Cour d’appel administrative de Lyon, le 20 janvier 2025, n°23LY01040

Par un arrêt en date du 20 janvier 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un permis de construire accordé par un maire pour un projet immobilier d’envergure. Saisie par le promoteur d’un projet annulé en première instance, la cour a examiné les conditions dans lesquelles la desserte d’une opération de construction doit être appréciée par l’autorité compétente.

En l’espèce, une société de promotion immobilière avait obtenu un permis de construire pour un ensemble de deux chalets comprenant dix-sept logements sur le territoire d’une commune de montagne. Une société civile immobilière, propriétaire d’une parcelle voisine, a saisi le tribunal administratif en vue d’obtenir l’annulation de cette autorisation. Par un jugement du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à sa demande, annulant le permis de construire au motif principal que la voie de desserte du projet était insuffisante. La société pétitionnaire a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que les premiers juges avaient commis une erreur d’appréciation en ne tenant pas compte des travaux d’élargissement prévus pour cette voie.

Le problème de droit soumis à la cour consistait à déterminer si, pour apprécier la suffisance de la desserte d’un projet, l’autorité administrative et le juge peuvent se fonder sur des travaux d’amélioration d’une voie publique qui ne font l’objet d’aucun engagement formel de la part de la collectivité propriétaire.

La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant l’annulation du permis de construire. Elle juge que des travaux futurs d’élargissement d’une voie ne peuvent être pris en considération pour apprécier la conformité du projet aux règles d’urbanisme que si leur réalisation est « certaine dans son principe comme dans son échéance de réalisation ». Or, en l’absence de toute délibération ou décision de la commune propriétaire de la voie manifestant sa volonté de réaliser lesdits travaux, cette condition de certitude n’était pas remplie.

Cette décision, tout en appliquant une jurisprudence établie, en précise les contours s’agissant des conditions de desserte des projets de construction (I), avant de souligner les conséquences radicales d’un tel vice sur la validité de l’autorisation d’urbanisme (II).

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I. La consolidation du contrôle de la certitude de la desserte

La cour administrative d’appel confirme l’approche rigoureuse que le juge administratif adopte pour vérifier la conformité des accès d’un projet aux règles d’urbanisme. Elle rappelle d’abord le principe jurisprudentiel exigeant une réalisation certaine des travaux futurs nécessaires à la desserte (A), avant d’en faire une application stricte au cas d’espèce (B).

A. Le rappel de l’exigence d’une desserte future certaine

La solution de la cour s’inscrit dans le cadre des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, qui permettent de refuser un projet portant atteinte à la sécurité publique, et des règlements locaux d’urbanisme qui imposent une desserte adaptée à l’opération. Pour apprécier le respect de ces règles, la jurisprudence admet que l’administration tienne compte non seulement de l’état existant de la voie, mais également des aménagements futurs. Toutefois, cette prise en compte est subordonnée à une condition stricte, que l’arrêt prend soin de rappeler : ces travaux doivent être certains.

La cour énonce ainsi que « la conformité d’un immeuble aux prescriptions d’un plan local d’urbanisme relatives aux voies d’accès s’apprécie non par rapport à l’état initial de la voie mais en tenant compte des prévisions inscrites dans le plan local d’urbanisme à l’égard de celle-ci et des circonstances de droit et de fait déterminantes pour leur réalisation qui doit être certaine dans son principe comme dans son échéance de réalisation ». Cette formule, classique, signifie que de simples intentions ou des projets hypothétiques ne sauraient suffire à rendre un projet conforme. La certitude doit être établie tant sur la décision de réaliser les travaux que sur le calendrier de leur exécution.

B. L’appréciation concrète du défaut de certitude

En l’espèce, le projet était desservi par un chemin rural jugé trop étroit pour absorber le trafic généré par dix-sept nouveaux logements. Pour pallier cette insuffisance, le dossier de demande de permis de construire prévoyait un élargissement de la voie. Le permis de construire lui-même avait été délivré sous la condition de cet élargissement. Néanmoins, la cour relève que cette mention est dépourvue de force juridique suffisante.

Le chemin étant une propriété communale, sa modification relevait de la seule compétence de la commune. La cour constate qu’« il n’est pas allégué que le plan local d’urbanisme de la commune comporterait des prévisions particulières quant à l’élargissement du …, chemin rural propriété de la commune ». Plus encore, elle souligne qu’« ne figure au dossier aucune délibération du conseil municipal, ni aucune décision engageant la commune ou manifestant la volonté des autorités la représentant, relatives à un projet d’élargissement ». La seule mention des travaux dans le dossier du pétitionnaire, même reprise dans l’arrêté, ne pouvait donc établir le caractère certain de leur réalisation. Faute d’un acte formel de la collectivité compétente, le projet restait entaché d’un vice substantiel.

II. La portée du vice lié à l’incertitude de la desserte

Après avoir caractérisé l’illégalité, la cour en tire les conséquences logiques quant à la validité de l’acte. Elle confirme une position pragmatique concernant l’intérêt à agir du voisin immédiat (A), mais se montre inflexible sur le caractère non régularisable du vice de desserte (B).

A. Une appréciation souple de l’intérêt à agir du voisin

Avant d’examiner le fond du litige, la cour écarte la fin de non-recevoir soulevée par la société pétitionnaire, qui contestait l’intérêt à agir de la société voisine. L’arrêt applique ici avec pragmatisme la jurisprudence relative à l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme. En sa qualité de « voisin immédiat », la société requérante avait simplement à faire état d’éléments « relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction » pour justifier de son intérêt.

La cour estime que les allégations relatives à l’impact sur la vue, la circulation et la stabilité des terres, étayées par des photographies et des plans, étaient suffisantes pour caractériser une atteinte directe aux conditions de jouissance de son bien. Cette approche confirme que le juge n’exige pas une preuve certaine de l’atteinte au stade de la recevabilité, adoptant une posture différente de celle, très stricte, retenue pour l’appréciation de la certitude des travaux de desserte. La valeur de la décision réside ainsi dans ce contraste entre la souplesse accordée au requérant pour l’accès au prétoire et la rigueur du contrôle exercé sur le fond du droit.

B. Le constat d’un vice non régularisable justifiant l’annulation totale

Le point le plus notable de la décision réside dans ses conséquences pratiques. Alors que le juge administratif dispose, avec les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, d’outils permettant de sauver un permis entaché de vices régularisables, il choisit ici de ne pas en faire usage. La cour estime en effet que le vice tiré de l’insuffisance de la desserte « fait obstacle à la réalisation du projet dans son ensemble ».

Elle justifie cette position en soulignant qu’« il ne résulte pas de l’instruction que le projet puisse être régularisé, en l’absence d’intention exprimée par la commune, en première instance ou en appel, de réaliser les travaux d’élargissement du chemin d’accès au projet ». L’illégalité ne tenait pas à un simple défaut du dossier de demande, mais à une circonstance de fait et de droit extérieure au pétitionnaire et sur laquelle il n’avait aucune maîtrise. Dès lors, aucune mesure de régularisation par un simple permis modificatif n’était envisageable. Ce vice, jugé dirimant, justifiait à lui seul l’annulation totale de l’autorisation de construire, scellant ainsi, du moins en l’état, le sort du projet.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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