Cour d’appel administrative de Lyon, le 9 janvier 2025, n°22LY02587

Par un arrêt en date du 9 janvier 2025, une cour administrative d’appel a statué sur la légalité d’autorisations d’urbanisme modificatives délivrées par le maire d’une commune.

En l’espèce, un pétitionnaire avait obtenu un permis de construire, devenu définitif, pour l’extension d’une habitation existante. Postérieurement, deux permis de construire modificatifs lui furent accordés afin d’apporter diverses évolutions au projet initial, notamment le remplacement de toitures en pente par des toitures-terrasses végétalisées et la modification de l’implantation de certains éléments. Un voisin a formé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de ces deux autorisations modificatives.

Le tribunal administratif saisi en première instance a rejeté sa demande. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que le second permis attaqué devait être qualifié de permis nouveau et non de simple modificatif, que les dossiers de demande étaient incomplets et entachés de fraude, et que le projet méconnaissait plusieurs dispositions du plan local d’urbanisme, en particulier quant à la surface de plancher autorisée et à l’aspect extérieur des constructions. Le bénéficiaire des permis concluait au rejet de la requête, arguant de son irrecevabilité et, subsidiairement, du caractère inopérant ou non fondé des moyens soulevés.

Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si des permis de construire modificatifs peuvent être légalement délivrés lorsque les modifications envisagées dérogent en apparence à certaines prescriptions du règlement d’urbanisme et que la conformité des travaux déjà réalisés à l’autorisation initiale est remise en cause.

Par la décision commentée, la cour rejette la requête d’appel. Elle juge que les autorisations contestées constituent bien des permis modificatifs et non des permis nouveaux, dès lors qu’elles n’apportent pas un bouleversement au projet initial. Elle écarte ensuite les moyens tirés de la non-conformité des travaux réalisés, en distinguant nettement la question de la légalité des autorisations de celle de leur exécution. Enfin, elle valide les modifications au regard des règles de fond, en admettant notamment une adaptation des règles sur les toitures au titre de l’architecture bioclimatique et en retenant une interprétation souple de l’obligation de préservation des murs en pierre. La décision clarifie ainsi le régime du permis modificatif et la portée du contrôle exercé par le juge administratif (I), avant de procéder à une appréciation pragmatique de la conformité du projet aux règles d’urbanisme (II).

I. La qualification du permis modificatif, un préalable à la délimitation du contrôle juridictionnel

La cour commence son raisonnement par qualifier la nature des autorisations contestées, condition nécessaire pour définir l’étendue de son contrôle. Elle confirme ainsi le caractère modificatif des permis (A), ce qui la conduit à opérer une distinction stricte entre la légalité de l’acte administratif et la régularité de son exécution matérielle (B).

A. La confirmation du caractère purement modificatif des autorisations contestées

Le requérant soutenait que le second permis attaqué, délivré alors que des travaux avaient déjà eu lieu, devait s’analyser comme un permis de construire nouveau. L’enjeu d’une telle qualification est substantiel, car elle aurait imposé une appréciation globale du projet au regard des règles d’urbanisme en vigueur et aurait rendu le recours recevable contre l’ensemble du projet. La cour écarte cette argumentation en s’appuyant sur une jurisprudence constante. Elle rappelle qu’un permis modificatif peut être délivré « tant que la construction que ce permis autorise n’est pas achevée », à la condition que les changements envisagés n’apportent pas au projet « un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ».

En l’espèce, les juges d’appel estiment que le requérant n’apporte pas la preuve de l’achèvement des travaux à la date de délivrance du second permis modificatif. De plus, ils constatent que les modifications autorisées, qui portent sur l’aspect des toitures, l’implantation de la piscine ou les ouvertures en façade, ne sont pas d’une ampleur suffisante pour constituer un tel bouleversement. Par conséquent, les deux autorisations sont bien des permis modificatifs, dont la légalité ne peut être appréciée qu’au regard des seules modifications qu’elles autorisent, le permis initial étant devenu définitif. Cette qualification classique permet de sécuriser les droits acquis par le pétitionnaire tout en encadrant les évolutions possibles du projet.

