Un contribuable ayant fait l’objet de plusieurs propositions de rectification fiscale de la part de l’administration, celle-ci, avant même l’émission de tout avis de mise en recouvrement, a sollicité et obtenu du juge de l’exécution l’autorisation de pratiquer des mesures conservatoires sur ses biens situés en France. Parallèlement, l’administration fiscale a adressé à son homologue hongroise une demande de prise de mesures conservatoires sur les avoirs que le redevable détenait dans cet État membre. Le contribuable a alors saisi le tribunal administratif d’Amiens d’une demande tendant à l’annulation de cette demande d’assistance internationale et à la mainlevée des saisies subséquentes. Par une ordonnance du 29 janvier 2024, le juge de première instance a rejeté la demande comme manifestement irrecevable, au motif que l’acte contesté n’était pas détachable de la procédure de recouvrement. Saisie en appel par le contribuable, la cour administrative d’appel a, après avoir soulevé d’office un moyen d’ordre public, annulé l’ordonnance attaquée et rejeté la demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Le litige soulevé devant les juges du fond posait ainsi la question de savoir si le juge administratif est compétent pour statuer sur la contestation d’une demande de prise de mesures conservatoires adressée à un autre État membre, lorsque cette demande intervient avant toute mise en recouvrement de l’imposition. La cour administrative d’appel répond par la négative, considérant qu’un tel litige, en l’absence de créance fiscale établie, ne porte pas sur l’obligation au paiement ou l’exigibilité de l’impôt mais relève des seules modalités de poursuite, dont le contentieux ressortit à la compétence du juge judiciaire.
La solution retenue par la cour, si elle aboutit à la même issue procédurale qu’en première instance, s’appuie sur une motivation substantiellement différente qui réaffirme une clé de répartition des compétences bien établie en droit du recouvrement fiscal. Ainsi, la décision applique sans la dénaturer la distinction classique des contentieux du recouvrement dans le cadre nouveau de l’assistance mutuelle européenne (I), consacrant par là même la compétence de principe du juge judiciaire pour l’ensemble des mesures antérieures à l’établissement de la créance d’impôt (II).
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I. L’application orthodoxe des règles de compétence au contentieux de l’assistance mutuelle
La cour administrative d’appel, pour décliner la compétence de la juridiction administrative, se fonde sur une application rigoureuse des critères de distinction du contentieux fiscal, qu’elle estime non modifiés par les dispositions relatives à la coopération européenne.
A. Le rappel de la distinction classique du contentieux du recouvrement
L’arrêt s’articule autour du principe posé par l’article L. 281 du livre des procédures fiscales, qui organise la répartition des compétences entre le juge de l’impôt et le juge de l’exécution. La cour rappelle que les contestations relatives au recouvrement qui portent sur « l’obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l’exigibilité de la somme réclamée » relèvent de la compétence du juge de l’impôt, en l’occurrence le juge administratif. En revanche, le contentieux portant sur la régularité formelle des actes de poursuite ou la saisissabilité des biens appartient au juge judiciaire, et plus précisément au juge de l’exécution. En l’espèce, la cour constate que l’acte contesté, soit la demande de mesures conservatoires, a été émis « alors que la créance fiscale en cause n’avait pas encore été mise en recouvrement ». Ce faisant, elle en déduit logiquement que le litige ne pouvait porter sur l’exigibilité d’une créance inexistante ou sur l’obligation de la payer. La contestation du requérant ne pouvait donc que concerner la validité des modalités de la poursuite engagée par l’administration fiscale, ce qui la place en dehors du champ de compétence du juge administratif.
B. L’indifférence du cadre européen sur la répartition des compétences internes
Le requérant aurait pu espérer que le caractère international de la mesure, fondée sur la directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 et sa transposition aux articles L. 283 A et suivants du livre des procédures fiscales, puisse créer un régime contentieux autonome dérogeant au droit commun. La cour écarte fermement cette analyse en précisant que ces dispositions « ne dérogent pas à la répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire résultant des textes et des principes rappelés ci-dessus ». L’arrêt établit ainsi que le mécanisme d’assistance mutuelle n’est qu’un instrument de coopération destiné à rendre efficaces les prérogatives des administrations fiscales au-delà de leurs frontières, sans pour autant modifier l’ordre juridictionnel national compétent pour en contrôler la mise en œuvre. La nature de l’acte et le stade de la procédure demeurent les seuls critères pertinents, que les mesures soient mises en œuvre sur le territoire national ou sollicitées dans un autre État membre.
Par cette clarification, la cour administrative d’appel ne se contente pas de régler une question de compétence ; elle vient renforcer la position du juge judiciaire comme gardien des libertés face aux mesures de contrainte prises en amont de toute imposition formelle.
II. La consécration de la compétence exclusive du juge judiciaire pour les mesures pré-recouvrement
En jugeant que le litige relevait de l’ordre judiciaire, la cour tire toutes les conséquences de l’absence d’un titre exécutoire et assure une cohérence dans le contrôle des mesures conservatoires.
A. L’absence de créance mise en recouvrement comme critère dirimant
La motivation de la cour repose entièrement sur le moment de l’intervention de l’acte contesté. Elle souligne à plusieurs reprises que la demande a été faite avant toute mise en recouvrement. Ce critère temporel est décisif car il détermine la nature même du litige. Comme le formule l’arrêt, « le litige né de l’action de M. B… concerne les seules modalités des poursuites que l’administration a entendu mettre en œuvre, à titre conservatoire, en raison de circonstances qu’elle a estimé éventuellement susceptibles de menacer un recouvrement ultérieur de sa créance ». Il ne s’agit pas de contester une dette fiscale, mais de s’opposer à une mesure de garantie prise sur la base d’une créance future et simplement potentielle. Dans une telle situation, la contestation se rapproche d’une action contre une voie d’exécution, domaine dans lequel le juge judiciaire est le juge naturel, notamment en sa qualité de protecteur du droit de propriété et des libertés individuelles face à des mesures potentiellement attentatoires.
B. La garantie d’un contrôle juridictionnel unifié des mesures conservatoires
La solution adoptée présente une portée pratique considérable en termes de cohérence procédurale. Il ressort des faits de l’espèce que l’administration avait déjà saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Versailles pour obtenir l’autorisation de prendre des mesures conservatoires sur les biens français du requérant. Il aurait été paradoxal, voire source d’insécurité juridique, que le contrôle des mesures de même nature, simplement sollicitées à l’étranger, relève d’un ordre de juridiction différent. En centralisant le contentieux des mesures conservatoires avant recouvrement entre les mains du seul juge judiciaire, la cour assure une unité de contrôle et d’appréciation. Le juge judiciaire est ainsi compétent pour examiner la proportionnalité et la régularité de l’ensemble des garanties prises pour une même créance potentielle, que les biens soient situés en France ou dans un autre État de l’Union. Cette solution offre au contribuable un interlocuteur unique pour l’ensemble des contestations de cette nature, renforçant la lisibilité et l’efficacité de la protection juridictionnelle.