Par un arrêt en date du 20 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a eu à se prononcer sur la légalité d’un refus de permis de construire fondé sur des dispositions d’un plan local d’urbanisme (PLU) interdisant presque toute nouvelle construction au sein d’une zone urbaine. En l’espèce, un pétitionnaire s’est vu opposer un refus par le maire d’une commune pour la construction d’une maison individuelle, au motif que son terrain était situé dans un secteur du PLU où les constructions nouvelles étaient prohibées. Le pétitionnaire a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une demande d’annulation de cette décision. Par un jugement du 17 octobre 2022, le tribunal a fait droit à sa demande, annulant le refus de permis après avoir jugé illégales, par la voie de l’exception, les dispositions du règlement du PLU servant de fondement à la décision. Le tribunal a estimé qu’une interdiction générale de construire en zone urbaine ne pouvait être légalement édictée sans être justifiée par un motif prévu par la loi. La commune a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la restriction était justifiée par les objectifs de son projet d’aménagement et de développement durables (PADD), visant notamment à contenir l’étalement urbain. Le pétitionnaire, intimé, a maintenu que la règle était illégale et, subsidiairement, que le classement de sa parcelle était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si une commune peut légalement interdire la quasi-totalité des constructions nouvelles au sein d’un secteur d’une zone urbaine, et dans quelle mesure une telle interdiction est justifiée par les objectifs définis dans le projet d’aménagement et de développement durables. La Cour administrative d’appel de Lyon a répondu par l’affirmative, considérant que la légalité d’une telle interdiction doit s’apprécier au regard du parti d’urbanisme défini par le PADD. En l’occurrence, les objectifs de maîtrise de l’urbanisation et de lutte contre la consommation d’espace justifiaient la règle restrictive. La Cour a par conséquent annulé le jugement du tribunal administratif et rejeté la demande du pétitionnaire.
Cette décision vient clarifier la marge de manœuvre dont disposent les autorités locales pour limiter le droit de construire en zone urbaine, en articulant les règles du PLU avec ses orientations stratégiques. Ainsi, la Cour consacre la légalité d’une interdiction de construire en zone urbaine dès lors qu’elle est justifiée par le projet d’aménagement et de développement durables (I), tout en confirmant le caractère limité du contrôle du juge sur les choix de classement opérés par la commune (II).
I. La justification de l’inconstructibilité en zone urbaine par le projet d’aménagement et de développement durables
La Cour administrative d’appel de Lyon, pour valider l’interdiction de construire, rappelle d’abord la prééminence du PADD dans l’architecture du plan local d’urbanisme (A), avant de procéder à une appréciation concrète de la cohérence entre ce projet et la restriction contestée (B).
A. La primauté affirmée du PADD sur le règlement du PLU
L’arrêt énonce avec clarté le principe directeur de son raisonnement en jugeant que « la légalité des prescriptions d’un plan local d’urbanisme ayant pour effet d’interdire en zone urbaine la plupart des constructions nouvelles s’apprécie au regard du parti d’urbanisme retenu, défini notamment par les orientations générales et par les objectifs du projet d’aménagement et de développement durables ». Ce faisant, la Cour ne fait que tirer les conséquences de la structure même du PLU, dans laquelle le PADD constitue le document politique qui expose les objectifs et les orientations de la commune. Le règlement, quant à lui, est l’outil juridique qui met en œuvre ces orientations par des règles prescriptives. Cette hiérarchie interne impose une relation de cohérence entre le règlement et le PADD, conformément aux articles L. 151-8 et L. 151-9 du code de l’urbanisme.
En adoptant cette approche, la Cour s’écarte de la vision du premier juge qui semblait postuler qu’une zone classée « U » aurait par nature vocation à être construite. La juridiction d’appel rappelle implicitement que si les zones U regroupent les « secteurs déjà urbanisés » et les secteurs suffisamment équipés pour l’être, cette qualification n’emporte pas automatiquement un droit inconditionnel à densifier. La constructibilité demeure encadrée par le règlement, lequel doit lui-même traduire un projet politique. La décision met ainsi en lumière que l’appréciation de la légalité d’une règle d’urbanisme ne peut se faire de manière abstraite, mais doit au contraire être contextualisée au regard du projet territorial porté par l’autorité compétente.
