Cour d’appel administrative de Lyon, le 30 avril 2025, n°23LY01369

Une société de droit suisse, réalisant et éditant des magazines d’annonces immobilières, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité qui a révélé l’existence d’une activité non déclarée en France. L’administration fiscale a considéré que la société disposait d’un établissement stable sur le territoire français, notamment au domicile de son dirigeant principal, et l’a en conséquence assujettie à divers impôts français, assortis d’une majoration de 80 % pour activité occulte. La société a contesté ces redressements, arguant de l’absence d’un tel établissement en France.

Saisie du litige, la société a demandé au tribunal administratif de Grenoble la décharge des impositions. Par un jugement du 24 février 2023, le tribunal a rejeté sa demande. La société a alors interjeté appel de cette décision, maintenant que les critères de l’établissement stable n’étaient pas réunis, que la retenue à la source était infondée et que les pénalités pour activité occulte devaient être écartées en raison de sa bonne foi. La question se posait donc de savoir si une société étrangère, dont l’activité est en réalité majoritairement pilotée depuis le domicile français de son dirigeant, peut être regardée comme y disposant d’une installation fixe d’affaires constitutive d’un établissement stable.

Par un arrêt du 30 avril 2025, la cour administrative d’appel de Lyon répond par l’affirmative, en se fondant sur un faisceau d’indices concordants. Elle juge que « les éléments réunis par l’administration fiscale caractérisant l’existence d’une activité exploitée en France depuis 2010 », les bénéfices qui en sont tirés sont imposables en France. Cette décision confirme une approche pragmatique de la notion d’établissement stable, où la réalité économique l’emporte sur l’apparence juridique (I), et valide par voie de conséquence l’application de mesures fiscales rigoureuses en cas de dissimulation (II).

I. La consécration d’une conception matérielle de l’établissement stable

La cour administrative d’appel retient une définition de l’établissement stable qui privilégie la substance de l’activité économique sur les arrangements formels. Elle s’appuie pour cela sur une analyse factuelle détaillée des conditions d’exercice de l’activité (A), ce qui la conduit à considérer le domicile du dirigeant comme une véritable installation d’affaires de la société (B).

A. La prééminence des conditions réelles d’exploitation sur le siège statutaire

La cour analyse avec soin les éléments matériels qui démontrent que le centre névralgique de l’entreprise se situait en France, et non à son siège social en Suisse. L’instruction a révélé que l’activité était effectivement gérée depuis le domicile du dirigeant, où ont été saisis des documents essentiels tels que « la totalité des factures d’achats et de ventes, des relevés des comptes bancaires de la société, des documents relatifs aux honoraires et aux salaires ». La présence d’une infrastructure opérationnelle en France, incluant un compte bancaire, des moyens de communication et la résidence de la quasi-totalité du personnel, dont le directeur de la publication, a achevé de convaincre le juge.

En outre, la cour relève la part écrasante de l’activité réalisée avec une clientèle française, le chiffre d’affaires correspondant passant de 77,54 % à 97,94 % sur la période vérifiée. Face à ce faisceau d’indices, les arguments de la société requérante, relatifs à l’existence de locaux à Genève ou à la sous-traitance de certaines tâches, sont jugés insuffisants pour contredire la réalité d’une activité permanente et structurée en France. Cette démarche illustre une application classique du principe de réalité, essentiel en droit fiscal pour déjouer les montages qui visent à localiser artificiellement les profits dans un État à fiscalité plus clémente.

B. L’assimilation du domicile du dirigeant à une installation fixe d’affaires

La notion d’établissement stable, au sens de l’article 5 de la convention franco-suisse comme du droit interne, suppose l’existence d’une « installation fixe d’affaires où l’entreprise exerce tout ou partie de son activité ». La cour considère que le domicile du dirigeant, compte tenu de son utilisation systématique et centrale pour la conduite des affaires, remplit cette condition. Il ne s’agit pas d’une simple adresse postale, mais du lieu où les décisions stratégiques et la gestion quotidienne sont effectivement opérées, ce qui lui confère la permanence et la fonctionnalité requises.

En jugeant que la société « doit être regardée comme disposant en France d’une installation fixe d’affaires », la cour confirme une jurisprudence constante qui permet de qualifier un lieu privé de local professionnel dès lors qu’il est mis de manière continue à la disposition de l’entreprise pour les besoins de son exploitation. Cette solution pragmatique est indispensable à l’efficacité de l’impôt, car elle empêche une entreprise de se prévaloir de l’absence de locaux commerciaux dédiés pour échapper à ses obligations fiscales dans le pays où elle génère pourtant l’essentiel de sa valeur. Une fois l’existence de l’établissement stable ainsi caractérisée, la cour en tire logiquement des conséquences sévères quant aux manquements déclaratifs de la société.

II. Les lourdes conséquences fiscales de la dissimulation de l’établissement

La reconnaissance d’un établissement stable non déclaré ouvre la voie à l’application d’un régime fiscal particulièrement rigoureux. La cour valide ainsi l’extension du délai de reprise de l’administration, fondée sur la qualification d’activité occulte (A), et confirme le bien-fondé des pénalités maximales et de la retenue à la source qui en découlent (B).

A. La qualification d’activité occulte justifiant l’extension du délai de reprise

En application de l’article L. 169 du livre des procédures fiscales, l’administration fiscale peut exercer son droit de reprise pendant une durée de dix ans en cas d’activité occulte. Cette dernière est constituée lorsque le contribuable n’a pas déposé ses déclarations et ne s’est pas fait connaître d’un centre de formalités des entreprises. La société soutenait avoir commis une erreur de bonne foi, estimant n’être imposable qu’en Suisse. La cour écarte cet argument sans ménagement.

Elle juge en effet que la société « n’établit pas avoir commis une erreur justifiant qu’elle ne se soit acquittée d’aucune de ses obligations déclaratives en France ». La reconnaissance de l’erreur est ici appréciée de manière stricte, au regard des circonstances concrètes de l’espèce. Le fait que l’activité ait été pilotée depuis le domicile personnel du dirigeant et que des moyens matériels en France aient été portés à la connaissance de la clientèle est une « circonstance faisant, en tout état de cause, obstacle à la reconnaissance, en l’espèce, d’une erreur de bonne foi ». La cour refuse de considérer comme une simple erreur ce qui s’apparente à une organisation délibérément opaque, privant ainsi la société du bénéfice d’un délai de prescription plus court.

B. La validation des pénalités pour manquement délibéré et de la retenue à la source

La qualification d’activité occulte entraîne, en vertu de l’article 1728 du code général des impôts, l’application d’une majoration de 80 % sur les droits éludés. Pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit à écarter la bonne foi pour le délai de reprise, la cour juge que la société ne peut échapper à cette sanction. La pénalité n’est pas une simple punition, mais la conséquence directe et logique de la gravité du manquement, qui consiste à exercer une activité économique significative sans se soumettre aux obligations fiscales correspondantes.

De surcroît, la cour confirme le bien-fondé de la retenue à la source appliquée sur les bénéfices réalisés en France, en vertu de la présomption de distribution posée par l’article 115 quinquies du code général des impôts. Elle rappelle utilement que « l’absence de distribution des bénéfices ne fait pas obstacle à ce que l’administration puisse asseoir la retenue à la source sur le rehaussement de la base imposable du bénéfice réalisé ». Cette présomption légale est une arme efficace contre les stratégies d’optimisation, et la cour réaffirme ici sa pleine applicabilité dès lors qu’un bénéfice est réalisé en France par un établissement stable étranger, indépendamment des flux financiers effectifs vers les associés.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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