut donc obtenir la réparation intégrale d’un dommage auquel il a lui-même activement contribué.

Une fois la responsabilité partagée établie, la cour administrative d’appel a dû se prononcer sur l’étendue exacte des préjudices devant être réparés.

II. Une délimitation stricte du préjudice indemnisable de l’employeur

L’arrêt procède à un tri minutieux entre les différents postes de préjudice invoqués par la société. Il écarte les sommes qui ne présentent pas un lien de causalité direct avec la faute de l’administration (A), tout en admettant, de manière notable, la prise en charge de certains frais liés aux contentieux antérieurs (B).

A. L’exclusion des chefs de préjudice dépourvus de lien de causalité direct

La société demandait l’indemnisation des sommes versées au salarié au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents. La cour administrative d’appel confirme sur ce point le jugement de première instance et rejette cette demande. Elle juge que ces sommes « ne sont pas la conséquence directe de l’illégalité de la décision administrative autorisant le licenciement ».

Ce raisonnement repose sur une analyse stricte du lien de causalité. Le préjudice directement imputable à la faute de l’État est celui qui découle de l’annulation de l’autorisation, à savoir la condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En revanche, l’indemnité de préavis est inhérente à la rupture du contrat de travail elle-même, et non à son caractère illégal. La solution est classique mais réaffirme que la responsabilité administrative ne couvre que les conséquences immédiates et certaines de la faute commise, à l’exclusion des préjudices indirects ou simplement connexes.

B. L’admission des frais de justice comme composante du dommage

De manière plus novatrice, la cour admet la réparation de certains frais de procédure exposés par l’employeur. Elle juge d’une part que la somme mise à sa charge au titre de l’article 700 du code de procédure civile devant le conseil de prud’hommes « résulte directement de la faute de l’administration ». D’autre part, elle accepte d’indemniser une partie des honoraires d’avocat engagés par la société pour sa défense, tant devant la juridiction prud’homale qu’administrative, dans la mesure où ces dépenses sont justifiées.

Cette solution est significative car elle reconnaît que les frais engagés pour se défendre dans des contentieux nés de la faute initiale de l’administration constituent une composante à part entière du préjudice indemnisable. En incluant ces dépenses dans l’assiette du dommage, avant d’appliquer le partage de responsabilité, le juge adopte une conception extensive des suites dommageables de l’illégalité fautive. Il en résulte une indemnisation finale calculée sur une base plus large, mais réduite de moitié pour tenir compte de la faute de l’employeur.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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