B. La caractérisation d’une restriction cohérente et proportionnée
L’apport de la décision réside ensuite dans l’application concrète de ce principe. La Cour ne se contente pas d’affirmer la primauté du PADD, elle en vérifie méticuleusement le contenu. Elle relève que le PADD de la commune a pour orientation de « contenir le développement dans les hameaux et groupements de constructions périphériques » et de « réduire la consommation de l’espace agricole ». L’analyse se porte ensuite sur le secteur UHhl, qui correspond précisément à ces « autres hameaux et groupements de constructions », décrits comme des secteurs de taille limitée, situés en marge des enveloppes urbaines principales et séparés par des zones agricoles ou naturelles. La Cour en déduit que l’interdiction de construire de nouvelles habitations dans ce secteur spécifique est un outil directement au service du parti d’urbanisme.
De plus, la juridiction prend soin de noter que l’interdiction n’est pas absolue, puisque l’article UH 1.2 du règlement autorise certaines constructions sous conditions, telles que des annexes. Cette nuance permet de conclure que la règle n’est pas entachée de disproportion. Par cette analyse fine, la Cour légitime une politique de densification différenciée au sein même de la zone urbaine, où certains secteurs peuvent être volontairement « gelés » pour préserver des équilibres paysagers ou limiter l’étalement, conformément aux objectifs nationaux de modération de la consommation de l’espace.
II. La confirmation de l’ampleur de la discrétion communale dans les choix de classement
Au-delà de la justification de la règle générale, la Cour se prononce sur le classement spécifique de la parcelle du requérant, ce qui la conduit à rejeter l’existence d’une lecture simpliste de la notion de zone urbaine (A) et à réaffirmer le caractère restreint du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation (B).
A. Le rejet d’une conception univoque de la zone urbaine
Le raisonnement tenu par le tribunal administratif en première instance reposait sur une conception selon laquelle une zone urbaine est par principe constructible. En censurant ce jugement, la Cour administrative d’appel s’oppose à une telle automaticité. Elle valide le fait pour une commune de distinguer, au sein de sa zone U, plusieurs types de secteurs avec des régimes de constructibilité très différents, allant d’une densification encouragée (secteur UHc du chef-lieu) à une quasi-inconstructibilité (secteur UHhl des hameaux périphériques). Cette approche pragmatique reconnaît que les tissus urbains ne sont pas homogènes et que les outils de planification doivent pouvoir s’y adapter avec finesse.
Cette décision a une portée significative pour les communes engagées dans des politiques de « zéro artificialisation nette » (ZAN). Elle leur confirme la possibilité d’utiliser le zonage du PLU non seulement pour ouvrir des terrains à l’urbanisation, mais aussi pour y mettre un frein, y compris dans des secteurs déjà équipés, lorsque cela sert un projet de territoire cohérent. L’arrêt légitime ainsi le PLU comme un instrument de gestion économe de l’espace, capable de figer des situations existantes pour préserver des continuités écologiques ou des paysages, même en milieu urbanisé.
B. La réaffirmation du contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation
Enfin, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, la Cour examine le moyen subsidiaire du requérant tiré de l’erreur manifeste d’appréciation dont serait entaché le classement de sa parcelle. Pour l’écarter, elle procède à un examen factuel précis de la situation du terrain. Elle constate qu’il est situé dans un groupement de constructions distant du centre-bourg, séparé du hameau le plus proche par une zone agricole et une « coupure verte paysagère à conserver » identifiée dans le PADD. Ces éléments factuels permettent à la Cour de juger que le classement en secteur UHhl n’est pas manifestement erroné.
La juridiction précise que la seule desserte du terrain par les réseaux publics, si elle est une condition du classement en zone U, n’est pas une circonstance suffisante pour imposer sa constructibilité au regard du parti d’aménagement. En agissant ainsi, la Cour réitère une jurisprudence constante selon laquelle le juge administratif n’exerce qu’un contrôle restreint sur l’opportunité des choix de classement opérés par les auteurs d’un PLU. Le juge ne substitue pas son appréciation à celle de l’administration, sauf si le choix de cette dernière apparaît objectivement et manifestement incohérent ou inadapté. Le pouvoir discrétionnaire de la commune en matière de planification urbanistique est ainsi préservé.