B. La distinction rigoureuse entre la légalité de l’autorisation et le contrôle de son exécution

Le requérant invoquait également la non-conformité des travaux réalisés par rapport à l’autorisation initiale, notamment un dépassement de la surface de plancher, pour arguer de l’illégalité des permis modificatifs. La cour rejette fermement cette argumentation en consacrant une séparation nette entre le contentieux de la légalité des autorisations d’urbanisme et le contrôle de leur exécution. Elle énonce que « la circonstance qu’au moment du dépôt des demandes de permis modificatifs (…) des éléments de construction ont été édifiés sans respecter le permis de construire obtenu en 2015, (…) est sans incidence sur la légalité des permis de construire modificatifs délivrés ».

La cour rappelle que l’administration dispose de pouvoirs de contrôle en cours de chantier et après l’achèvement des travaux pour constater et poursuivre les infractions aux règles d’urbanisme. Le fait qu’un procès-verbal d’infraction ait d’ailleurs été dressé postérieurement à la délivrance des permis contestés est jugé sans effet sur leur légalité, celle-ci s’appréciant à la date de leur édiction. Cette solution réaffirme un principe fondamental du droit de l’urbanisme : un permis de construire autorise un projet, mais ne vaut pas certification de sa conformité matérielle lors de sa réalisation. Le contrôle de l’exécution relève d’une autre police administrative et, le cas échéant, de l’autorité judiciaire. Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article N 2 du plan local d’urbanisme relatif à la surface de plancher est ainsi déclaré inopérant.

Une fois la nature des autorisations et le périmètre du contrôle établis, la cour s’est attachée à examiner la conformité du projet aux règles de fond.

II. L’appréciation pragmatique de l’insertion du projet au regard des règles d’urbanisme locales

La seconde partie de l’arrêt est consacrée à l’examen des moyens de légalité interne. La cour y fait preuve d’une approche concrète, en admettant une dérogation justifiée aux règles d’aspect extérieur (A) et en adoptant une vision mesurée de l’obligation de protection d’éléments patrimoniaux (B).

A. L’admission d’une dérogation aux règles sur l’aspect extérieur au nom de l’architecture bioclimatique

Le requérant contestait la création de toitures-terrasses, interdites en principe par le point 11.3 de l’article N 11 du règlement du plan local d’urbanisme. La cour reconnaît que les dérogations générales prévues par le code de l’urbanisme pour les dispositifs favorisant la performance énergétique ou la rétention des eaux pluviales ne sont pas applicables dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable. Cependant, elle ne s’arrête pas à cette première constatation.

Elle fonde sa solution sur une autre disposition du règlement local, le point 11.6 de l’article N 11, qui autorise des adaptations « dans le cas de dispositions architecturales particulières (intégration des systèmes d’énergies renouvelables ou d’architecture bioclimatique), sur justification ». La cour relève que les toitures-terrasses végétalisées ont été conçues en accord avec l’architecte des bâtiments de France, qu’elles améliorent les performances thermiques du bâtiment et assurent une meilleure rétention des eaux pluviales. Elle en conclut que ces toitures « peuvent être autorisées au titre de dispositions architecturales particulières d’architecture bioclimatique ». Cette interprétation téléologique permet de concilier la lettre d’une interdiction de principe avec l’esprit d’une réglementation qui encourage, par ailleurs, les solutions architecturales durables.

B. Une interprétation souple de l’obligation de préservation des éléments patrimoniaux

Enfin, le requérant soutenait que le projet méconnaissait l’obligation de préserver les murets traditionnels de pierres sèches existants, imposée par le plan local d’urbanisme et le cahier des prescriptions du site patrimonial remarquable. Ce dernier interdit « la suppression totale ou même partielle des murs ». Le requérant arguait que certains murs étaient ensevelis ou occultés par les nouvelles constructions.

La cour procède à une analyse factuelle précise de l’impact du projet sur ces éléments. Elle constate, à partir des pièces du dossier, que les constructions sont érigées parallèlement ou au-dessus des murs, « ce qui conduit simplement à les occulter partiellement, sans les détruire ». Elle en déduit logiquement qu' »une occultation ne constituant pas une suppression, aucun des murs n’est supprimé ». Cette distinction sémantique et matérielle entre l’occultation partielle et la suppression permet d’écarter le moyen. L’arrêt illustre ici une approche pragmatique qui, tout en respectant l’objectif de protection du patrimoine, n’impose pas une intangibilité absolue qui pourrait paralyser tout projet d’extension sur des terrains en restanques. La préservation est assurée dès lors que la structure et l’existence même du mur ne sont pas compromises.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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