Par un arrêt en date du 5 juin 2025, la Cour administrative d’appel de Douai a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus d’autorisation environnementale pour un projet de parc éolien. En l’espèce, une société avait sollicité l’autorisation de construire et d’exploiter quatre aérogénérateurs et deux postes de livraison. Le préfet compétent a rejeté cette demande par un arrêté, motivant sa décision par une double atteinte, d’une part à la commodité du voisinage pour les habitants de deux hameaux proches, et d’autre part aux paysages environnants. La société exploitante a alors saisi la juridiction administrative d’un recours de plein contentieux, contestant l’appréciation des faits par l’autorité préfectorale sur ces deux points. Il appartenait donc au juge administratif de déterminer si les nuisances visuelles alléguées, qu’il s’agisse de l’impact sur les habitations riveraines ou sur un site paysager de grande valeur, étaient d’une nature et d’une intensité suffisantes pour justifier légalement un refus d’autorisation. La Cour administrative d’appel, après avoir écarté l’un des motifs liés à l’incommodité du voisinage, a néanmoins validé le refus du préfet, considérant que l’atteinte portée à un hameau et aux paysages était avérée et suffisante. Cette décision, qui illustre le contrôle concret et différencié opéré par le juge sur les inconvénients générés par les projets éoliens (I), confirme la prévalence de la protection des paysages remarquables dans la mise en balance des intérêts (II).
I. Un contrôle différencié de l’atteinte à la commodité du voisinage
La Cour procède à une analyse détaillée et distincte des nuisances subies par chaque groupe d’habitations, ce qui la conduit à censurer une partie de l’appréciation de l’administration (A) tout en validant l’autre (B).
A. La sanction d’une appréciation erronée de l’impact sur un hameau éloigné
Le juge administratif exerce un contrôle approfondi sur les motifs avancés par l’autorité préfectorale. Concernant le premier hameau, la Cour relève que les motifs du refus ne sont pas matériellement établis. Elle observe que « seule l’éolienne E2 sera visible depuis ce hameau, les trois autres aérogénérateurs étant dissimulés derrière un écran végétal ». En se fondant sur les pièces du dossier, et notamment les photomontages, le juge constate l’absence d’un « surplomb significatif » et prend en compte les mesures compensatoires proposées, comme la plantation d’arbres. Cette analyse factuelle précise le conduit à conclure que l’étude d’impact, qui qualifiait les effets stroboscopiques de « négligeables », était pertinente. En conséquence, la Cour juge que « le préfet de l’Aisne n’était pas fondé à refuser l’installation des éoliennes E2 et E3 en litige au motif de l’atteinte qu’elles porteraient à la commodité des habitants du hameau de Taffournay ». Cette infirmation partielle du raisonnement préfectoral démontre que le juge ne se contente pas d’une motivation générale et abstraite, mais exige une démonstration concrète et circonstanciée de la réalité et de l’intensité des nuisances pour chaque lieu affecté.
B. La confirmation d’une atteinte avérée à la proximité immédiate des habitations
À l’inverse, l’appréciation du préfet est jugée fondée pour le second hameau. La Cour s’appuie sur des éléments factuels incontestables pour valider le motif de refus. Elle retient la très faible distance des éoliennes, implantées « à seulement respectivement 545 et 565 mètres du hameau », leur hauteur « très importante » de près de 180 mètres et la covisibilité totale en l’absence « du moindre écran végétal ». Le juge souligne avec force que les aérogénérateurs sont implantés « à une altitude supérieure à celle du hameau de La Nouette, ce qui contribue à un effet de surplomb particulièrement significatif pour ses habitants ». Il écarte par ailleurs l’efficacité des mesures d’accompagnement proposées, estimant qu’une haie bocagère ne pourrait « réduire significativement le phénomène de surplomb ». Dès lors, même si les autres nuisances potentielles sont qualifiées de « très faibles », l’atteinte visuelle par son ampleur et sa prégnance suffit à caractériser une atteinte à la commodité du voisinage au sens de l’article L. 511-1 du code de l’environnement. La Cour confirme ainsi que le préfet a pu « à raison refuser l’installation » d’une partie du parc sur ce fondement.
II. Une protection renforcée des paysages à haute valeur patrimoniale
Au-delà de la question du voisinage, l’arrêt accorde une importance décisive à la qualité intrinsèque des paysages (A), ce qui justifie une exigence probatoire accrue à la charge du pétitionnaire et scelle l’issue du litige (B).
A. La prise en compte déterminante de l’intérêt paysager exceptionnel
Le second motif de refus, tiré de l’atteinte aux paysages, est intégralement validé par la Cour. Le juge souligne la singularité du site d’implantation, lequel se situe dans la zone d’engagement d’un bien inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, les « Coteaux, maisons et caves de Champagne ». La décision précise que « le préfet de l’Aisne a pu en tenir compte en ce qu’ils traduisent l’intérêt paysager tout particulier des côteaux et villages viticoles de la vallée de la Marne ». Même si les documents de planification comme la charte éolienne ou le plan paysage sont dépourvus de valeur réglementaire, leur prise en compte est jugée pertinente pour établir la sensibilité du site. Le juge s’approprie ainsi l’avis de la mission régionale d’autorité environnementale, qui avait insisté sur la proximité du premier vignoble de Champagne, distant de « seulement 1,3 kilomètre des éoliennes projetées ». En concluant que la société requérante n’est « pas fondée à soutenir que le paysage d’implantation de son projet serait dépourvu de qualité », la Cour érige la valeur patrimoniale et la notoriété d’un paysage en critère majeur d’appréciation, justifiant un niveau de protection supérieur.
B. La sanction de l’insuffisance de l’étude d’impact et la neutralisation des motifs
L’arrêt tire les conséquences de cette haute valeur paysagère en se montrant particulièrement exigeant sur la qualité de l’étude d’impact fournie. Suivant en cela l’avis de l’autorité environnementale, la Cour critique « le caractère incomplet et insuffisant des pièces présentées » pour évaluer l’impact réel du projet. Elle reproche l’absence de prise en compte du bien UNESCO, le défaut de photomontages en période hivernale et le caractère limité des points de vue choisis. Le juge va jusqu’à analyser les propres conclusions du pétitionnaire qui, tout en qualifiant l’impact de « modéré », reconnaît une perturbation visuelle significative, notant par exemple que « les coteaux viticoles font face au projet (…) la hauteur du projet est (…) importante ainsi que sa prégnance ». Cette carence probatoire conduit la Cour à estimer que l’atteinte aux paysages est avérée et que le préfet était fondé à rejeter le projet pour ce motif. Finalement, bien que le motif tiré de l’atteinte au voisinage du premier hameau soit illégal, la Cour applique la technique de la neutralisation des motifs. Elle juge que l’atteinte au voisinage du second hameau et l’atteinte aux paysages constituaient des motifs légaux suffisants, et que « le préfet de l’Aisne aurait pris la même décision de refus d’autorisation s’il ne s’était fondé que sur ces seuls motifs légaux ». La requête est donc rejetée.