Par une décision en date du 6 février 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a précisé les contours du contrôle juridictionnel sur les refus de permis de construire opposés dans le périmètre des abords d’un monument historique. En l’espèce, une société civile immobilière avait déposé une demande de permis de construire pour un vaste projet immobilier impliquant la transformation d’une ferme ancienne et la construction de nouveaux bâtiments. Ce projet se situant dans le périmètre de protection des abords de monuments historiques, il fut soumis à l’architecte des Bâtiments de France, qui refusa de donner son accord. L’autorité compétente, se fondant sur cet avis négatif, a par la suite rejeté la demande de permis de construire.
Saisi par la société pétitionnaire, le tribunal administratif de première instance a rejeté l’ensemble de ses conclusions, jugeant irrecevable le recours dirigé contre l’avis de l’architecte des Bâtiments de France et estimant que le maire était en situation de compétence liée. La société a alors interjeté appel de ce jugement, contestant tant la fin de non-recevoir opposée à son action contre l’avis que le bien-fondé du refus de permis. Se posait dès lors à la cour la question de savoir si l’avis de l’architecte des Bâtiments de France, même après le recours administratif obligatoire devant le préfet de région, constitue une décision susceptible d’un recours pour excès de pouvoir distinct de celui formé contre le refus d’autorisation d’urbanisme. De plus, il s’agissait de déterminer si le caractère conforme de cet avis prive le juge de la nécessité d’examiner les autres moyens soulevés à l’encontre du refus de permis.
La cour administrative d’appel a répondu à ces interrogations en confirmant l’analyse des premiers juges. Elle juge que l’avis de l’architecte des Bâtiments de France ne peut être contesté qu’à l’occasion du recours dirigé contre le refus de permis de construire. Elle en déduit logiquement que le caractère contraignant de cet avis place le maire en situation de compétence liée, rendant de ce fait inopérants tous les autres moyens de légalité externe ou interne. La solution réaffirme ainsi le caractère procéduralement protégé de l’avis de l’architecte des Bâtiments de France (I), entraînant par voie de conséquence la neutralisation du contrôle de légalité sur les autres aspects du refus de construire (II).
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I. La sanctuarisation procédurale de l’avis de l’architecte des Bâtiments de France
La cour rappelle avec fermeté que l’avis émis par l’architecte des Bâtiments de France n’est qu’un acte préparatoire, insusceptible de recours direct (A). Cette qualification n’est pas modifiée par l’exercice du recours administratif préalable devant le préfet de région, qui ne fait que se substituer à l’avis initial sans lui conférer le caractère d’une décision attaquable (B).
A. La confirmation du caractère d’acte préparatoire insusceptible de recours
La cour administrative d’appel écarte sans équivoque la possibilité d’un recours contentieux autonome contre l’avis de l’architecte des Bâtiments de France. Elle le fait en s’appuyant sur une jurisprudence constante qui considère que seuls les actes faisant grief peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Or, l’avis de cette autorité, qu’il soit favorable ou défavorable, ne constitue pas la décision finale statuant sur la demande d’autorisation d’urbanisme. Il ne s’agit que d’une étape procédurale, certes décisive, mais qui s’intègre dans le processus décisionnel relevant de la compétence du maire. La décision de la cour souligne ainsi que « la régularité et le bien-fondé de l’avis de l’architecte des Bâtiments de France ou, le cas échéant, de la décision du préfet de région, ne peuvent être contestés qu’à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision de refus du permis de construire ». Cette position orthodoxe garantit la cohérence du contentieux administratif en concentrant le débat sur l’acte qui modifie véritablement l’ordonnancement juridique, à savoir l’arrêté municipal.
B. Le recours préfectoral, une simple substitution sans novation juridique
L’argumentation de la société requérante tentait de tirer parti de la procédure spécifique prévue à l’article R. 424-14 du code de l’urbanisme, qui ouvre un recours administratif obligatoire devant le préfet de région contre l’avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France. Cependant, la cour précise que ce mécanisme n’a pas pour effet de transformer la nature juridique de l’acte. L’avis du préfet se substitue purement et simplement à celui de l’architecte des Bâtiments de France. Il ne s’agit pas d’une nouvelle décision faisant grief, mais de la confirmation ou de l’infirmation de l’avis initial au sein de la même phase préparatoire. La cour le dit clairement : « l’ouverture d’un tel recours administratif […] n’a ni pour objet ni pour effet de permettre l’exercice d’un recours contentieux contre cet avis ». Cette solution, rigoureuse sur le plan procédural, a pour effet de clore définitivement la voie d’une contestation directe et prématurée, obligeant le pétitionnaire à attendre la décision finale de l’autorité compétente pour engager un contentieux.
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II. La consécration de la compétence liée comme effet de la protection patrimoniale
Le caractère contraignant de l’avis émis au titre de la protection des monuments historiques a pour conséquence directe de lier la compétence du maire (A). Il en résulte une conséquence contentieuse majeure, à savoir l’inopérance de l’ensemble des autres moyens soulevés par le requérant (B).
A. La force obligatoire de l’avis négatif sur l’autorité d’urbanisme
La décision commentée est une illustration claire du mécanisme de la compétence liée en droit de l’urbanisme. Dès lors que l’architecte des Bâtiments de France, ou le préfet de région après recours, a émis un avis défavorable, l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire perd toute marge d’appréciation. En vertu de l’article L. 621-32 du code du patrimoine, l’accord est un prérequis indispensable. La cour le rappelle en des termes dénués d’ambiguïté au point 9 : « en l’absence d’accord de l’architecte des Bâtiments de France sur le projet envisagé, le maire […] se trouvait en situation de compétence liée pour refuser le permis de construire sollicité ». Cette automaticité traduit la prééminence des considérations de protection du patrimoine sur les autres règles d’urbanisme. Le maire n’est plus alors qu’une simple courroie de transmission de l’avis de l’autorité de l’État, garantissant ainsi une protection uniforme et rigoureuse des abords des monuments historiques.
B. L’inopérance induite des autres moyens de légalité
La conséquence logique de la compétence liée est la neutralisation des autres arguments juridiques. La société requérante avait développé un argumentaire détaillé pour démontrer que son projet respectait le plan local d’urbanisme, s’intégrait harmonieusement dans son environnement et ne présentait pas les défauts d’appréciation que lui reprochaient les autorités. La cour écarte l’ensemble de ces moyens en les qualifiant d’inopérants, confirmant la démarche du tribunal administratif. Un moyen est inopérant lorsqu’il ne peut, même s’il était fondé, conduire à l’annulation de la décision attaquée. En l’espèce, puisque le maire était légalement tenu de refuser le permis en raison du seul avis négatif de l’autorité chargée du patrimoine, le bien-fondé des autres motifs de son arrêté ou les qualités intrinsèques du projet devenaient indifférents à la solution du litige. Cette application stricte du principe de l’inopérance des moyens témoigne d’une volonté de pragmatisme et d’économie procédurale, le juge se refusant à examiner des arguments qui ne pourraient avoir aucune influence sur l’issue du procès.